La dépendance tabagique, maladie chronique à traiter indéfiniment. Les origines d’une invention et le cynisme exemplaire de la revue Chest

Nous avions parlé dans cette note de l’article d’Adriane Fugh-Berman et Douglas Melnick dénonçant le dernier cas de disease mongering 360445286.jpg(invention de maladies) : la dépendance au tabac, bombardée maladie chronique à l’instar du diabète et de l’asthme et à traiter en continu… Lumineuse idée d’auteurs servant d’écran de fumée à l’industrie pharmaceutique, comme on pouvait le voir dans les déclarations d’intérêt.

Mais… Il se trouve que la vénérable revue Chest, éditée par le non moins vénérable American College of Chest Physicians, avait déjà lancé cette idée, dans un texte de 2002 qui atteint des combles de cynisme. Il est en libre accès sous le titre Tobacco Dependence. A Chronic Disease.

Comme je le disais dans la note précédente sur l’inefficacité de la nortriptyline, la revue Chest ne prend pas le risque de provoquer un arrêt respiratoire chez les lecteurs en détaillant des conflits d’intérêts à couper le souffle. On ne saura donc rien de ces auteurs avant de fouiller un peu, mais on saura tout de la stratégie marketing des firmes pharmaceutiques produisant des substituts nicotiniques et des médicaments servant d’aides à l’arrêt.

Connie L. Kohler et William C. Bailey commencent par une image très forte: quoi penser d’un médecin qui resterait les bras croisés et dirait à un patient asthmatique – qui viendrait le voir pour autre chose – : ben, écoutez, vous n’avez qu’à contrôler votre asthme ? Sans aucune prescription. Ce n’est pas déontologique que de ne pas aider quelqu’un qui souffre, même quand il ne demande rien, suggèrent ces vénérables pourfendeurs de la souffrance humaine. Et la dépendance au tabac est pour le moins tout aussi chronique et à risque vital que l’asthme. Comment les médecins peuvent-ils ne pas avoir recours à tous ces traitements qui apparaissent continuellement (comme dans l’asthme…) ?

Kohler et Bailey se basent sur les recommandations de bonne pratique qui avaient été publiées auparavant, en 2000, avec le concours de Bailey. Et disent ce que doivent faire les pneumologues [littéralement « médecins de la poitrine »] et autres médecins affiliés à ce collège : tout ce qu’il peuvent pour que naisse « une culture du soin dans laquelle ne pas traiter les fumeurs [the tobacco use] ne soit plus considéré comme une pratique médicale acceptable ». Il faut que le médecin intervienne même s’il n’est pas sollicité pour cela, parce qu’il sait, lui, ce que doit faire le patient. Et il faut, qui plus est, qu’il prescrive un traitement. C’est le but de la manœuvre…

Pour arriver à une bonne prise en charge des fumeurs, il faut tout faire pour que les approches théoriques du problème changent – et c’est à cela que sert l’idée de la dépendance tabagique comme maladie chronique, disent clairement les auteurs, qui espèrent une couverture des traitements par les assurances… Et ajoutent que les directives doivent être disséminées par tous les moyens ; et le meilleur d’entre eux reste la publicité faite par les leaders d’opinion. On sait tous que ces pontes vont aller donner des conférences et pérorer lors des réunions de formation médicale continue par amour de la santé et par profonde adhésion aux recommandations… Mais les auteurs ne semblent pas douter de leur capacité à mobiliser des leaders d’opinion, alors… cherchez l’argent ! Il n’est pas bien loin !

Ces leaders d’opinion doivent faire en sorte que le statut de fumeur ou non fumeur devienne « le nouvel indicateur vital » (make smoking status the new vital sign). Sapristi ! Cela revient à déclarer que tout fumeur est un mort vivant. Et pourquoi pas un mort en puissance ? Comme tous les autres humains, jusqu’à nouvel ordre de l’industrie pharmaceutique…

Et les auteurs d’enfoncer le clou : « Le comité chargé de l’éducation des patients de notre collège a fixé comme objectif à tous les membres d’utiliser le statut tabagique comme un indicateur vital. Alors que l’on vérifie la tension artérielle, l’infirmier/ère doit demander en toute simplicité si le patient a jamais fumé. Si oui, il/elle doit demander si le patient a fumé les 30 derniers jours précédant la consultation. Ces deux questions permettent de catégoriser chaque personne en tant que « fumeur zéro », « ancien fumeur » ou « actuel fumeur ». Le système d’enregistrement des données du cabinet aura peut-être besoin d’être adapté afin que l’on puisse garantir l’actualisation de cet indicateur vital lors de chaque consultation. Lorsqu’un fumeur est identifié, il faut utiliser la procédure « 4A » ou « 4R », telle qu’elle est décrite par Fiori et al dans les directives. La prochaine étape est de contribuer à diffuser cette pratique en mettant à profit chaque occasion de faire connaître aux autres ces possibilités d’application des directives. Cela inclut des méthodes très diverses allant des réunions professionnelles aux discussions fortuites [sic] avec des collègues.

Tout leader d’opinion se doit d’accomplir une autre tâche complémentaire : l’exercice conséquent d’une influence sur les administrateurs et les assureurs, qui amène ceux-ci à accréditer l’idée qu’il s’agit là du traitement standard. (…) Cet effort d’éducation des administrateurs et des assureurs peut inclure des stratégies très concrètes telles l’explication de l’importance du statut tabagique comme indicateur vital, la tenue de séminaires sur le thème des remboursements des aides à l’arrêt et la distribution d’informations sur le rapport coût – efficacité portant sur les années sauvées grâce aux programmes de sevrage tabagique, et ce lorsqu’on compare ces derniers aux mammographies, aux tests Papanicolaou, au traitement du cholestérol et de l’hypertension artérielle. Il est évident que les traitements d’aide à l’arrêt coûtent beaucoup moins par année de vie sauvée que n’importe lequel des traitements mentionnés ci-dessus.

Les pneumologues et autres spécialistes apparentés qui jouent un rôle exemplaire auprès des prestataires dans le domaine de la santé et qui influencent le système de soins seront les leaders de l’application du traitement standard de cette maladie chronique ».

Ainsi s’achève le texte. L’une des références est un texte ayant pour titre « Evidence for the Effectiveness of Techniques To Change Physician Behavior » (« Preuves de l’efficacité des techniques employés pour changer le comportement des médecins », au moyen de directives, par exemples. Tout un programme…

Voici le texte complet des directives de 2000, avec William C. Bailey parmi les experts. A la fin des directives, on peut lire que ce pourfendeur de la souffrance humaine a été consultant de quelques firmes, a donné des conférences ou encore dirigé des recherches financées par elles : Glaxo Wellcome, SmithKline Beecham, Schering-Plough, 3M Pharmaceuticals, Pfizer et Sepracor. Les deux premières ont fusionné pour donner GSK, qui est, bien entendu, le fabricant du Zyban. (Le Champix n’était pas encore entré dans la bataille, mais vu que Bailey avait déjà des liens avec Pfizer, ça n’a pas dû lui poser de problèmes).

Les curieux peuvent aussi regarder le programme et les sponsors de la National Conference on Tobacco or Health de 2002…

Le tabacologue critique Michael Siegel, cité dans cette note, a dénoncé des experts inféodés aux firmes pharmaceutiques et parlé des dernières directives stipulant que chaque fumeur qui veut arrêter doit se voir prescrire un traitement. Champix, Zyban, substituts nicotiniques, etc. Les préférences des experts dépendent de la firme qui les paie.

On voit donc que malgré le cynisme des propositions et leur absurdité, Kohler et Bailey ont réussi à atteindre leurs objectifs… Il y a des aides à l’arrêt du tabac partout. Bientôt, un fumeur qui arrête tout seul devra avoir honte et sera peut-être traité pour anormalité… Sans parler des fumeurs qui persistent. A quand un asile, un dispositif de camps ou au moins de quarantaine ??

3 réflexions au sujet de “La dépendance tabagique, maladie chronique à traiter indéfiniment. Les origines d’une invention et le cynisme exemplaire de la revue Chest”

  1. Recommandations sur le traitement de la dépendance tabagique basées sur les preuves scientifiques, OMS, Juin 2001 :
    « La dépendance tabagique est reconnue comme une maladie, tant dans la classification internationale des maladies de l’OMS (ICD-10) que dans l’American Psychiatric Association’s Diagnostic and Statistical Manual (DSM-IV). »
    « La dépendance tabagique est une maladie chronique récurrente et même dans la population générale de fumeurs essayant d’arrêter le taux de rechute est élevé. »
    « A l’heure actuelle, les principaux traitements de la dépendance tabagique sont les substituts nicotiniques et le bupropion. Il y a six substituts nicotiniques différents; le patch (timbre), la gomme, le spray nasal (nébuliseur), l’inhaleur, le comprimé sublingual et le lozenge (pastille). Les fumeurs fumant 10 cigarettes par jour ou plus, désirant s’arrêter de fumer devraient être encouragés à utiliser la substitution nicotinique ou le bupropion pour l’aide à l’arrêt. »
    == > Vous êtes victimes d’une maladie chronique et on va vous guérir de ce diabolique mal, que vous le désiriez ou non…

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  2. Merci Randall pour cette info! Décidément, on peut remonter loin… Je crois que je vais arrêter de parler de ces aspects, parce que ça me donne envie de … fumer, rien que pour protester ;-)))
    Bonne journée!

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  3. Notre association libertaire suisse Les Dissident(e)s de Genève (DDG)n’encourage nullement la consommation du tabac ni ne nie la nocivité du tabagisme.
    En revanche, nous dénoncons l’hystérie à la « fumée passive mortelle » que le IIIe Reich avait déjà lancée et exploitée à des fins de « purification », comme levier de contrôle social. Ils ont prétendu vouloir tout d’abord purifier l’air…puis ils s’en sont pris à des boucs émissaires. Aujourd’hui, les fumeurs-parias jouent ce rôle-là.
    Et nous combattons pour la défense de toutes celles des libertés menacées par la nouvelle bureaucratie hygiéniste autoritaire et délrante comme l’affirment nos statuts (sous « info » sur notre site)
    Bravo pour votre site qui n’est que rarement cité dans les grands media, tous endoctrinés jusqu’à la moelle: « armes de destructions massives en Irak », « pandémie imminente de grippe porcine annoncée par l’OMS » etc.
    J.-A. Widmer, Président des DDG
    http://www.lesdissidentsdegeneve.ch

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