Après une longue introduction par moi, vous trouverez le communiqué de presse des organisateurs du colloque « Surmédicalisation, surdiagnostics, surtraitements » (présentation et programme détaillé sur cette page), à savoir
- le groupe d’études Princeps (Omar Brixi, Elena Pasca, François Pesty, Jean-Claude Salomon, Michel Thomas),
- la SFTG (Société de Formation Thérapeutique du Généraliste) et
- le Département de Médecine générale de la Faculté de médecine de Bobigny
Nous avons préféré envoyer ce communiqué après l’élection présidentielle qui a focalisé toute l’attention.
Evidemment, la richesse des échanges durant ces deux journées et les nombreuses idées pour les suites à donner ne sauraient être évoquées dans une forme aussi succincte…
Nous restons à la disposition de tous ceux qui souhaitent en savoir plus et de tous ceux, que nous espérons de plus en plus nombreux, qui souhaitent se joindre au « mouvement d’idées » qui résulte de ce colloque. Mouvement auquel nous allons donner une traduction pratique dans les semaines et les mois à venir, afin de contribuer à une prise de conscience des professionnels de santé, des media, ainsi que de l’ensemble des citoyens quant aux causes, aux formes et aux conséquences d’une surmédicalisation omniprésente et la plupart du temps inconsciente; surtout les risques ne sont pas perçus comme tels, puisqu’elle se présente sous les dehors respectables de la prévention, comme le reflet d’une politique de santé publique mise en place – pensent les citoyens – selon des critères rigoureux et évalués…
Les citoyens doivent avoir les outils théoriques nécessaires pour comprendre ce qu’ils risquent – car toute prescription inutile induit un risque inutile -, ce pour quoi ils paient, dans tous les sens du terme, pour savoir qu’ils n’ont pas toute l’information ou sont désinformés sur l’intérêt pour leur santé de ces bilans annuels – qui trouvent des anomalies (incidentalomes) sans aucune signification pathologique – et de ces dépistages organisés de tel ou tel cancer…
Les citoyens doivent comprendre quels sont les rouages systémiques qui empêchent le changement et assurent la reproduction d’un système qui ne profite pas à la santé individuelle et publique, mais aux intérêts de ceux qui vivent de cette surmédicalisation, de la mise en place des dépistages qui, tels des loteries, mènent aux cercles vicieux de surdiagnostics et de surtraitements, où les rares « gagnants » ne doivent pas faire oublier que l’immense majorité perd au change. Combien de centaines et de milliers de « dégâts collatéraux » (pensons au number needed to harm…) sont « acceptables » pour qu’une seule femme en tire un bénéfice? Une seule sur les 2.000 subissant des mammographies régulières de dépistage pendant 10 ans…
L’une des tâches de ce mouvement d’idées devrait être de convaincre d’abord les professionnels de santé, puis les usagers, que l’intervention médicale et le médicament ne sont pas automatiquement créateurs de santé. La prévention relève surtout de l’éducation sur les facteurs de risque, les comportements à risque, les causes environnementales, les expositions professionnelles à des agents toxiques… Et la prévention la plus fiable, rationnelle et raisonnée, faisant un usage rationnel des moyens dans une optique de qualité des résultats, c’est la « prévention quaternaire », telle que l’explicite Marc JAMOULLE dans l’article « De la prévention chronologique à la prévention relationnelle: la prévention quaternaire comme tâche du médecin de famille » (sur le site de la revue Prescrire).
Cette prise de conscience par les usagers et l’ensemble des citoyens est le prélude nécessaire à tout changement des pratiques, des mentalités, des structures systémiques; une condition nécessaire si l’on veut rompre le cercle vicieux, propre à la logique néolibérale, entre le consumérisme des patients et l’offre médicale qui crée la demande…
Je l’ai dit lors du colloque: la surmédicalisation n’est pas un dysfonctionnement; au contraire, elle illustre parfaitement la logique marchande néolibérale appliquée à la santé marchandisée. La surmédicalisation en est le fonctionnement parfait, facilement adaptable en surface et très flexible, puisque même ses critiques appliquent la même logique tout en pensant s’y opposer et faire acte de liberté: je pense à ceux qui utilisent les médecines alternatives et l’homéopathie. Il ne s’agit pas d’alternatives au système, en tout cas, puisque ces usagers s’inscrivent dans la même logique qui voudrait que tout problème relève d’une des variantes de la médecine et ait une solution médicale.
Une première contribution faite dans l’esprit du mouvement d’idées autour de ce colloque est le texte incisif du Pr Claude BERAUD, « La médicalisation de la santé et du mal-être », qui vient de paraître sur Pharmacritique.
Quant aux problèmes posés par la médecine préventive et le dépistage organisé de certains cancers, je conseille vivement l’article de Pierre BIRON et de Fernand TURCOTTE: « Le Glas aurait-il sonné pour la mammographie de dépistage?« , de même que le livre très bien documenté de Rachel CAMPERGUE, « No Mammo? Enquête sur le dépistage du cancer du sein ». L’un de mes articles synthétiques sur cette question (et sur les surdiagnostics) donne beaucoup de références et de liens permettant d’approfondir la question. D’autres informations sont disponibles à partir des catégories « surmédicalisation« , « Prévention, abus de prévention« , « industrie du cancer« …
Elena Pasca
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Communiqué de presse – 21/05/2012
Groupe d’études Princeps – SFTG – Département de Médecine Générale de la Faculté de Médecine de Bobigny
La surmédicalisation : un dysfonctionnement majeur et systémique, à haut risque pour la santé publique comme pour notre système de soins
La surmédicalisation a envahi de nombreux champs du soin en donnant l’illusion de progrès diagnostics et thérapeutiques à une majorité de médecins, soignants, patients et usagers qui n’en ont souvent pas conscience. Dans nos pays développés, surmédicalisation et sous-médicalisation coexistent, touchant à la fois des populations et des problèmes de santé, voire sociétaux, différents. L’ensemble des acteurs doit se ressaisir avant que notre système solidaire de santé ne soit englouti par tant d’excès. Il y a urgence à développer l’esprit critique chez l’ensemble des acteurs afin que changent les pratiques en vue d’une médecine raisonnée et d’un usage rationnel des moyens, médicamenteux et autres.
La pertinence des actes médicaux doit être le critère primordial, fondé sur une évaluation indépendante et rigoureuse des bénéfices cliniques pour le patient, sur la qualité des résultats et non sur la quantité de moyens mis en œuvre, et prenant en compte les rapports bénéfices/risques et coût/efficacité.
C’est dans cet esprit critique qu’a eu lieu, les 27 et 28 avril à la Faculté de Médecine de Bobigny, le colloque « Surmédicalisation, surdiagnostics, surtraitements », organisé par le groupe Princeps, la Société de Formation Thérapeutique du Généraliste (SFTG) et le Département de Médecine Générale de la Faculté de Médecine de Bobigny. Malgré une conjoncture chargée (élections, vacances scolaires…), une centaine de professionnels de santé, d’universitaires des sciences sociales et d’usagers ont débattu durant ces deux journées, où 24 communications ont été présentées dans six ateliers et analysées lors des plénières. |
Les débats ont permis de dégager un certain consensus autour de l’hypothèse de départ : plus de soins ne produisent pas plus de santé, et trop de soins peuvent être nuisibles, créer des confusions entre le superflu et les soins nécessaires et utiles. Les excès occultent le phénomène contraire en apparence: la sous-médicalisation, liée à une distribution inadéquate des ressources, à l’accès inégal aux soins, à la précarité et à d’autres inégalités socio-économiques.
La perception de la surmédicalisation est déformée à cause de son assimilation à une intention de gestion purement comptable de la santé. Le colloque a contribué à une redéfinition de son champ sémantique, à une mise en évidence de ses causes, de ses formes et conséquences. Une réflexion sur toutes les dimensions de la surmédicalisation permet d’envisager des solutions – telles que les médicaments essentiels, la redéfinition de la place des soins primaires et de la rémunération des professionnels de santé, le développement de l’esprit critique des usagers…
Cette réflexion conçue comme un chantier ouvert permet de construire des catégories explicatives à l’usage de l’ensemble des citoyens, pour que ces questions émergentes dans le débat scientifique et présentes sous forme confuse ou timide dans le débat social se cristallisent dans une critique méthodique à tous les niveaux et aboutissent à une redéfinition des pratiques et des mentalités.
Cela passe par la mise en évidence de toutes les collusions, de tous les intérêts industriels et corporatistes du complexe médico-industriel, qui créent de la désinformation, des biais, des influences sur les prescripteurs et les patients, entretenus par un matraquage publicitaire qui renforce le cercle vicieux du consumérisme des patients et de l’offre médicale, inégalement répartie et sans rapport avec les besoins réels de soins, qui crée la demande.
Il faut s’opposer au dévoiement de la fonction sociale de la médecine, tel qu’on le voit avec une médecine préventive (assimilée à la prévention pharmacologique, au lieu d’une modification des modes de vie et des comportements à risque), une médecine prédictive (par le tout génétique) et une médecine prescriptive (au sens éthique du terme, où le médecin formulerait des préceptes moraux et des normes médicales qui deviennent des normes sociales). Il faut contrecarrer la médicalisation de tous les aspects de la vie et des états physiologiques, la médicalisation du mal-être socio-économique, qui tend à occulter des tares systémiques sur lesquelles l’individu n’a aucune prise. Tout en dénonçant la sous-médicalisation partout où elle existe.
Les premiers éléments de ce débat, qui n’est qu’un début et ne prétend pas apporter des réponses définitives, seront accessibles sur le site de la SFTG, en attendant la construction d’un site spécifique. L’élaboration d’une plateforme de débats, d’études et de recherches est en cours et de nouveaux rendez-vous, en perspective.
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Contact : Dr Jean-Claude Salomon jcsalomon@tribunes.com
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Comité d’organisation du colloque « Surmédicalisation, surdiagnostics, surtraitements » :
Le groupe d’études Princeps est constitué de : Dr Omar BRIXI, Médecin de Santé Publique, Consultant ; Mme Elena PASCA, Philosophe et sociologue, créatrice du blog Pharmacritique ; Dr François PESTY, Pharmacien et Consultant ; Dr Jean-Claude SALOMON, Médecin, ancien chercheur en immunologie du Cancer ; Pr Michel THOMAS, Médecin interniste, ancien chef de service – La SFTG est représentée par le Dr Alain SIARY, Médecin généraliste et enseignant en Médecine Générale ; La Faculté de Médecine de Bobigny est représentée par le Dr Michel DORÉ, Médecin et Directeur du département de Médecine Générale.