La 12ème édition du festival Sciences en Bobines – organisé chaque année par Sciences Citoyennes bat son plein dans 26 villes. Le programme complet est disponible sur le site du festival.
A l’invitation de Madame Josette Pouget, de l’association Peuple et Culture, j’aurai le plaisir d’intervenir le mercredi 19 octobre à Tulle, pour une conférence-débat avec le public, après la diffusion du documentaire « Maladies à vendre », réalisé par Anne Georget et Mikkel Borch-Jacobsen.
Après les informations pratiques, explique la médicalisation et le disease mongering, donne des liens puis une liste de livres de référence sur ces sujets et ceux sous-jacents.
Le sujet du débat est évidemment le disease mongering – traduit par « façonnage de maladies », « invention de maladies », etc. -, que j’ai commencé à faire connaître en France dans des textes en libre accès à partir de 2008, en décortiquant les stratégies du marketing pharmaceutique, de désinformation et d’influence sur l’ensemble du système de formation, d’information et de recherche médicales.

La présentation et la bande annonce du documentaire « Maladies à vendre » sont sur cette page. La projection aura lieu le mercredi 19 octobre à à 20h30 à la Salle des Fêtes Latreille de Tulle (située au 10 Impasse Latreille, voir le plan d’accès sur cette page). La session sera précédée de la diffusion de deux courts-métrages: « 200 000 fantômes » de Jean-Gabriel Périot (2007-10’) et « Copier cloner » de Louis Rigaud (2009-4’).
Mes remerciements à Madame Pouget.
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Commentaires et références
Si j’avais à résumer le façonnage de maladies, je dirais avant tout qu’il est l’un des moyens majeurs par lesquels s’opère la médicalisation de l’existence – autre sujet largement abordé sur Pharmacritique – qui traduit l’extension de la juridiction de la médecine à des domaines de plus en plus étendus dans nos sociétés occidentales industrialisées qui dessaisissent les citoyens de toutes leurs compétences au profit de « spécialistes », de techniciens, bref, d' »experts » porteurs d’intérêts particularistes et corporatistes.
C’est typique de l’individualisme néolibéral de prétendre – dans les formulations idéologiques – mettre l’individu au centre de tout, alors même que tout est fait pour qu’il soit un objet subissant passivement, autrement dit un sujet obéissant aux stratégies de profit des industries de la santé comme de toutes les autres. Le façonnage de maladies permet de mettre en place des stratégies d’uniformisation, de normalisation, de contrôle social et mise au pas des individus, aspects abordés dans les catégories éonymes.
Ces stratégies sont encore plus efficaces parce qu’elles semblent s’effectuer dans l’intérêt de la santé des individus, par exemple en tant que médecine préventive, pour anticiper les maladies dont ils pourraient souffrir. Sans parler de la promesse de rendement personnel accru, de « booster » les performances, d’égaliser la santé des hommes par la médicalisation et médicamentation censées amener toutes les personnes au même standard de santé / normalité en passant par les mêmes seuils et valeurs de cholestérol, glycémie, pression artérielle, indice de masse corporelle, densité minérale osseuse, humeur stable et sans fluctuations de déprime, vague à l’âme, tristesse, cyclothymie, hypersensibilité, anxiété ou timidité.
Tous l’arsenal de la psychopharmacologie est utilisé en même temps pour distinguer ceux qui s’adaptent aux rôles et à cette moyenne abstraite qu’est la normalité, facile à quadriller et contrôler dans les cases imparties par l’ordre établi ; les distinguer des différents, déviants, marginaux, ceux qui ont une subjectivité critique et une sensibilité non-linéaire. Ils sont soit exclus et condamnés à la mort sociale, soit ils acceptent d’être adaptés et ramenés dans le droit chemin de la normalité grâce aux corrections pharmacologiques et à l’acceptation du « rôle de malade » théorisé par Talcott Parsons en 1951, puis développé par des auteurs tels que F. Steudler en 1977, E. Freidson en 1984 et d’autres. Des études sociologiques sur la médicalisation, la médecine comme créatrice de catégories de malades, la santé et maladie en tant que constructions sociales. La maladie est présentée par Parsons comme une déviance qui doit être contrôlée et normalisée rapidement.
Puis s’ajouteront d’autres thèmes issus de l’individualisme néolibéral et de la pression marchande: le capital santé de chacun, à préserver mais aussi monétiser dans cette ère de bioéconomie basée sur la marchandisation des corps et sa fragmentation en gènes, gamètes, types de tissus, de cellules et de spécificités immunitaire, etc.

[Mise à jour de septembre 2014: Céline Lafontaine décrit parfaitement cette mainmise néolibérale sur le corps-marché et les vrais intérêts industriels et idéologiques qui se jouent derrière l’illusion de médecine personnalisée, prédictive, préventive, prescriptive et proscriptive en même temps] .
Une telle uniformisation puis renforcement des capacités humaines et promesse derrière laquelle se cachent des desseins tels que ceux du transhumanisme, voulant utiliser les technosciences pour fabriquer un « homme augmenté ». Un dessein qui s’impose pas à pas dans les têtes, acquis par acquis, petit dispositif par petit dispositif (révolutionnaire, bien entendu!)
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NB: Qu’il s’agisse d’expliquer les grandes lignes du phénomène dans son ensemble, situé dans le contexte des autres tares du monde médico-pharmaceutique et du pseudo-système de santé français, ou alors de d’insister plus sur certains exemples (cholestérol, ostéoporose, pression artérielle, glycémie, DSM et troubles mentaux, etc.) permettant de faire comprendre de quoi il s’agit et en quoi le façonnage de maladie concerne chaque citoyen au quotidien, j’ai abordé tout cela principalement dans des articles sur Pharmacritique, qui sont accessibles en cliquant sur la catégorie disease mongering. Mais aussi dans des interviews et des participations à des documentaires, ainsi que lors de débats et colloques dont il faudrait archiver les présentations powerpoint et les enregistrements. Mais sachant que je suis un contre-talent en matière de communication et que je n’ai même pas le temps de tenir le blog, ces temps-ci… Quoi qu’il en soit, les articles parus sur Pharmacritique abordant diverses facettes de l’invention des maladies et de leur redéfinition restent d’actualité. Malheureusement.
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Lectures pour en savoir plus
- Freidson, E., La profession médicale, Paris, Payot, Coll. Médecine et Société, 1984.
- Goffman, E., Asile, Etude sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Ed. de Minuit, 1968
- Illich, I., Némésis médicale. L’expropriation de la santé, Paris, Seuil, 1975.
- Illich, I., « l’obsession de la santé parfaite », in le Monde diplomatique, Paris, Mars 1999.
- Lafontaine, Céline, Le Corps-marché. La marchandisation de la vie humaine à l’ère de la bioéconomie, Paris, Seuil, 2014
- Laplantine, F., Anthropologie de la maladie. Paris, Payot, 1986.
- O.M.S., « La santé », Encyclopédia Universalis, Vol. 16, 1985, pp. 437-446.
- Parsons, T., « Structure sociale et processus dynamique. Le cas de la pratique médicale moderne », Paris, Ed. Plon, Coll. Recherches en Sciences Sociales, 1955, pp. 193-250
- Renaud, M., « De la sociologie médicale à la sociologie de la santé : trente ans de recherche sur le malade et la maladie» inDufresne, J. ; Dumont, F. et Martin, Y. (dir), Traité d’anthropologie médicale, l’institution de la santé et de la maladie, Québec, Presse de l’Université de Québec, Lyon, Presse Universitaire de Lyon 1985, pp. 281-291.
- Retel-Laurentin, A., (dir.), Etiologie et perception de la maladie dans les sociétés modernes et traditionnelles, Paris, l’Harmattan, 1987.
- Steudler F., Sociologie médicale, Paris, Ed. Collin, Coll. U série sociologie, 1972.
- Steudler, F., « Institutions de soins, profession médicale et environnement », in Colloque International de Sociologie Médicale, Juillet 1976, Paris, CNRS, INSERM, 1980, pp. 67-77.
- Stoetzel, J., « Le malade, la maladie et le médecin : esquisse d’une analyse psychosociale », in Population, Vol. 15, n° 4, 1960, pp. 613-624.
Elena Pasca