Sanofi Aventis condamné à indemniser 15 autres victimes espagnoles de l’Agréal

Peu après la mi-mars, la Cour provinciale de justice de Barcelone a condamné le laboratoire Sanofi Aventis a indemniser 15 autres victimes du Procès Placebo Journal.jpgmédicament Agréal (véralipride), un neuroleptique non présenté comme tel et largement prescrit pour diminuer les bouffées de chaleur chez les femmes ménopausées. Cette même juridiction avait déjà rendu un verdict similaire dans le cas de trois victimes.

Dans la note « La farmacéutica Sanofi Aventis deberá indemnizar a otras 15 víctimas de Agreal« , en date du 30 mars, le journaliste d’investigation Miguel Jara rend publiques les informations fournies par l’avocat des victimes, Fernando Osuna. Informations que nous complétons par celles tirées d’une brève parue le 21 mars sur le site du journal El Periodico de Aragon, « Indemnizada una afectada por el Agreal« . Le journal s’intéresse à l’Aragonaise qui fait partie des 15 victimes. Et la mise à jour apporte d’autres détails importants tirés du site du journal EcoDiario.

Pour une présentation d’ensemble des problèmes posés par l’Agréal, vous pouvez commencer par la note faite par deux victimes pour Pharmacritique, avant que les grands media ne commencent enfin à s’y intéresser: « Médicament – poison: AGREAL« . Les témoignages postés dans les commentaires donnent un aperçu de ce à quoi doivent faire face les victimes, confrontées non seulement aux effets secondaires, mais aussi au rejet et au déni des professionnels de santé.

Les détails de la décision

Selon l’avocat des victimes, la décision de la Cour de justice barcelonaise confirme que l’Agréal est bien la cause des effets extrapyramidaux (tremblements, mouvements involontaires, symptômes parkinsoniens) dont souffrent les plaignantes. Auxquels s’ajoutent d’autres effets secondaires, mentionnés par le journal aragonais cité ci-dessus : dépression, crises d’anxiété, pertes de mémoire, douleurs musculaires, paralysies faciales…

Les magistrats jugent que la notice du médicament n’informe pas sur ces risques. Il aurait été « raisonnable et prudent » que Sanofi y insère une mise en garde sur la possible survenue de troubles psychiques ainsi que d’un syndrome de sevrage. Et Miguel Jara de rappeler le cas d’une femme andalouse qui s’est suicidée parce qu’elle ne supportait pas le sevrage et souffrait des suites de cette dépendance et de véritable toxicomanie induites par l’Agréal.

Quant à la durée du traitement, la Cour de justice estime que les informations fournies par la notice sont « incomplètes et trompeuses ».
Le message de la Cour est sans ambiguïté : la relation de cause à effet entre la prise du médicament et la détérioration de l’état de santé des victimes est clairement démontrée.

Les victimes de l’Agréal ont pu produire suffisamment de preuves médicales attestant qu’elles ne souffraient d’aucun des symptômes incriminés avant la prise de ce médicament et qu’aucune autre cause n’a pu affecter leur santé et provoquer ces maux.

La décision est jugée « acceptable » du point de vue des victimes, compte tenu des difficultés inhérentes lorsqu’il s’agit de prouver une relation de causalité. Difficultés évidentes lorsqu’on compare leur manque de ressources financières – nécessaires pour payer des expertises en neurologie, en médecine interne ou en psychiatrie – avec la puissance financière de Sanofi Aventis. Celui-ci dispose d’une pléthore d’experts juridiques, de chercheurs et de médecins, dont presque tous ont le titre de professeur.

L’avocat des victimes insiste sur les nombreux obstacles auxquels celles-ci ont dû faire face, à commencer par le refus des médecins et des institutions médicales de coopérer, sous prétexte d’éviter d’avoir affaire à la justice. Dans certains cas, l’avocat a dû recourir à des requêtes officielles pour obtenir les dossiers médicaux des femmes concernées.

Près de 1.600 femmes ayant pris de l’Agréal ont déjà contacté le cabinet d’avocats d’Osuna, mais celui-ci estime que le nombre total des plaignantes pourrait atteindre les 4000. Les deux principales demandes étant que la justice oblige Sanofi Aventis à une compensation financière d’à peu près 60.000 euros pour chacune des victimes et stipule clairement que le médicament est la cause de tous ces maux.

On est très loin du compte, puisque, comme nous l’apprend El Periodico de Aragon, la somme totale qui devra être payée par Sanofi atteint à peine 55.600 euros répartis entre les 15 victimes. L’Aragonaise ne recevra ainsi que 2.700 euro.

On attend le verdict dans plusieurs autres procès en cours.

A noter que c’est la même juridiction barcelonaise qui avait déjà rendu une décision permettant l’indemnisation de trois victimes de l’Agréal, dont la famille de la femme qui s’est donné la mort.

A quand un cadre législatif-juridique protégeant les consommateurs et rendant les firmes responsables de leurs produits ??

3.700 euros en moyenne, ce n’est vraiment pas cher payé pour une vie détruite.

Comme toujours en Europe, les laboratoires pharmaceutiques s’en tirent à bon compte, surtout si l’on pense qu’ils ne sont pas inquiétés du tout dans la majorité des pays européens, puisque leur législation ne permet pas de tels recours en justice… La législation française non plus.

L’impossibilité d’intenter un recours collectif en justice (class action) revient à exonérer d’emblée les firmes de toute responsabilité. Si l’on pense qu’il n’y a pas non plus de notices et RCP (résumé des caractéristiques du produit) dignes de ce nom et pas de lois garantissant l’accès aux informations détenues par les instances publiques ou par les firmes – sur le modèle du FOIA américain : Freedom of Information Act – qui rendraient possible une action associative, on réalise mieux à quel point les droits des usagers sont négligés pour que rien ne vienne entraver les profits privés. J’ai l’habitude de dire que la réglementation et l’interventionnisme étatiques ne sont pas là où nos préjugés les situent…

Nous voyons partout les plaintes rituelles de ceux qui déplorent un « trop d’Etat » en France, alors que cette perception est complètement fausse dans le domaine qui nous intéresse. Ces chantres du néolibéralisme donnent habituellement les Etats-Unis comme exemple à suivre. Chiche!

Il n’y a pas de protection étatique des usagers en France, mais il existe une protection et des moyens législatifs et juridiques d’action aux Etats-Unis, mis en place par les puissances publiques. Ce modèle (dissuasif tout autant que défensif) de la réparation en justice – le tort litigation system – a été attaqué maintes fois par les firmes pharmaceutiques qui rêvent d’un bouclier juridique les mettant à l’abri de toute poursuite, mais même l’actuelle Cour suprême américaine, pourtant très ancrée à droite, s’est prononcée pour le maintien de ces garanties. Voir à ce sujet les notes de la catégorie « Firmes et bouclier juridique: immunité, préemption« , et tout particulièrement celle rendant compte de la décision: « Les firmes pharmaceutiques n’auront pas d’immunité juridique pour les effets secondaires. La Cour suprême américaine rejette la préemption« .

Les puissances publiques des Etats-Unis sont d’ailleurs elles-mêmes les plaignants les plus intrépides s’agissant de dénoncer et de réprimer les abus de l’industrie pharmaceutique…

Les procès les plus retentissants et qui aboutissent aux plus fortes amendes infligées aux firmes sont ceux intentés par les Etats ou par l’Etat fédéral, en association avec des lanceurs d’alerte (whistleblowers). Mais ceux-ci ont un statut qui les protège et ils sont rémunérés pour leurs efforts. Rien de tel en France, où ils prennent des risques sans contre-partie et sont exposés directement aux représailles des lobbies, sans aucune couverture.

Il faudrait réfléchir à cela et prendre les mesures qui s’imposent...

L’exemple de certaines caisses publiques d’assurance-maladie d’Allemagne est déjà un pas en avant et traduit la volonté de sortir de l’impuissance des usagers et de la sécurité sociale face à l’industrie pharmaceutique et à son réseau de vassalités médicales et politiques: « L’assurance-maladie allemande veut traîner Merck en justice, au nom des victimes du Vioxx. Retour sur un désastre annoncé« .

Illustration tirée du Placebo Journal.

Mise à jour

Je viens de recevoir un lien vers une dépêche d’Europa Press reprise le 20 mars sur le site Eco Diario : « Condenan a indemnizar con 55.000 euros a una quincena de mujeres por efectos del Agreal » (Le laboratoire devra indemniser une quinzaine de femmes ayant subi les effets d’Agréal, pour un total de 55.000 euros).

On apprend que la Cour provinciale de justice de Barcelone a certes imposé à Sanofi de payer des dommages et intérêts allant de 900 à 2.100 euros à 15 victimes, mais aussi qu’elle a rejeté la demande de 45 autres. Il s’agit quand même d’un progrès, puisqu’un tribunal barcelonais avait rejeté en bloc l’action de 130 victimes par une décision rendue en juin 2007. (Et puis un autre avait condamné Sanofi Aventis à payer à 3 victimes une somme tout aussi symbolique que les montants actuels).

L’information la plus importante apportée par cet article est celle qui confirme à quel point ces femmes ont manqué d’appui institutionnel, en plus de l’absence de soutien de la profession médicale. On apprend que le ministère espagnol de la santé et de la consommation avait fait savoir en février 2007, à travers l’agence espagnole du médicament, qu’il n’y avait pas d’explication biologique permettant de conclure que les symptômes de ces femmes étaient dus à l’Agréal. (Et ce alors même que le médicament avait été retiré du marché espagnol en 2005, 2 ans avant son retrait du marché français. Mais cela ne saurait nous étonner, puisque l’AFSSAPS est toujours à la traîne). Il s’agirait, selon l’agence espagnole du médicament, de troubles non spécifiques, ne correspondant à aucune affection neurologique, à aucune maladie, et qui seraient similaires à ceux que les médecins constatent dans leur « pratique clinique quotidienne » chez les femmes âgées de 40 à 60 ans (!!).

Façon d’insinuer que « c’est dans la tête », que les femmes de cet âge-là seraient un peu folles? Cela se passe de commentaires.

Merci

à l’association médicale indépendante No gracias.eu, présentée dans cette note, pour le lien initial vers la note de Miguel Jara, et à Chantal pour le lien vers l’article d’Eco Diario.

Elena Pasca

2 réflexions au sujet de “Sanofi Aventis condamné à indemniser 15 autres victimes espagnoles de l’Agréal”

  1. Merci Pharmacrique pour cette suite à « Médicament – poison : Agréal. »
    « 3.700 euros en moyenne, ce n’est vraiment pas cher payé pour une vie détruite », en effet cette somme (et certaines autres) sont ridicules ; on se rend compte que l’on vaut peu de choses aux yeux de SANOFI.
    Moi qui suis en relation avec les femmes espagnoles, je peux vous dire que certaines ont arrêté cette drogue depuis 2004 et se voient très souvent dans l’obligation de garder le lit durant plusieurs jours, tant leurs douleurs sont violentes, notamment au niveau de la tête et, aucun médicament ne fait de l’effet.
    Les mêmes symptômes se retrouvent chez les femmes françaises, mais SANOFI nie le lien entre Agréal et les douleurs, pourtant les faits sont là.

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  2. Merci pour votre message et pour le lien que vous m’avez envoyé, Chantal.
    J’ai fait une mise à jour pour ajouter d’autres détails, et notamment un « détail » que je trouve vraiment choquant et qui confirme que tout est bon pour défendre les intérêts de Sanofi Aventis. Même les insinuations que ce serait « dans la tête » et que de toute façon les femmes à cet âge-là…
    Je suis écoeurée, il n’y a pas d’autre mot.
    Bon courage à toutes les victimes, il en faut face à de telles vacheries!
    Amitiés et toute ma solidarité.

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