Le texte du Pr Pierre BIRON aborde des dimensions du complexe médico-industriel qu’il faut connaître pour s’orienter dans nos systèmes de santé et de soins et prendre des décisions en connaissance de cause. Il est suivi par la présentation de l’auteur et des liens vers d’autres articles qu’il a publiés sur Pharmacritique.
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Quand la complicité médico-pharmaceutique dévoie le savoir médical
Par le Pr Pierre BIRON
À l’époque de Louis XIV, le roi prenait comme maîtresses et honorait des faveurs de la cour les filles de grandes familles puissantes qui auraient pu faire ombrage à son pouvoir quasi absolu ou le contester; ainsi, toute cette famille était pour ainsi dire neutralisée[2].
Aujourd’hui, l’industrie des produits médicaux accorde ses faveurs et appuie l’ambition professionnelle d’une poignée de leaders d’opinion de spécialités médicales au grand pouvoir de prescrire; ainsi, toute la spécialité est pour ainsi dire neutralisée. De la cardiologie à l’oncologie et la diabétologie en passant par la psychiatrie, la pédiatrie, la gériatrie et la médecine générale, tout dépend des profits escomptés. Ainsi, les infectiologues sont peu courtisés, car l’industrie délaisse la recherche en antibiothérapie; ce n’est pas assez payant, les patients guérissent souvent et après quelques années de commercialisation, la résistance bactérienne s’installe.
Les experts qui cèdent à la tentation de devenir des leaders d’opinion – de méchantes langues les surnomment dealers d’opinion – peuvent acquérir une grande renommée, exercer beaucoup d’influence sur leurs pairs, siéger sur des comités qui rédigent les recommandations cliniques (clinical guidelines) aux prescripteurs, arrondir leurs fins de mois, conseiller les assureurs publics, paraître comme auteurs d’articles pas toujours écrits par eux-mêmes. Et mener à des dépenses inutiles sans pour autant améliorer tangiblement la santé.
Cela n’a rien à voir avec la compétence des praticiens, mais cela a beaucoup à voir avec les dépenses qu’entraînent des ordonnances pour des nouveaux produits ou indications[3] dont les coûts et les risques sont loin de compenser les bénéfices attendus. Les chances que votre médecin traitant soit un leader d’opinion sont faibles, car ces personnages sont très peu nombreux – heureusement – et passent parfois plus de temps à l’extérieur de la clinique ou du pays, qu’auprès de leurs malades.
Le terme ‘courtisan’ existe depuis plus de quatre siècles et désigne une personne qui flatte. Depuis un demi-siècle, les ‘grosses pharmas’ courtisent les prescripteurs. Toute subvention pharmaceutique à la formation médicale continue et toutes les formes de faveurs aux prescripteurs laissent des traces sans aucune exception. Quelles traces? Examinez les profils de prescriptions préventives abusives, ou encore pensez au silence des institutions médicales et universitaires devant le laxisme et l’opacité de nos agences de réglementation qui mettent le bien des entreprises au-dessus de la santé de la population.
Il en est de même pour les associations de patients qui se laissent ‘aider’ par des sponsors intéressés, ainsi que pour les patients qui se laissent ‘accompagner’ pour être fidélisés à la marque sous prétexte de les ‘aider à être observants’.
Que l’on soit politicien en campagne électorale, décideur en politique pharmaceutique, gestionnaire d’une agence du médicament, responsable d’une institution médicale ou universitaire, responsable de formation ou soi-même prescripteur, accepter l’argent des grosses pharmas, c’est courir le risque de devenir pharmas-co-dépendant. C’est courir le risque que ce qui commence par une simple collaboration devienne une complicité avec l’agenda d’une industrie en panne d’innovation tangible et qui, depuis trois décades, se rabat sur un marketing agressif basé sur la surmédicalisation et la sur-médicamentation en passant par la manipulation du savoir médical, afin de réaliser des marges de profits qui font pâlir d’envie les plus grands secteurs économiques de la planète.
Faisons un tour de table
Depuis l’intérieur de la profession
« Les milliards déversés par l’industrie ont détraqué la boussole morale de plusieurs médecins. Le temps est venu de se demander si tout cet argent qui envahit le monde médical n’a pas plutôt donné naissance à des habitudes de corruption [4], déclare l’ex-rédacteur en chef Jerome Kassirer du New England Journal of Medicine, la plus réputée revue savante généraliste en médecine…
Marcia Angell, elle aussi ex-rédactrice en chef du même journal, a pris la peine d’écrire un livre sur le sujet, traduit sous le titre La vérité sur les compagnies pharmaceutiques : Comment elles nous trompent et comment les contrecarrer. Elle a aussi signé dans le journal en question un article intitulé « Drug companies & doctors: A story of corruption. » Le terme a été prononcé par deux anciens rédacteurs en chef du numéro un en médecine. Que peut-on demander de plus?
Angell est convaincue que trop de partenariats public-privé dans les centres hospitalo-universitaires – recherche et enseignement compris – représentent un dangereux pacte faustien, et elle n’accorde plus sa confiance sans réserve aux publications d’essais cliniques de médicaments quand ils sont financés par l’industrie et exécutés docilement par leurs partenaires obligés.
Une majorité de ces essais commandités par le privé visent surtout à augmenter la visibilité du produit, à élargir les indications, à mousser les ventes. On répartit géographiquement ces essais cliniques dans d’innombrables régions et pays parce que les chercheurs cliniques peuvent s’y transformer en leaders d’opinion une fois l’essai complété, faisant ainsi d’une pierre deux coups.
« Médecine, politique, médias, législations, réglementations et entreprises pharmaceutiques manœuvrent en eaux troubles », râle un médecin généraliste belge indigné par la situation [5].
« Promotion excessive, suppression et falsification des données, opacité, corruption, fraudes et graves conflits d’intérêt sont de plus en plus souvent mis en évidence », dénonce Graham Dukes, l’une des éminences grises européennes les plus respectées en politique pharmaceutique et l’un des pères de la pharmacovigilance moderne, médecin, avocat, universitaire et conseiller à l’OMS [6].
« Petits et grands cadeaux tendent à faire passer de la connivence à la compromission. L’industrie pharmaceutique en est arrivée à dominer le savoir médical ainsi que l’orientation de la recherche, de la réglementation, de la prescription, de l’accès et de l’utilisation des médicaments dans le monde entier », déplorent les rédacteurs médecins et pharmaciens de la Revue Prescrire à Paris, généralement considérée la meilleure du genre et chef de file incontestable des rarissimes bulletins thérapeutiques indépendants qui disent non merci aux fabricants et aux gouvernements [7].
« De son point de vue, l’industrie pharmaceutique fait parfaitement son travail au mieux de ses intérêts … mais en face, ceux chargés de préserver l’intérêt général et la santé publique, responsables politiques, autorités sanitaires, assurances-maladie, professionnels de santé, médias, etc., n’exercent pas leurs responsabilités avec le même acharnement et la même compétence, loin s’en faut…
Les conséquences sanitaires de ces renoncements et de ces lâchetés sont connues : effets indésirables graves allant jusqu’au décès, gaspillage et creusement des déficits sociaux, perte de confiance dans la médecine et ses représentants. » Cette opinion provient d’un regroupement de médecins français – le Formindep – militant pour une formation médicale transparente et indépendante [8].
« Quand une compagnie promeut un produit, c’est le docteur qui en profite et la société qui paye… L’argent de l’industrie n’a sa place ni dans les universités, ni en éducation médicale continue, ni dans le fonctionnement d’une clinique », déclare courageusement un Collectif de médecins québécois[9]. Un de leurs collègues renchérit sur « la courtisanerie de l’industrie : cette promiscuité contamine l’intellect et le cadre paradigmatique du champ de l’acte médical, et à cause de l’influence subliminale et insidieuse de cette énorme idéologie que professe cette industrie, notre profession est devenue partie intégrante de ce marché particulièrement lucratif » [10].
« Tout devient possible pour vendre à tout prix. Manipuler trompeusement les études scientifiques pour dissimuler les effets négatifs des médicaments. Contrôler les agences de régulation et les autorités sanitaires grâce à des lobbyistes influents et des experts véritables à la solde des firmes…
Influencer les prescripteurs grâce à leur naïveté et à leur incapacité à faire face aux conflits d’intérêts, en finançant et contrôlant la quasi-totalité de leur formation continue. Façonner de nouvelles maladies pour créer et développer le marché. Influencer tous les niveaux du circuit du médicament pour vendre, vendre encore et toujours plus, au risque de la santé des populations, enchaîne avec indignation le Formindep. » [11]
L’industrie pharmaceutique – un des lobbies prédateurs – a ruiné la médecine comme science, pouvait-on déjà en 2003 lire dans Le Monde [12].
Quiconque est assez naïf pour croire encore qu’un prescripteur bénéficiaire d’un sponsor devient automatiquement impartial simplement en déclarant ses conflits d’intérêt, aurait avantage à mieux se renseigner [13].
Aux États-Unis, la situation des conflits d’intérêt a vraiment commencé à se détériorer au début des années 1980, pour en arriver aujourd’hui à un état de faillite éthique de la médecine occidentale. Le phénomène a commencé sous les années Reagan, mais il s’est vraiment accéléré sous l’administration Clinton. Et à partir du milieu des années 1990, nous avons assisté à une castration systématique de tous les mécanismes de protection des conflits d’intérêt, et de toutes les voix critiques [14] [15].
Complétons notre tour de table
Depuis l’extérieur de la profession
En France, installée à tous les étages des défaillances de l’État – des instances qui décident des autorisations de mise sur le marché jusqu’aux cabinets des médecins et des ministres – l’industrie pharmaceutique semble avoir gagné la bataille d’influences. Très souvent, notre système de santé est pris au piège d’intérêts économiques qui n’ont plus grand-chose à voir avec la santé de tous, dénonce l’auteure du livre Les Médicamenteurs [16], qui aurait tout aussi bien s’intituler Les Médica-Menteurs.
Tant que les universités, chroniquement sous-financées, encourageront les partenariats avec des firmes subventionnaires, la porte restera grande ouverte pour la poursuite de la corruption de la recherche scientifique, déclare le pharmaco-économiste Marc-André Gagnon, associé à l’Université Harvard et enseignant à l’université Carleton en Ontario [17].
Transparency International a proposé un code de conduite dans son Rapport mondial de 2006[18]. Ce code a été endossé par la rédaction du numéro deux mondial des revues savantes médicales, le Lancet, dans sa livraison du 11.2.2006. On y recommande ni plus ni moins aux médecins de ne pas faire la promotion de produits de santé dans lesquels ils ont un intérêt financier et de ne pas se joindre à la liste des conférenciers d’une entreprise de produits de santé.
Une situation de conflit d’intérêt pourrait survenir lorsque cette collaboration va au-delà de la recherche, pour se muer en marketing quand les médecins deviennent des consultants ou des conférenciers payés. C’est la première fois qu’une ONG internationale donne explicitement au co de pharmas-co-dépendance un sens qui assombrit l’image d’intégrité et d’indépendance de nos institutions médicales, même si elle ne vise directement que certains leaders d’opinion qui se prêtent contre rémunération à la présentation répétitive et l’interprétation trop enthousiaste de certains essais cliniques [19].
Quand la médecine ou l’industrie pharmaceutique perdent le Nord, comme tous ceux qui font joujou avec leur omnipotence, il est impératif qu’une instance éthique indépendante et exogène à leur sphère les régule et leur rappelle l’impératif catégorique du respect de l’humain. On assiste sinon à l’émergence d’un État dans l’État, d’une zone de non droit où règnent en maîtres les ambitions les plus cupides. Qu’on se rappelle les scandales qui parsèment régulièrement l’histoire de l’industrie pharmaceutique, soupire la philosophe Elena Pasca, auteure d’un des meilleurs blogues en langue française sur le sujet [20].
Conclusion
Accordons le mot de la fin à l’éminence grise Graham Dukes : Dans la jungle pharmaceutique les entreprises ne peuvent être domptées et apprivoisées que par les lois et l’opinion publique, encore faut-il commencer par réduire la manipulation des législateurs et des citoyens par les mondiales du médicament.
Souhaitons que des médias citoyens représentent un moyen d’éclairer une opinion publique chroniquement désinformée et insuffisamment politisée.
[Notes et références]
[1] Dévoyer dans le sens de ‘détourner du droit chemin’ de la rigueur scientifique
[2] Réflexion inspirée de Agnès Walch, Histoire de l’adultère XVIe -XIXe siècle, Paris :Perrin; 2009, et de la thèse de Marc-André Gagnon, The nature of capital in the knowledge-based economy: the case of the global pharmaceutical industry, Toronto, York University, 2009
[3] La situation clinique où le produit est recommandé.
[4] Éditeurs. La main dans le sac, Montebello QC: Les Éditions le mieux-être; 2007. Traduction de: Jerome Kassirer, On The Take, Oxford: Oxford University Press; 2005.
[5] Préface de Dirk Van Duppen, La guerre des médicaments, Bruxelles : Aden; 2004
[6] socialaudit.org.uk et ISDB 2007;21(3) :4
[7] Revue Prescrire 2003 1er mars;23(237):221. On peut accéder gratuitement à une partie des articles sur le site http://www.prescrire.org/fr/
[8] Philippe Foucras, http://formindep.org/Les-Medicamenteurs-le-film
[9] Lamontagne F, Turcotte G, Lemire S, Plaisance M, Coll B, Brouillet M, Adjaoud A, More P. Quand l’industrie pharmaceutique courtise les médecins. Le Devoir, Montréal, 28.4.2003, sur http://www.ledevoir.com/non-classe/26393/quand-l-industrie-pharmaceutique-courtise-les-medecins.
[10] Pierre L Auger. Industrie pharmaceutique, une promiscuité qui contamine la médecine. Le Devoir 30.4.2003
[11] Philippe Foucras. http://formindep.org/Les-Medicamenteurs-le-film
[12] Manfred Stricker, lire http://quibla.net/monde/monde.html 29 mai 2003
[13] Steven Schachter et coll. Managing Relationships with Industry. Burlington: Elsevier; 2008
[14] Fernand Turcotte http://www.protegez-vous.ca/sante-et-alimentation/entrevue-avec-fernand-turcotte.html, 8.2.2010
[15] Biron P. & Turcotte F. La faillite morale de l’establishment médical. Le Devoir, 10.9.2009, Page A6 sur http://www.ledevoir.com/2009/09/10/266263.html
[16] Stéphane Horel. http://www.stephanehorel.fr/doc/medicamenteurs/livre/
[17] Marc-André Gagnon. Le Devoir, 4.9.2009, section Opinion, sur http://www.ledevoir.com/non-classe/265495/recherche-medicale-la-belle-affaire
[18] Transparency International Annual Report 2006. 1. Corruption and health; 1.5 Corruption in the pharmaceutical sector; 1.5.3 The corrupting influence of money in medicine. Berlin, Germany: Transparency International; 2006.
[19] Biron P, Plaisance M, Lévesque P. Le Médecin de famille canadien 2007;53 :1643-1645, sur http://www.cfp.ca/cgi/content/full/53/10/1643
[20] Elena Pasca. http://pharmacritique.20minutes-blogs.fr/23.4.2009.
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[L’auteur]
Professeur honoraire de pharmacologie à l’Université de Montréal, engagé sur toutes les questions de pharmacologie sociale, Pierre BIRON est un observateur critique de la scène médico-pharmaceutique, auteur et co-auteur de nombreux articles et chapitres de livres sur l’influence de l’industrie pharmaceutique sur la médecine, l’abus de prévention, la surmédicalisation et surmédicamentation, les formes de disease mongering (façonnage de maladies), les politiques du médicament…
Pierre Biron, qui n’a aucun conflits d’intérêts, est l’auteur d’un dictionnaire engagé, critique et évolutif, anglais/français, de la médecine dans ses rapports à l’industrie pharmaceutique, un work in progress hébergé par le site L’Encyclopédie de l’Agora, accessible sur cette page.
Sur Pharmacritique, Pierre Biron a publié plusieurs textes : « Entretien virtuel avec Jean Peneff : « La France malade de ses médecins »» (sur cette page) et « La pharmaco-prévention dans les unités de soins de longue durée : Un acharnement à dénoncer » (sur cette page), ainsi qu’un texte co-écrit avec le Pr Fernand TURCOTTE : « Le glas aurait-il sonné pour la mammographie de dépistage? » (à lire ici).
Le texte « Quand la complicité médico-pharmaceutique dévoie le savoir médical » est d’abord paru le 23 décembre 2010 sur le blog canadien Centpapiers, mais a été effacé il y a quelques semaines. Or il mérite d’être largement connu et diffusé. [EP]
Rien à rajouter!
tout est dit.
Malheureusement, ce phénomène n’est pas propre à l’industrie pharmaceutique, il est globalisé à l’ensemble des industries avec les conséquences écologiques et donc sanitaires en cours. C’est un effet indésirable du système libéral qui par ailleurs présente aussi des aspects plus positifs.
comment lutter?
Eduquer le sens critique dés le plus jeune age?
Aller vers un système écologique libéral et controlé à la fois (contradictoire!).
Revenir dans 100000 ans pour voir ce qu’il est advenu de tout cela serait passionnant.
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Bonjour Lionel,
D’accord avec vous: tout est dit! J’aime bien les formes originales que Pierre Biron choisit pour faire passer des idées: soit des entretiens virtuels, soit de tels « tours d’horizon » qui présente les problèmes à travers ce qu’en disent les principaux critiques.
Par contre, je ne pense pas qu’il s’agisse d’un effet indésirable de ce que vous appelez « système libéral ». Si l’on parle plutôt de la logique néolibérale, ultracapitaliste – pour que ce soit plus clair – il me semble au contraire qu’il s’agit d’un fonctionnement parfait ou, autrement dit, de l’effet recherché. Lorsque tout ce qui compte dans un tel régime économique, c’est la bonne marche des affaires, que rien ne doit entraver (aucun obstacle du genre penser aux conséquences humaines, sociales, écologiques…), alors on ne peut que constater que ce qui se passe actuellement traduit parfaitement en pratique la logique mercantile au coeur du système.
J’ai dit la même chose lors du colloque sur la surmédicalisation, puisque l’une des questions posées était de savoir si la surmédicalisation – avec toutes ses manifestations telles que surdiagnostics, surtraitements, et toutes les méthodes pour la mettre en oeuvre, telles que le disease mongering, la médicalisation des étapes de la vie et des émotions, etc. – donc si la surmédicalisation est un dysfonctionnement, et si oui, est-ce un dysfonctionnement ponctuel ou systémique?
Ma réponse, développée dans l’introduction à l’atelier 2 puis dans mon exposé, est qu’il ne s’agit pas d’un dysfonctionnement, mais au contraire, d’un fonctionnement parfait du système socio-économique néolibéral. Un intervenant, qui avait parlé déjà dans le titre de son exposé d’un « dysfonctionnement habilement exploité », a finalement été d’accord avec moi.
Je pense qu’on ne peut pas réfléchir – et en particulier pas sur les causes – si on ne s’interroge pas en ces termes-là, de façon plus globale. Car Pierre Biron pose un diagnostic ici (et donne aussi des éléments de réponse dans d’autres textes), mais pour trouver des solutions, il faut d’abord comprendre les causes, les exposer toutes sans faux-fuyants, explorer les rapports entre les divers éléments de causalité qui se sont agrégés d’une certaine manière – historiquement arbitraire, car elle n’a rien de « nécessaire » ni d’inscrit dans je ne sais quel ordre des choses -, comprendre pour pouvoir expliquer, interroger et remettre en cause globalement.
Eduquer, oui, bien sûr. Mais l’éducation – et le développement d’un esprit critique – ne peut pas porter sur des aspects isolés, car elle manquerait son but et ne pourrait en rien contribuer à un changement du système. Et changer des aspects en surface aide au contraire le système à se reproduire avec un minimum de pertes, si je puis dire, en tout cas avec un minimum de concessions.
Les modifications apparentes – comme on en a vu récemment sur la question de la transparence des conflits d’intérêts – donnent au système néolibéral les moyens de s’actualiser avec un minimum de frais et de mieux s’enraciner et se présenter comme « naturel » et horizon ultime, incontournable et indépassable.
J’arrête là, je ne vais pas refaire toute l’argumentation dans un commentaire ;))
En tout cas, le système fonctionne parfaitement, et ces manifestations en sont l’effet recherché, voulu – et non pas secondaire, ni indésirable.
Cordialement
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Bonjour Elena,
j’ai essayé dans mon commentaire d’être modéré par rapport au système capitaliste (commerce) dans son ensemble, car certes il nous entraîne vers notre perte d’un coté mais de l’autre il encourage aussi le progrès (progresser, progression) même si ce progrès est souvent orienté dans de mauvaises directions (profits à court terme, absence de vision à long terme).
La critique est aisée mais aucun autre système politique n’a pour l’instant fonctionné. Je rêve comme beaucoup d’un communisme éfficace! il ne faut donc pas diaboliser un système quand on ne dispose pas de réelle alternative. Je penche plus pour une critique constructive.
La vie est injuste et nous ne naissons pas avec les mêmes capacités physiques et intellectuelles, et donc nous n’aboutissons donc pas tous aux mêmes conclusions (voire les résultats des élections). De plus des gens plus intelligents en profitent pour manipuler les masses (Le Pen!).
Ma question est simple Elena, quel système cohérent et viable proposez vous comme alternative dans une perspective de surpopulation inévitable (sauf guerre ou catastrophe naturelle)?
La cause (le fond) du problème est la prolifération de l’espèce animale dominante (l’homme) qui est incapable de freiner son expansion entraînant l’épuisement des ressources. Hors ceci n’est pas politiquement correct à dire et notre planète n’est pas extensible!
2 solutions à long terme: une forte décroissance démographique et donc un contrôle très fort de notre reproduction (risque d’eugénisme) ou/et la conquête d’autres planètes viables (l’univers lui est assez grand!)rendue possible par le progrès scientifique.
Au plaisir de vous lire
lionel
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Bonjour Lionel,
Désolée de répondre en retard, comme d’habitude…
Je ne propose rien, aucun système, aucune alternative. Même à supposer que j’aie de telles idées, je m’interdirais de les creuser et de les exposer. De toutes façons, je ne fais pas de philosophie ici, mais une explication peut être utile.
Certes, beaucoup de monde va bien plus loin que vous et dit aux critiques de se taire s’ils n’ont rien à proposer à la place de ce qu’ils critiquent, mais cela est un sophisme destiné à faire taire la critique. Vous le savez tout aussi bien que moi.
Ce n’est pas mon rôle d’imaginer des utopies, des alternatives, des solutions, etc. Et cela ne m’empêchera pas de critiquer « ce qui est tel qu’il est », surtout lorsqu’il se prétend l’ultime et le meilleur, c’est-à-dire lorsque le système néolibéral, en l’occurrence, prétend être moralement fondé et légitimé, prétend découler de je ne sais quelles lois naturelles, être inscrit dans l’ordre des choses, être l’horizon indépassable, etc.
Voir par exemple la « Dialectique négative » de Theodor W. Adorno, l’un des principaux représentants de la Théorie critique.
Un détracteur spécialisé dans de tels exercices raille sur mon compte à propos de la Théorie critique; mais les détracteurs font feu de tout bois, et je n’irai pas dans le caniveau pour chercher des explications. Chacun ses références, ses courants de pensée et écoles de rattachement. La mienne, c’est l’Ecole de Francfort, et je ne pense pas que ce soit la pire référence… Surtout par la philosophie sociale et l »interdisciplinarité qui fait que je peux me mêler de tout, qui fait que nous avons eu même un médecin (et philosophe, quand même) dont les écrits font partie du corpus classique et qui a formé toute la deuxième génération de la Théorie critique.
Et comme son nom l’indique, c’est une théorie critique, donc pas un exercice pratique, pas non plus faite pour livrer des odes et des panégyriques… C’est une NEGATION DETERMINEE (au sens où la négation n’est pas abstraite (juste un rejet en bloc), mais se base sur des arguments, des déterminations, des analyses de la société et des faits sociaux précis, etc.).
Elle n’est pas une théorie d’un système parfait, fermé sur lui-même, se suffisant à lui-même, comme on l’a connu chez Hegel ou d’autres. La contradiction ne lui fait pas peur, au contraire, c’est le cas de le dire…
La Théorie critique est totalement dans l’ouverture et n’a aucune attache métaphysique. En l’occurrence, cela signifie aussi que, pour appliquer les méthodes de cette théorie, c’est-à-dire remplir notre fonction sociale en critiquant tout (commode, pourrait-on penser ;)), on n’a besoin ni d’un fondement (origine) ni d’une fin (aboutissement, fin de l’histoire, utopie positive ou négative, ou imaginer LE système qui serait le meilleur, etc.)
C’est l’ouverture de tous les côtés, la négation des certitudes et des invariants, le parti pris de l’historicité avec tout ce que cela implique, sans aucune sortie de l’histoire, ni de commencement de l’histoire. L’histoire (de l’humanité) est ce qu’on en fait. On n’a donc nulle possibilité de se défausser sur dieu ou sur quelque transcendance que ce soit; on doit assumer nos responsabilités et prendre tous les risques qui vont avec cette ouverture, y compris le néant.
Je n’essaierai donc même pas de chercher des solutions. Ma « fonction sociale » de philosophe social – terme qui n’existe même pas en français en tant que tel -, c’est de prendre un fait social, disons un complexe idéologique, et de le déconstruire de toutes les façons possibles, à l’aide de toutes les sciences sociales. Il faut le défaire dans ses éléments, en diachronie aussi – ce qui rappelle la méthode généalogique de Nietzsche, appliquée d’une façon un peu à part par Michel Foucault -, et analyser pourquoi les composantes se sont amalgamées d’une certaine façon et pas d’une autre, sous quelles influences, puis quelles sont les structures qui lient ces composantes, quelle est la part d’idéologie et à quoi sert-elle, etc.
Pour un système donné, tel que le capitalisme néolibéral, je devrais commencer, si je voulais en faire l’analyse, par confronter la réalité d’un tel système à ses propres prétentions idéologiques, de façon générale ou dans un ou plusieurs domaines. C’est simple, du moins à dire… Cela sert même de définition à ce qu’on appelle « critique des idéologies »: confronter quelque chose à ses propres prétentions et mesurer l’écart, l’analyser et en analyser les déterminations.
Par exemple: est-ce que le capitalisme néolibéral tient ses promesses ? Qu’en est-il de l’INDIVIDUALISME NEOLIBERAL, par exemple, qui est très important dans la discussion actuelle (j’en parlerai dans un texte à partir du powerpoint présenté lors du colloque, texte que je n’ai toujours pas eu le temps de faire). Ce système capitaliste néolibéral qui prétend mettre l’individu au centre, le fait-il réellement, et si oui, se pourrait-il que ce soit plutôt une apparence cachant le contraire, ou alors que l’individualisme soit pris dans un sens régressif ?
Ce régime socio-économique offre-t-il aux individus un CADRE FAVORISANT LEUR AUTONOMIE – au sens moral, bien évidemment, proche de celui de la subjectivité réflexive, délibérative, quasiment synonyme de critique, d’exercice public de la raison? Cette subjectivité qu’il faut construire, parce qu’elle est potentielle dans chacun d’entre nous.
Ou le régime néolibéral est-il au contraire dans l’apparence et dans la réduction du potentiel moral des individus et de l’intersubjectivité ?
(Suite dans le prochain commentaire)
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(Suite de ma réponse à Lionel)
POUR CE QUI EST DE LA SCIENCE
la critique s’attaque aux instrumentalisations et déformations et à ses usages illégitimes, comme dans le scientisme, qui est une sorte de religion laïque. Pas sans intérêt pour la discussion sur la surmédicalisation, parce que la vulgate scientiste induit une croyance illimitée en la médecine, dans les capacités techniques (qu’il s’agisse de l’imagerie ou des interventions médicales ou encore des médicaments). Comme si l’habillage scientifique de la réalité donnait une légitimité éthique à la médecine – vous voyez, on arrive toujours à ce mélange des genres, à ce passage vers des domaines où la médecine est illégitime, comme c’est le cas en éthique.
La critique s’attaque aussi aux prétentions de neutralité axiologique de la science, c’est-à-dire une neutralité sur le plan des valeurs et des idéologies, qui n’exite pas et ne peut pas exister, parce que la science est toujours conçue et appliquée dans un contexte socio-historique et économique précis et qu’elle ne peut pas s’en abstraire, ni même s’abstraire de la subjectivité des chercheurs et autres scientifiques et de leurs valeurs.
La critique s’attaque aussi aux technosciences, ces avatars industriels de la science qui tendent à la phagocyter et prendre sa place (cf. mon essai à partir du livre Labo-Planète, par exemple.
http://pharmacritique.20minutes-blogs.fr/archive/2011/04/11/labo-planete-ou-comment-2030-se-prepare-sans-les-citoyens-p.html
La critique s’attaque aussi aux formes d’irrationalité et à la destruction de la raison, par diverses voies, dont l’autodestruction de l’humanité et la destruction de la nature que vous évoquez… Mais là encore, sans rien prétendre poser à la place. « Juste » une négation déterminée de ce qui est tel qu’il est.
Voilà ce que j’ai à faire; de la critique et rien d’autre.
Selon la division sociale du travail, c’est à d’autres d’imaginer des alternatives: les poètes et écrivains, par exemple.
Bien cordialement,
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