Dans la note « L’enseignement et la recherche doivent rester publics, au service de l’intérêt général! Appel contre la stratégie européenne de privatisation érigeant un « marché de la connaissance« , Pharmacritique a repris et commenté le texte de l’Appel – signé par plusieurs collectifs citoyens, d’universitaires et d’étudiants – à la résistance contre la stratégie européenne amorcée en 2000 à Lisbonne, qui effectuera la mise au pas nécessaire pour que l’AGCS (Accord général sur le commerce des services, bible de l’OMC signifiant la casse de tous les services publics, voir plus bas) puisse s’appliquer pleinement. Nous avons mentionné au passage la manifestation de demain, 10 février. Voici quelques détails sur celle-ci, mais surtout des références pour comprendre les raisons de l’ensemble du mouvement, qui continuera au-delà de la manifestation, jusqu’au retrait de la loi Pécresse (LRU: Libertés et responsabilités des universités).
La mobilisation et la grève s’étendent peu à peu au monde universitaire dans son ensemble. La manifestation nationale partira demain, 10 février, de la place Edmond Rostand (niveau Luxembourg sur le boulevard Saint-Michel, à Paris) à 14h, en direction de l’Assemblée Nationale, par les boulevards Saint-Michel, du Montparnasse et des Invalides.
Un appel à la mobilisation de demain, paru sur le site de Sauvons la recherche (SLR) commence ainsi: « Si Nicolas Sarkozy n’entend rien, demain 10 février nous crierons plus fort« . D’autres textes sont disponibles à partir de cette page du même site.
« UNIVERSITES, LE GRAND SOIR » – le documentaire à voir
Sauvons la recherche et L’autre campagne ont conçu l’excellent documentaire Universités, le grand soir, réalisé par Thomas Lacoste, dont vous pouvez visionner les quatre parties sur Dailymotion, si ce n’est déjà fait. Voici les liens vers la première partie, la deuxième partie, la troisième partie, enfin la quatrième partie. Ce documentaire fait partie de la série « Réfutations » et on peut lire que « Pour soutenir cette initiative et les futurs opus de la série « Réfutations » vous pouvez acheter le DVD 12 € (frais de port inclus) paiement en ligne www.lautrecampagne.org ou par chèque à l’ordre de L’Autre association, 3, rue des Petites Ecuries, F-75010 Paris. »
L’EXCELLENTE ANALYSE D’ATTAC
Un texte qui explique bien les enjeux est celui paru le 4 février sur le site d’ATTAC France, sous le titre « L’Enseignement supérieur et la recherche dans l’œil du cyclone« . « L’enseignement et la recherche, lieux de première importance dans le fonctionnement d’une démocratie, constituent une cible privilégiée des attaques du président de la République et de son gouvernement ». On apprend quel est l’impact de la loi LRU (« Libertés et responsabilités des universités » ou loi Pécresse), quels sont ses vrais objectifs et comment elle s’inscrit dans une « dérive marchande européenne », par l’inclusion de l’enseignement supérieur dans les domaines sujets à l’AGCS (Accord général sur le commerce des services ou GATS: General Agreement on Trade in Services), dont la stratégie de Lisbonne ne constitue que le prélude – les travaux de démantèlement des systèmes publics d’enseignement et de recherche) – pour les pays européens.
Pour en savoir plus, on peut consulter ce site d’information sur l’AGCS ou celui de la Convention internationale des collectivités locales pour la promotion des services publics face à l’OMC / AGCS. (Le logo vient de là).
ATTAC note, dans le sillage de la loi LRU, « une attaque frontale contre la laïcité, l’accord du 18 décembre 2008 signé avec le Vatican donnant aux facultés catholiques le droit de collation des grades universitaires, c’est-à-dire le droit de décerner les diplômes de licence, master et doctorat. À terme, le baccalauréat, premier grade universitaire, pourrait être concerné ».
« Se développeront ainsi le recours à une main-d’œuvre précaire, éventuellement financée sur fonds privés, des coupes budgétaires dans certaines filières, voire la revente du patrimoine immobilier ou culturel de l’Université, ainsi qu’une certaine soumission aux intérêts des mécènes. Les lettres et les sciences humaines et sociales sont tout particulièrement menacées, dans leur existence, sinon dans leur indépendance. (…)
La mise en concurrence aura probablement des conséquences dramatiques pour certaines universités de province, appelées à se spécialiser dans des formations courtes et professionnalisantes devant répondre aux besoins immédiats des entreprises locales, tandis que les grandes universités et écoles auront seules le prestige de fournir des formations « culturelles », longues et théoriques, offrant des bases utiles tout au long de la vie professionnelle. (…)
Les personnels seront confrontés aux joies du management moderne, basé sur le « mérite » et sur une gestion des carrières largement soumise à des décisions arbitraires des directions locales, avec d’importantes différences de salaires, grâce au système des primes. Le recours à des CDD de l’enseignement sera appelé à se généraliser pour réduire les coûts, améliorer la « flexibilité » et assurer le respect de la ligne politique attendue par les financeurs privés, au détriment de la liberté académique. C’est déjà ce qui se passe aux États-Unis (…).
De surcroît, la perte de liberté intellectuelle des enseignants, en faveur d’une hégémonie de l’idéologie néolibérale dans les programmes, et l’accentuation du recentrage déjà en cours des enseignements sur la formation professionnelle et sur l’adaptation au monde de l’entreprise s’opéreront au détriment de la formation de la personne et du citoyen. Le passage par l’université sera moins que jamais celui d’un épanouissement humain, et, d’année en année, toujours plus celui d’un formatage. Seules demeureront peut-être quelques poches de résistance. »
Ne manquez pas les paragraphes parlant des étapes de la marchandisation européenne, expliquant comment Lisbonne mène tout droit à l’AGCS. Un extrait sur les débuts du processus : « Ainsi, la Stratégie de Lisbonne (2000) fixe pour l’UE l’objectif d’une « économie de la connaissance la plus compétitive » du monde. À cette fin « l’esprit d’entreprise et les aptitudes sociales » sont mis explicitement sur la liste des « nouvelles compétences de base dont l’éducation et la formation tout au long de la vie doivent permettre l’acquisition » ». Lorsque les « harmonisations » résultant de la mise en concurrence généralisée des universités conçues comme des organismes à but lucratif auront été achevées, les dispositions de l’AGCS pourront s’appliquer pleinement.
« (…) Un objectif du gouvernement est de ne financer la recherche quasiment que sur projets (souvent d’une durée de trois ans). Si cette forme peut être intéressante dans le domaine de la recherche finalisée, elle représente un danger pour la recherche fondamentale, pour les thèmes jugés non rentables et pour la recherche appliquée du futur. Les chercheurs ont besoin d’espaces de liberté non contraints par une utilité de court terme. C’est une des conditions de ce qu’on appelle la recherche libre. Ainsi, Albert Fert explique qu’il n’aurait pas reçu le prix Nobel de physique pour une recherche financée sur projet. Et que penser de l’avenir des recherches en lettres ou en sciences humaines et sociales, qui auront bien du mal à justifier une quelconque « utilité » ou « rentabilité », et qui restent pour autant indispensables au bon fonctionnement et à la richesse d’une société libre et démocratique ? (…) »
Le texte entier vaut le détour.
Dans un système de recherche à la Pécresse, ALBERT FERT n’aurait pas eu le prix Nobel de physique en 2007
Albert Fert, que gouvernement a assidûment courtisé pour qu’il soutienne la loi LRU, dénonce « une réforme incohérente et mal pensée » dans ce texte paru sur Sciences Blog de Libération et co-signé avec trois autres universitaires et chercheurs: « Université et recherche: le Nobel de physique Albert Fert critique sévèrement Sarkozy et Pécresse« .
« [L]a réforme porte gravement atteinte au principe d’indépendance des universitaires. Or ce principe est consacré dans tous les pays dotés d’universités performantes, tout simplement parce que l’indépendance est indispensable à une recherche créative et à un enseignement de qualité. « L’université est une communauté de chercheurs scientifiques libres de suivre leurs idées dans n’importe quel domaine du savoir » a dit un président de l’université Rockfeller, célèbre université privée américaine. Loin d’améliorer la qualité de la recherche et de l’enseignement supérieur, la réforme projetée aboutira ainsi [par les pouvoirs exclusifs des présidents d’universités et des conseils d’administration, à l’exclusion du CNU ou Conseil national des universités] au « clientélisme » et au « localisme » si souvent dénoncés par le ministère. »
« Les modalités de mise en oeuvre » de la « modulation envisagée » dans le rapport enseignement – recherche « en font une mesure dangereuse, hypocrite et contre-productive« .
Le texte dénonce une série de contradictions dans les réformes envisagées ainsi que leurs conséquences néfastes. Parmi elles, l’éclatement pur et simple du CNRS « sonnerait le glas d’une vision nationale pluridisciplinaire de la science française ».
LES TEXTES DE « SAUVONS L’UNIVERSITE »
Une large série de textes sur les raisons de la mobilisation, ses formes et ses étapes est disponible sur le site de l’association Sauvons l’Université (SLU), d’où sont reprises aussi les deux caricatures avec Sarkozy. A lire tout particulièrement la réponse au discours de Sarkozy: « Myopie et surdité« , qui dénonce les « contre-vérités et [l]es réductions schématiques qui composent une présentation complètement biaisée des principales questions posées », un « schématisme – dont on est en droit de se demander s’il relève de la méconnaissance du dossier ou de la manipulation« , les « mensonges propagés par le gouvernement » quant aux classements internationaux évaluant les résultats de la recherche. Par exemple, Sarkozy – Pécresse et les media ne parlent pas du fait que « dans le classement OCDE 2007, la France est 6ème en nombre de publications, alors qu’elle n’est que 16ème en taux de financement de la recherche par habitants… »
Rien n’est dit de la privatisation, des efforts faits pour instrumentaliser la recherche publique et la mettre au service des profits industriels privés: Sarkozy et ses ministres passent sous silence « l’augmentation massive du crédit impôt recherche [CIR] que l’on se garde bien d’évaluer (ce qui est étonnant pour ce chantre de l’évaluation systématique) afin de ne pas dévoiler que le fameux « effet-levier » que ce dernier est censé favoriser n’existe pas et se réduit à un effet d’aubaine pour le secteur privé français. »
AU QUEBEC, MEME COMBAT, même résistance contre la mise au pas des universités au profit des intérêts privés
« Recherche en danger« , texte paru le 2 février dans le journal Alternatives, est signé par Cécile Sabourin, présidente de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU). L’auteure dénonce la pression sans relâche pour établir des partenariats public – privé qui détournent les résultats de la recherche « au profit d’un secteur particulier de la société québécoise ». De plus, les citoyens ne sont pas consultés et la liberté d’expression n’est plus à l’ordre du jour. Or, « En l’absence de conditions permettant pour les chercheurs l’expression libre d’analyses éclairées, la société perd la garantie que le travail universitaire est effectué en l’absence de pressions économiques et politiques indues. »
Extraits: « Depuis le début des années 2000, d’importantes modifications ont été apportées aux politiques publiques en matière de recherche, et ce, tout juste après que les universités aient été soumises à une période d’appauvrissement résultant de la lutte aux déficits et des coupures dans les transferts fédéraux pour l’enseignement supérieur. Sous-financées, elles ont été incapables de résister aux exigences associées à l’octroi de nouveaux fonds. Parmi ces exigences, il faut noter l’incitation à recourir au secteur privé et à établir des partenariats. Le secteur privé a flairé la bonne affaire et s’attend désormais à des retombées sous forme d’innovations commercialisables. (…)
Dans les domaines les plus propices aux retombées commerciales – santé, médecine, ingénierie – les professeurs sont incités à adopter une logique qui les él
oigne de celle de la recherche publique et de l’université : limites à la divulgation des résultats, obtention de brevets, cession de licences, création d’entreprises dérivées, transferts des résultats de la recherche vers des entreprises qui sont en mesure de les commercialiser. Sont ainsi privilégiés des processus propres au secteur privé tel le secret (…), le marketing de l’image, la gestion bureaucratique du processus de recherche. Les programmes de recherche sont découpés et le financement accordé en fonction de la rentabilité et des retombées « promises » à chacune des étapes. Cela explique toute la publicité qui entoure des « découvertes » dont on dit peu de choses (…). »
» (…) les fonds sont souvent octroyés sur la base d’appels d’offres qui circonscrivent les objets de recherche ou même imposent des cadres très précis, laissant peu de place à l’exploration libre et à la créativité.
La recherche fondamentale, la recherche libre et la recherche individuelle sans but précis deviennent difficiles à entreprendre, faute de soutien et de reconnaissance. Les conditions nécessaires à l’élaboration de nouvelles connaissances dont on ne connaîtra les applications que beaucoup plus tard, comme ce fut le cas pour de nombreux produits désormais d’usage courant, disparaissent. Les conditions qui sont essentielles à la préservation de la liberté universitaire s’en trouvent compromises. La société québécoise dans son ensemble en est appauvrie et elle le sera encore davantage si cette tendance se poursuit. (…) »
A LIRE AUSSI :
- « Grève des universités: Un appel d’Isabelle This Saint-Jean, présidente de SLR [Sauvons la recherche] », texte paru le 29 janvier sur Sciences Blog de Libération.
- « La Fondation Sciences Citoyennes soutient la mobilisation des universitaires«
- « Université : des réformes en trompe-l’oeil« , par Jean Fabbri, Bertrand Monthubert et Jean-Baptiste Prévost, texte paru le 18 novembre 2008 dans Le Monde.
- Le site de l’association Sauvons la recherche (SLR) nous apprend que « les présidents d’universités et les représentants des présidents d’universités, présents en Sorbonne le 9 février 2009, appellent les deux ministres, de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur et recherche à retirer tous les projets de réformes controversés. Condition nécessaire à l’ouverture de véritables négociations et à la relance du nécessaire processus de réformes auquel doit être associé l’ensemble de la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les universités concernées sont Paris-III Censier, Paris-IV Sorbonne, Paris-VIII Saint-Denis, Paris-X Nanterre, Paris-XIII Villetaneuse, Montpellier-III, Besançon, Rouen et Grenoble-III, auxquelles s’est associé l’Institut national des langues et civilisations orientales ».
Elena Pasca