Le Medical Journal of Australia publie ce mois-ci (janvier 2009) un article intitulé « Patients expect transparency in doctors’ relationships with the pharmaceutical industry » (Les patients demandent de la transparence dans les relations des médecins avec l’industrie pharmaceutique).
Il s’agit des résultats, analysés par Martin Tattersall et al, d’une enquête anonyme auprès de 906 patients fréquentant trois centres de médecine générale – un centre hospitalier et deux structures privées de Sydney -, cherchant à savoir comment ils perçoivent les interactions entre médecins et firmes pharmaceutiques et quels sont leurs souhaits quant à la déclaration des conflits d’intérêts des praticiens. Un questionnaire en 18 points leur a été soumis en octobre et novembre 2007. Nous parlons des résultats globaux, dont le détail peut être lu dans le texte original en libre accès, puis rappelons les positions de Pharmacritique et de certaines de ses références habituelles, à l’aide de liens.
Les résultats montrent que la plupart des patients (76%) n’étaient pas informés d’une quelconque relation que leurs médecins auraient avec des laboratoires pharmaceutiques. Ils souhaitaient savoir si leur médecin a obtenu des avantages en espèces ou en nature de l’industrie pharmaceutique (71%), des incitations financières pour participer à des recherches médicales (69%) ou des financements pour assister à des conférences (61%).
La plupart ont considéré que la déclaration d’intérêts par les médecins est importante (84%), estimant même que cette déclaration pourrait aider les patients à prendre des décisions mieux informées quant à leur traitement (78%). 80% des patients ont affirmé qu’ils feraient plus confiance aux décisions de leurs médecins si les intérêts de ceux-ci seraient entièrement déclarés, la plupart préférant que cette déclaration soit faite oralement par le médecin lors des consultations (78%).
A noter que plus les patients sont jeunes et éduqués, plus leurs exigences de transparence sont fortes, ce qui dénote une prise de conscience accrue de l’impact des conflits d’intérêts sur la qualité des soins, expliquée à la fois par un changement générationnel – les patients ne regardent plus les médecins comme des notables dont les actes seraient soustraits à la critique – et par l’efficacité progressive des initiatives de dénonciation des conflits d’intérêts. Pharmacritique a fait part de ce constat, par exemple dans cette note qui commente les résultats d’une enquête menée aux Etats-Unis par Prescription Project.
Ou encore dans celle-ci, parlant d’un sondage états-unien qui met en évidence que la réputation de l’industrie pharmaceutique n’est plus ce qu’elle était, surtout depuis le scandale du Vioxx et les initiatives de l’infatigable sénateur Charles Grassley, dont les investigations révèlent toujours plus de dérapages des médecins inféodés aux firmes (et de l’industrie elle-même, bien entendu). Lorsque seuls 11% des interrogés considèrent que l’industrie pharmaceutique est « honnête et digne de foi », cela montre qu’il y a urgence à redéfinir la stratégie et à se refaire une virginité par des incantations éthiques et déontologiques (sic), dont la quintessence a été parfaitement saisie dans cette caricature comme dans celle-ci.
Les principales études précédentes sur l’opinion des patients
Les auteurs soulignent la nécessité de telles enquêtes, à des échelles de plus en plus grandes, permettant de vérifier les résultats, dans un contexte d’information peu fournie sur le point de vue des patients sur les relations médecins – industrie. Ils rappellent l’existence d’une étude américaine utilisant des données recueillies auprès des groupes de candidats à des essais cliniques, qui a montré que ceux-ci étaient désireux d’en savoir plus sur les intérêts financiers dans la recherche clinique (Weinfurt et al, J Gen Intern Med 2006; 21: 901-906: « Views of Potential Research Participants on Financial Conflicts of Interest: Barriers and Opportunities for Effective Disclosure » (Avis des participants potentiels à des recherches médicales sur les conflits d’intérêts financiers: obstacles et possibilités pour une déclaration efficace)).
Dans une étude américaine de l’opinion publique au sujet de la déclaration par les médecins des incitations financières reçues pour limiter les prescriptions d’examens, 94,8% des répondants voulaient être informés sur ces mesures d’incitation et 80,5% souhaitaient disposer de cette information au moment du choix d’un prestataire de soins (Levinson et al, Arch Intern Med 2005; 165: 625-630 : « The Effect of Physician Disclosure of Financial Incentives on Trust« (L’impact de la déclaration des incitations financières reçues par les médecins sur la confiance des patients)).
Toutefois, une autre étude américaine a montré que les patients atteints de cancer considèrent les implications financières de leurs médecins comme un facteur positif, puisque, selon eux, cela permettrait aux médecins d’appliquer les traitements les plus récents (Hampson et al, NEJM 2006; 355: 2330-2337: « Patients’ views on financial conflicts of interest in cancer research trials » (Opinion des participants à des recherches cliniques sur le cancer sur les conflits d’intérêts financiers)).
Transparence par la déclaration : attention aux faux progrès !
Les auteurs de l’enquête australienne ont le mérite de souligner qu’une déclaration seule, non accompagnée d’une réglementation plus stricte (qu’elle ne l’est déjà en Australie) des conflits d’intérêts et du marketing pharmaceutique ne suffit pas à éviter les pratiques irrationnelles des médecins. Elle pourrait bien avoir des effets pervers, dans la mesure où certains médecins pourraient être tentés de considérer que cette déclaration les exonère de toute responsabilité légale et morale, voire même les légitime moralement dans leur pratique d’information biaisée du patient, mettant ce dernier dans la position de caveat emptor.
Pharmacritique a abordé ces aspects sous plusieurs formes :
La transparence relève d’une « gestion » des conflits d’intérêts qui n’est en aucun cas à concevoir comme une élimination desdits conflits et de leur impact sur la pratique de la médecine. Nous l’avons dit par exemple dans la note
parlant des acrobaties de l’AFSSAPS avec les conflits d’intérêts et de la poudre aux yeux que représente la « politique de gestion » de ceux-ci, qui n’est en fin de compte qu’une façon de les légitimer pour mieux les faire accepter. Ou encore dans la note reprenant certains extraits d’un rapport du Sénat.
Il faut tendre vers l’élimination des conflits d’intérêts, pas vers leur banalisation, vers l’indépendance de la formation et de l’information médicales, avons-nous dit aussi dans d’autres notes réunies surtout sous les catégories « Conflits d’intérêts / corruption » et « Formation médicale continue… par les firmes« .
Nous avons souligné dans les notes posant la question « Déclaration d’intérêts – la panacée? » que l’insistance sur la « disclosure » ou déclaration (publique) d’intérêts pouvait faire perdre de vue l’objectif principal et se révéler contre-productive. Penser qu’elle puisse être efficace relève de la pensée magique, avons-nous dit avec Jerome Kassirer, qui ne mâche pas ses mots sur le sujet.
Enfin, nous avons dit dans diverses notes qu’il y avait une multitude d’aspects connexes à prendre en compte; par exemple, les conflits d’intérêts ne sont pas uniquement financiers, loin de là; et le livre de Skrabanek et McCormick donne déjà un bon aperçu de l’installation d’un réseau d' »autorités » circulaires et de biais théoriques créant un système qui s’autoreproduit par toute une série de moyens et de légitimations.
Dans le même sens, il ne faudrait pas oublier les conflits d’intérêts des associations, non soumises à la déclaration et de plus en plus courtisées par l’industrie pharmaceutique, qui sent les réticences de plus en plus grandes de l’opinion vis-à-vis des formes habituelles d’influence sur les médecins et leurs prescriptions. La réallocation d’une grande partie du budget publicitaire vers le « marketing relationnel », révélée dans cet article de L’Expansion en est la preuve. On glisse effectivement « des visiteurs médicaux vers les publicités télévisées« , et la preuve éclatante nous est fournie par l’actualité, et notamment par les efforts déployés par les firmes – de concert avec une Commission européenne acquise aux industriels, afin de contourner l’interdiction de la publicité directe aux consommateurs, sous le prétexte d’une « information patient » qui ne peut être que publicitaire venant de laboratoires qui ont un intérêt commercial direct et ne sauraient donc être à la fois juge et partie. A moins de souffrir de schizophrénie, cas qui ne les rendraient pas plus aptes à décider des politiques de santé publique et de ce qui est ou non bon, efficace et sans trop de dangers pour les patients.
Les diverses tentatives d’élaborer une pseudo-théorie appelée « proximologie » (sic), justifiant le mélange des genres et le soi-disant « accompagnement » des patients sont une insulte à l’égard de ceux qui accompagnent au jour le jour les malades, sans monnayer leur solidarité ni chercher à en tirer un profit quelconque. L’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) a par ailleurs bien saisi que ces programmes dits d’accompagnement et d’aide à l’observance (du traitement) ne sont qu’une extension et une actualisation du marketing habituel des firmes. Quant à la prétention à l' »éducation thérapeutique« , elle est tellement ridicule qu’elle se passe de commentaires… Si ce n’est que l’éducation (à la) thérapeutique se fait déjà, et notamment dans les facultés de médecine, comme l’a révélé un article du British Medical Journal traduit par Pharmacritique dans cette note.
De quoi se dire que la volonté des patients d’en savoir plus sur les conflits d’intérêts doit se traduire dans des actes.
Ya basta!
Elena Pasca
copyright Pharmacritique
J’espère que tout le monde ayant Internet Explorer voit les dernières notes correctement et en entier. Croisez les doigts, j’ai peut-être trouvé la solution, en suivant les conseils d’amis informaticiens, puisque ceux de 20 minutes ne m’ont été d’aucun secours (une seule réponse à mes mails: Word est coupable, enlevez telle phrase. Point barre). Sauf que ça n’a pas marché.
j’utilise un éditeur html maintenant, mais n’ai toujours pas de solution pour les notes plus anciennes de la page d’accueil.
J’espère en tout cas que le chaos des derniers 10 jours est terminé.
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Merci d’avoir mis en perspective la contribution de Tattersall et al. avec les contributions antérieures ( Weinfurt et al., Levinson et al.) qui montrent que quelque soit le contexte (recherche clinique ou prescription d’examens complémenataires) les patients souhaitent connaître le statut des autres intérêts que leur praticien pourrait éventuellement avoir. L’étude de Hampson publiée dans le New England qui semble contredire les autres résultats est en fait biaisée par le fait que les auteurs ont sélectionné une population captive de patients dont la pathologie est de sombre pronostic et dont les choix de prise en charge alternative sont contraints par la prise charge financière ( Eh oui on est aux US !).
En dehors de cette remarque, je suis bien évidement d’accord avec les précautions qui doivent entourer la déclaration des intérêts et en réponse à l’injonction de Pharmacritique selon laquelle : » La volonté des patients d’en savoir plus sur les conflits d’intérêts doit se traduire dans des actes. » Je propose de répliquer l’étude de Tattersall et al. dans le contexte français et d’en publier les résultats. Nous aurons ainsi une idée étayée des désirs des patients en France. C’est concret non ? Bonne journée. Sophia Emic.
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