Vaste programme de visite académique en vue en Ontario, pour contrecarrer l’influence de la visite médicale commerciale sur les médecins

Pharmacritique a parlé dans cette note et dans celle-ci de ce qu’est la visite académique tout comme de la volonté états-unienne de financer un programme de academic detailing ou outreach visit, qui reprend l’idée de la visite médicale, mais faite par des professionnels de santé indépendants. (A noter que le sénateur démocrate Herb Kohl, à l’origine du projet états-unien, soutient aussi la nouvelle version du projet de loi sur la transparence des sommes versées aux médecins par les firmes, main dans la main avec le justicier républicain Charles Grassley).

Le premier programme canadien de visite académique a été celui de Nova Scotia. D’autres ont vu le jour dans les provinces Alberta, Manitoba et Saskatchewan, mais ils souffrent d’une absence chronique de fonds qui limite leur impact et ne leur permet pas de contrecarrer efficacement l’impact de la visite médicale commerciale payée par les firmes pharmaceutiques.

British Columbia est en train de mettre en place elle aussi un programme de visite académique, et le journal National Post en date d’hier (29 janvier) nous apprend que le ministre de la santé d’Ontario annonce un dispositif semblable dans l’ensemble de la province (« Ontario aims to counter drug firm sales pitches« ), destiné à contrecarrer l’influence des firmes sur les prescriptions des médecins, qui se traduit par une explosion des coûts de la santé.

Le journaliste mentionne deux articles parus dans la revue PLoS Medicine, qui démontrent que les médecins ne peuvent pas rester insensibles – malgré l’argumentation contraire de la plupart d’entre eux -, aux sirènes des visiteurs médicaux, et ce en dépit des restrictions en matière de cadeaux. Ces études méritent attention, surtout de la part des médecins et pharmaciens qui pensent à tort que leurs décisions ne seraient pas sujettes à cette influence. Le premier s’intitule « Characteristics and Impact of Drug Detailing for Gabapentin » (Les spécificités et l’impact de la visite médicale portant sur la gabapentine [Neurontin]). Le deuxième est co-écrit par Adriane Fugh-Berman, directrice du projet de désenvoûtement pharmaceutique PharmedOut, et par Shahram Ahari, ancien visiteur médical d’Eli Lilly. Il s’intitule « Following the Script: How Drug Reps Make Friends and Influence Doctors » (Se conformer au scénario [écrit par le département marketing des firmes] ou Comment les visiteurs médicaux se comportent en amis et influencent les médecins).

Shahram Ahari a dénoncé nommément les techniques de vente du Zyprexa (olanzapine), dans une vidéo reprise et commentée dans cette note, et continue à faire des exposés, y compris dans des facultés de médecine, pour permettre aux étudiants d’identifier les combines utilisées par les visiteurs médicaux visant à établir des relations de confiance avec les médecins, afin d’exploiter aussi le côté affectif ou boucler la boucle de l’influence par tous les moyens. La note « L’attirance sexuelle entre visiteurs médicaux et médecins : outil de manipulation très efficace, dit Shahram Ahari« , rend compte de l’existence de certaines zones grises difficilement imaginables pour un usager.

Avoir l’amitié facile est un attribut de base des VRP des firmes, qui sont entraînés à identifier les points faibles des médecins et les prendre par les tripes pour en tirer profit, comme le soulignait aussi Peter Mansfield, fondateur de l’association internationale Healthy Skepticism – à laquelle Pharmacritique est affiliée – et grand connaisseur de la question (voir cette note ou celle-ci). C’est même devenu un véritable concept du marketing, appelé « physician engagement« , développé par des prestataires de services qui ont tenté d’en codifier certaines spécificités afin de mieux le vendre à ses clients pharmaceutiques. Il existerait plusieurs degrés d’implication, selon PeopleMetrics, qui base ses dires entre autres sur une enquête effectué parmi 475 psychiatres et généralistes. L’affect l’emporte sur l’exigence de preuves : « l’implication affective » – ou attachement émotionnel – est un levier très efficace de la manipulation par l’industrie pharmaceutique, disions-nous dans la note « Oubliez l’EBM et la science! Les visiteurs médicaux tiennent bien les médecins par les tripes, selon une enquête« .

Pharmacritique a largement abordé ces questions dans les notes de la catégorie « Des visiteurs médicaux et de leur impact« , tout comme dans celles parlant de la « Formation médicale continue par les firmes« . Quant aux questions de manipulation, d’influence inconsciente, de soumission librement consentie, de décision sous contrainte invisible mais avec l’illusion de la liberté, d’influence invisible, de déterminismes inconscients, etc., la littérature regorge de livres et d’articles à ce sujet, le plus accessible étant celui de Jean-Léon Beauvois et de Robert-Vincent Joule : « Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens » (PU Grenoble 2002). A noter qu’il est question précisément d’une « psychologie de l’engagement » et d’un « piège abscons » menant à une escalade dans l’engagement, à des rationalisations qui ne font qu’enfoncer les individus encore plus dans l’irationnalité qu’ils contestent, etc. Que les médecins qui se croient invulnérables – et pas seulement eux! – lisent d’abord cet ouvrage, et on ira plus loin dans les conseils de lecture 😉

PS : Quant au programme de visite académique de Nova Scotia, menée par une équipe de l’université de Dalhousie, ses résultats sont exposés dans la note « Enquête canadienne : des médecins généralistes évaluent la visite académique intégrée à leur formation continue« , citée au début de ce billet.

Elena Pasca

Copyright Pharmacritique

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