Plus le placebo est cher, plus il est efficace ! Dan Ariely démontre ce que l’industrie pharmaceutique sait et exploite fort bien

Je disais en parlant de l’Avastin et des autres pseudo-traitements du cancer qui coûtent les yeux de la tête que le Ariely livre.gifprix semble jouer un rôle important dans la perception subjective de l’efficacité d’un médicament. Et je posais la question de l’effet placebo à la suite d’un article que j’avais vu passer sans garder les références. Après avoir parlé du prix des anticorps monoclonaux dans cette note, j’ai cherché l’article. Il a été publié en mars dans le JAMA et compare dans un essai clinique dûment randomisé l’efficacité d’un placebo cher à celle d’un placebo bon marché : Commercial Features of Placebo and Therapeutic Efficacy.

C’est une merveille de psychologie sociale ! Les patients pensent tester un vrai médicament anti-douleur ; les investigateurs disent à la moitié d’entre eux qu’il s’agit d’un médicament cher et à l’autre moitié que le prix de ce médicament vient de baisser, pour des raisons non indiquées. L’essai clinique, mené en 2006 par l’économiste comportementaliste Dan Ariely du  Massachusetts Institute of Technology (MIT), a reçu au mois de septembre le prix Ig Nobel, décerné par Harvard.

Rien que ça.

 

Cela se prononce comme « ignoble » en français, pour désigner des rechercher qui paraissent absurdes à première vue. Mais elles ne le sont pas, ou pas toutes, du moins, parce que, comme le précise le site Improbable Research, il s’agit de distinguer surtout des recherches qui font peut-être rire, mais pour mieux inciter à la réflexion.

Les recherches de Dan Ariely, que pourrait résumer le titre de son livre, Predictably Irrational (Notre prévisible irrationalité), ainsi que son excellent blog, sont à prendre très au sérieux dans la façon de penser l’approche thérapeutique et, par-delà, le fonctionnement de l’esprit humain. Lisons, apprenons et essayons d’agir en conséquence !

Une telle influence du prix (et des informations commerciales qu’on nous donne sur un produit) pourrait nous apprendre pourquoi des patients sont impressionnés par les médecins pratiquant des dépassements d’honoraires, par des charlatans qui vendent de la poudre de perlimpinpin à prix d’or, pourquoi ils pensent que les génériques n’ont pas le même effet que les médicaments de marque, pourquoi la publicité est tellement efficace, etc.

Et l’on songe immédiatement à la distinction, toujours opérante, que faisait Marx entre valeur d’usage et valeur d’échange… N’en déplaise à ce lecteur qui faisait l’apologie d’Adam Smith et du système publicitaire : le système fonctionne, certes, mais en aveugle. Et la critique qui en a compris les déficiences structurelles arriverait à démonter beaucoup d’irrationalités si seulement il y avait moins d’apologètes prêts à défendre tel quel un marché dont on a bien vu récemment qu’aucune « main invisible » ne vient le réguler… Il s’agit des mêmes apologètes qui taxent les critiques de « destructeurs » et leur recommandent d’avoir recours à des coachs pour apprendre à devenir tout aussi irrationnels que les autres… Non merci ! No gracias !

 

Décidément, la Théorie critique avait ô combien raison lorsqu’elle disait qu’il fallait explorer et comprendre en priorité pourquoi les gens agissent contre leurs intérêts… On voit dans cet exemple d’essai clinique comment l’idéologie qui fait de nous des consommateurs dès le berceau sert les intérêts des firmes pharmaceutiques, des marchands, des coachs et des « consultants » de tout acabit… Image, illusion, normalité, adaptation, conformité à la moyenne – c’est ce qu’exige l’ajustement qui prévaut dans cette société aux comportements fort peu rationnels… Il faut savoir vendre et se vendre. Et le coach que recommandait ce lecteur – en conformité avec sa propre activité qui n’en est pas loin – ne fait pas autre chose que nous bourrer le crâne et créer un besoin artificiel de valeurs d’échange. Renforcé en cela par tout le matraquage publicitaire que nous subissons à longueur de journée, puisque nous avons appris à laisser un « temps de cerveau disponible »… (Pardon, je ne sais plus de qui vient l’expression).

Non seulement le marché néolibéral fonctionne parce qu’on veut (on doit, sous peine d’être exclu par la société et rabroué par les apologètes d’Adam Smith et de la publicité) consommer autant de valeurs d’échange que possible – on achète une image associée à une marque, etc. -, mais en plus le formatage de notre esprit est tellement total – et potentiellement totalitaire – que la rationalité n’explique plus grand-chose dans nos comportements. Là encore, la Théorie critique l’avait affirmé depuis longtemps.

 

Quant aux applications en santé, ceux qui pensent que l’effet placebo est une mobilisation des forces de l’esprit, voire une preuve de la force intérieure d’un patient et de sa volonté plus forte de guérir devraient revoir leur copie et se demander quels facteurs ont joué là-dedans (« les forces cachées/ méconnues qui influencent / déterminent nos décisions », selon le sous-titre du livre d’Ariely). Ils devraient se poser cette question avant de culpabiliser les patients qui réagissent, eux, de façon plus rationnelle…

 

Cette irrationalité idéologiquement déterminée de notre comportement est du pain béni (c’est un exemple de valeur d’échange apportée par la bénédiction, pourrait-on dire… ;-)) pour l’industrie pharmaceutique et explique pourquoi toutes les analyses montrant que celle-ci dépense beaucoup plus en marketing qu’en recherche et développement (R&D) n’arrivent pas à susciter un ras le bol dans l’opinion, qui continue à croire que le prix exorbitant est justifié par les recherches, les vérifications et les tests minutieux qu’un médicament aurait subis avant d’être mis sur le marché.

Et puisque je parlais d’Avastin, il faut savoir que ce sont précisément ces médicaments-là, ces pseudo-traitements du cancer, qui sont les moins testés, vérifiés, etc. Les firmes interrompent très rapidement les essais et font pression – souvent à travers des associations de patients dont on peut comprendre l’espoir – pour que les médicaments en question obtiennent une AMM (autorisation de mise sur le marché) précoce, sous prétexte que ces découvertes présentées comme révolutionnaires doivent être disponibles le plus vite possible pour une majorité de malades.

Je sais que ces dires peuvent paraître cyniques, indécents, insensibles, etc. Mais à première vue seulement. Parce qu’il faut songer au fait que les médicaments dans le genre d’Avastin sont expérimentés directement sur des malades auxquels on donne des faux espoirs, puisqu’ils ne font que prolonger éventuellement de quelques semaines la vie des patients, tout en ruinant les systèmes d’assurance-maladie.

C’est d’ailleurs le même principe qu’on voit à l’œuvre avec le Gardasil : dès qu’on prononce le mot cancer, toutes les prétentions de l’industrie pharmaceutique devraient être acceptées sans vérification, sous peine d’être accusé de privilégier l’argent au détriment de la vie humaine…

Cela s’appelle du chantage, plus subtile, mais chantage quand même. Les seules qui sont cyniques ici, ce sont les firmes pharmaceutiques. Et on devrait les croire sur parole ?

 

elena pasca

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