Un article de Sandrine Blanchard en date du 8 novembre intitulé « Les Français sous psychotropes » reprend quelques grandes lignes des analyses désormais consensuelles en sciences humaines et que nous avons évoquées de façon assez détaillée dans la note « En finir avec l’abus de psychotropes » : appel à un usage raisonnable et à la limitation de l’emprise pharmaceutique« .
Un extrait: « Les psychotropes ont été détournés de leur usage premier (l’épisode dépressif majeur) pour soigner le mal-être, « l’anxiété sociale » et en devenir l’unique réponse. Résultat : des personnes véritablement déprimées sont sous-diagnostiquées, et de nombreux malades imaginaires, surmenés, fatigués, consultent en mettant sur le compte de la dépression les difficultés du quotidien. Les psychotropes coûtent une fortune à la Sécurité sociale. Or une analyse publiée en début d’année conclut que, en dehors des dépressions sévères, les antidépresseurs les plus prescrits ne sont pas plus efficaces qu’un placebo… »
A noter que la journaliste épingle à juste titre les pseudo-diagnostics des médecins qui ont la gâchette bien facile au bout de 10 minutes et 5 regards sur la montre… Médecins qui ont bien souvent un intérêt financier dans le pharmacommerce de ce que l’on appelle psychopharmacologie, ce que Pharmacritique a largement illustré dans les articles réunis sous la catégorie « Conflits d’intérêts en psychiatrie, DSM » (accessibles en descendant sur cette page).… Tout aussi juste est sa remarque sur le rôle néfaste et contre-productif de la campagne de « prévention » de l’INPES (et n’oublions pas le « guide » correspondant) :
« La campagne nationale Dépression, en savoir plus pour en sortir, lancée il y a un an, a péché par son manque d’explications sur ce qu’il ne faut pas classer sous le terme de dépression, sur la différence entre une tristesse ou un vague à l’âme et un véritable état dépressif. »
Dommage que Sandrine Blanchard ne soit pas allée creuser du côté des conflits d’intérêts de ceux qui ont promu cette « prévention » par un véritable matraquage médiatico-publicitaire (« guide », film, spots audio…) faisant croire que les réactions psychiques à des maux socio-économiques ou relationnels étaient toutes des maladies à soigner par la chimie… Chimie qui abrase au passage notre subjectivité au profit d’une sorte de normalité artificielle et émousse nos capacités critiques par la psychologisation du mal-être socio-économique : on culpabilise les individus en les rendant responsables de déficiences structurelles et systémiques sur lesquelles ils n’ont aucune prise. J’en ai parlé dans les articles sur la normalisation, l’uniformisation, la mise au pas au moyen de la psychopharmacologie, dans le cadre plus général d’une médecine devenue l’un des agents de contrôle social les plus efficaces (cf. notes à ce sujet, en descendant sur cette page).
L’article reprend toutefois des choses dites et redites et est trop franco-français. Parce qu’il y a pire, aux Etats-Unis, par exemple. Et qu’il ne faut pas perdre de vue que la surconsommation de psychotropes s’inscrit dans une tendance générale de normalisation et de contrôle social par la médecine, qui n’est pas une spécificité française. Nous en avons parlé dans les diverses notes portant sur la normalisation, la « médicalisation infinie » (Foucault), la culture psy, les conflits d’intérêts en psychiatrie, la surmédicamentation ou directement sur la dépression.
Faire de la surconsommation de psychotropes une question culturelle française, c’est occulter toutes ces dimensions. Après tout, nous avons partout (ou presque) les mêmes multinationales pharmaceutiques, le même système néolibéral avec les mêmes tendances systémiques et les mêmes effets pervers de la psychologisation imposée par l’individualisme.
Illustration : Student BMJ
Elena Pasca
Médecin généraliste en france. Je l’avoue j’en prescris encore trop, tant la demande est forte, pour des « soucis » des conflits etc.
L’idée qu’un médicament puisse aider à résoudre notre douleur à vivre, inhérente à l’existence, est la même qu’utiliser l’alcool, les drogues et autres. Ne pas confondre la vraie maladie dépressive, très grave, avec les soucis normaux de la vie qui nous bouffent, comme on dit « être grippé » quand on a un rhume, « je suis mort » quand on est fatigué, tous ces abus de langage qui finissent par être vérité.
La souffrance fait partie de la vie, l’angoisse aussi et la dépression légère aussi. Ce sont des moteurs qui doivent nous pousser, comme l’ennui, nous enjoindre de réfléchir sur notre vie. Ce sont aussi des facteurs positifs de survie tant qu’ils ne dépassent pas nos facultés d’adaptation. Et si nous réapprenions à nous révolter ou se syndiquer au lieu de prendre des psychotropes pour supporté un petit chef débile, des somnifères pour s’endormir au lieu de lire ou d’aller marcher une heure, des anxiolytiques plutôt que d’écouter une musique douce…
Mea culpa, j’en prescris encore beaucoup trop…
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La médecine fait plus de plus que de bien, elles rend les individus incapables de se soigner eux-mêmes, de se guérir eux-mêmes.
Elle « détruit les moyens traditionnels de se confronter et de donner du sens à la mort, à la douleur et à la maladie », elle « médicalise la vie », elle propose « des traitements inefficaces, toxiques et risqués » (Ivan Illich)
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oups: La médecine fait plus de MAL que de bien
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Ce que je ne comprends pas c’est pourquoi la sécurité sociale ne propose pas de répandre l’échelle de dépression comme la « Hamilton » pour permettre de mesurer la sévérité de la dépression sachant que c’est uniquement les vraies dépressions sévères que les antidépresseurs ont montré une relative efficacité ! ( environ -10 points en moyenne sur 54 pour léchelle de Hamilton contre – 8 pointssur 54 en moyenne pour le placebo ! Soit une diffrérence de 2 points sur 54 !!!)
Cette même sécurité sociale pourrait aussi revaloriser les consultations en rappelant que de proposer une écoute bienveillante et des entretiens simples parfois peut beaucoup aider !)
Bernardo
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ca y est on s’attaque aux malades depressifs longue durée ! En attaquant le médicament on stigmatise le malade qui lui en retire « bien des bénéfices » car il n’y a pas que des « charlatans » en France comme ailleurs ! Quand au fait que de nombreuses personnes, âbimées, par leur vie, leur boulot et malmenées par leurs DRH que peux t-on faire de mieux pour que tout s’arrange ! Vaux-t-il mieux laisser un homme boire ou le « médicaliser » par le biais d’anxiolytiques en attendant que ca ailles mieux ?? La société « rends les gens malades » et les médecins du travail constatent l’explosion des TMS et l’anxiété au travail, que faire ?? Avez vous la solution ?? Faut il que tout le monde soit sous « médocs » même si c’est temporairement ?? Que dit votre Yvan Illitch sur ce sujet ?? Que dalle bien sur il ne sais même pas ce que c’est que bosser « durement » et d’une façon inhumaine dans les usines ou la restauration, les caisses de magasins, les bureaux …Ces beaux « messieurs dames » décident de la vie et de la mort des plus défavorisés mais les citoyens ont-ils leur mot à dire ???
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Bonjour Isabeau,
je pense qu’il y a un malentendu, que rien dans les contenus de ce blog ne justifie vos remarques. Non, « on » ne s’attaque pas aux malades! Sauf marginalement, pour dire qu’il n’y a pas d’éducation à la santé, et une trop grande crédulité à avaler tout ce qui vient des médecins, etc.
Je n’ai pas le temps de répondre en détail. Simplement, la problématique de ce blog est celle des conflits d’intérêts, c’est-à-dire, en simplifiant à outrance: l’industrie pharmaceutique qui instrumentalise tout le monde pour la bonne santé du commerce, le dévoiement de la médecine qui fonctionne comme un outil de normalisation au service d’un système socio-économique dont elle contribue à occulter les tares, etc.
Je vous saurais gré de lire un peu mieux avant de formuler des jugements.
Vous pourriez commencer par les articles de la catégorie suivante:
http://pharmacritique.20minutes-blogs.fr/normalite-controle-social-culture-psy/
J’essaie d’apporter ma toute petite contribution pour que, justement, les citoyens aient leur mot à dire. Que les usagers et les malades aient leur mot à dire.
Ne vous trompez pas de cible.
Ce n’est pas moi qui vous prends des dépassements d’honoraires pour vous dire bonjour et vous expédier 10 minutes après avec une ordonnance vous disant que c’est dans la tête, vous avez qu’à vous secouer ou que si vous êtes au chômage, c’est que « vous ne savez pas vous vendre », etc…
Ce n’est pas moi qui encaisse et les dépassements d’honoraires et l’argent des labos pour vous gaver de médocs. (Oui, bien sûr, tous les médecins ne font pas comme ça, juste un grand nombre).
Ce n’est pas moi qui profite de ce système-là, et je parle ici non seulement du ménage de (la plupart des) médecins avec le commerce pharmaceutique, mais de leur contentement avec le néolibéralisme, qui a permis à la médecine de devenir ce qu’elle est: hautement profitable et avec des professionnels socialement survalorisés, qui ont oubliés qu’ils sont là pour le patient, et pas l’inverse, qu’ils ont un mandat, et que c’est pour cela que la collectivité les paie et accepte pas mal de leurs abus.
A prescrire des antidépresseurs et à se battre contre tout ce qui ferait avancer les droits des patients, ils ont oublié que vous êtes un être humain, qu’ils doivent lutter pour faire avancer les intérêts communs, pas seulement les leurs.
Ne vous trompez pas de cible, SVP. J’encaisse déjà assez, croyez-moi. Si ça doit venir aussi de ceux dont j’essaie à ma façon de défendre tant soit peu les droits, contre le politiquement correct habituel, ce sera intenable.
Allez, sans rancune!
Tenez bon!
Et merci de votre témoignage. C’est lui qui compte.
Cordialement,
Elena Pasca
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