Le journaliste et universitaire australien Ray Moynihan, un critique de référence des rapports malsains entre médecins et firmes, a publié le 14 août 2008 sur le site du British Medical Journal un article intitulé ”Sponsorship of Medical Education. Is the relationship between pharma and medical education on the rocks?” (Financement de la formation médicale. Les rapports entre l’industrie pharmaceutique et la formation médicale continue seraient-ils en danger ?). BMJ 2008;337:a925 (pas de lien direct ; début de l’article ici). Deux autres articles et plusieurs réponses se sont ajoutés pour constituer un nouveau dossier du BMJ sur la mainmise des firmes sur la formation médicale continue.
Puisque le texte intégral de l’article original de Ray Moynihan n’est pas en libre accès, Pharmacritique vous propose une traduction.
L’article a pour point de départ les débats suscités par un projet de réforme des liens financiers entre la psychiatrie et l’industrie pharmaceutique en Australie. Malgré quelques noms propres spécifiques à la situation australienne, la situation est parfaitement généralisable et applicable à la corruption qui sévit aussi dans la médecine française et qui ne se limite ni à la psychiatrie, ni à la formation médicale continue (FMC ou CME en anglais : continuing medical education).
Merci de lire aussi les commentaires et liens figurant après la traduction, après les références et les notes de l’article de Moynihan. Ils donnent des informations sur les activités de cette belle grande gueule – dont nous cherchons en vain un(e) homologue dans le journalisme français -, ainsi que des précisions sur les aspects évoqués dans l’article, par exemple sur la corruption altérant la psychiatrie.
Si l’on peut se permettre une considération de ce genre, la psychiatrie pourrait pourtant être la spécialité médicale la plus morale, la plus humaine, et ce d’abord parce qu’elle a l’avantage d’être peu dépendante de la technique, des technosciences. Cette liberté potentielle a été pourtant dégradée en arbitraire par ses institutions et ses leaders d’opinion, lorsque la psychiatrie s’est asservie à l’industrie et au profit. Et, du point de vue moral-déontologique, plus une science (un être humain, etc.) a un potentiel important de liberté / de libération, plus son asservissement est condamnable.
Traduction du texte de Moynihan. (A part les intertitres, c’est moi qui souligne en rouge et en gras) :
Financement de la formation médicale. Les rapports entre l’industrie pharmaceutique et la formation médicale continue seraient-ils en danger ?
« Combien de temps les événements phare de la formation médicale continue porteront-ils les couleurs de l’industrie pharmaceutique ? demande Ray Moynihan, de l’université de Newcastle.
Il y a quelques années, j’étais au coeur de l’île de Manhattan par un matin brumeux, pour assister à l’événement phare de la formation médicale continue (FMC) en psychiatrie : le congrès annuel [1]. Avant même d’arriver, les psychiatres étaient accueillis dans les rues environnantes par des panneaux d’affichage publicitaire géants portant le nom de l’un des principaux sponsors : Pfizer, la plus grande firme pharmaceutique au monde, qui commercialise l’antidépresseur le plus vendu au niveau mondial, à savoir le Zoloft.
Une fois à l’intérieur, ils étaient hameçonnés d’abord dans l’immense hall d’exposition, où des visiteurs médicaux et autres commerciaux bien habillés slalomaient entre les stands high tech et les néons hypnotiques et échangeaient des plaisanteries avec les médecins qui faisaient la queue pour jouer aux jeux vidéo et gagner des prix.
Et puis, il y avait bien sûr, le sponsoring des séances de formation. Cette année-là (2004), le trouble bipolaire était au menu du petit-déjeuner offert par Eli Lilly à l’hôtel Marriott Marquis. Grâce à GlaxoSmithKline, les psychiatres pouvaient étudier la dépression postnatale au cours du déjeuner au Grand Hyatt, puis le trouble d’anxiété généralisée dans la grande salle de bal de l’Hôtel Roosevelt, lors du dîner financé par Pfizer.
Bien que les événements marquants de la FMC de nombreuses spécialités médicales portent fièrement les couleurs des firmes pharmaceutiques qui les financent, c’est depuis longtemps la psychiatrie qui est la plus suspectée de l’intrication la plus grande avec l’industrie. Soupçon confirmé lorsqu’on regarde les résultats des premières politiques de déclaration publique des financements.
Dans le Vermont, petit Etat du nord des Etats-Unis, où les fabricants de médicaments doivent maintenant divulguer les paiements aux médecins [Sunshin Act, cf. articles sur Pharmacritique], les psychiatres forment le gros des récipients [2]. En Australie, où les tribunaux ont forcé l’industrie à divulguer les détails du financement de chaque manifestation de formation continue, il s’est avéré que les psychiatres sont « éduqués » avec le concours de l’hospitalité offerte par l’industrie plus souvent que les médecins de n’importe quelle autre spécialité [3].
Une anxiété grandissante
De plus en plus inquiets de l’influence de l’industrie sur leur formation, un certain nombre de psychiatres australiens ont essayé de limiter le sponsoring pharmaceutique de leur congrès annuel. Il y a deux ans, Malcolm Battersby, un professeur agrégé de psychiatrie à l’Université Flinders à Adelaide, a animé un petit comité d’organisation chargé de planifier le congrès 2009 de la Royal Australian and New Zealand College of Psychiatrists. Battersby exerce au CHU Flinders Medical Centre et a bénéficié d’une subvention de la Fondation Harkness pour une formation en politique de santé. Son comité d’organisation n’a pas proposé des réformes qui auraient révolutionné le congrès ; il était simplement question de supprimer les naming rights [droits achetés par des firmes et des marques pour que leurs noms apparaissent en association avec une partie ou l’ensemble d’une manifestation de FMC qu’ils sponsorisent]. La perte de revenus aurait été compensée par des fonds venant d’un parrainage public ou de sources à but non lucratif.
« Je pense que le congrès, notre manifestation publique officielle, symbolise la psychiatrie aux yeux de la société. Or quelle image donnons-nous de nous-mêmes ? Nous voilà défiler bras dessus, bras dessous avec des firmes pharmaceutiques », explique Battersby. Ces congrès réunissent des psychiatres auxquels la participation à un certain nombre d’heures de formation permet d’acquérir des points dans le système de validation de leur formation médicale continue obligatoire. Or les principaux sponsors du congrès de 2008 sont des fabricants et des commerçants de médicaments. « Cela a tout l’air d’un couple uni par les liens du mariage, et le message évident que nous envoyons à la société est que « la psychiatrie incarne les psychotropes et s’y réduit » », dit Battersby.
Mis à part le problème des apparences et de l’image, Battersby et ses collègues s’inquiètent des dégâts potentiels pour la santé des patients. « Les psychiatres sont involontairement influencés lors des manifestations de FMC financées par les firmes, ce qui mène à des prescriptions inadéquates, avec tous les risques que cela peut entraîner », ajoute-t-il.
Fondamentalement incompatibles
Plus de 50% des manifestations de formation médicale continue sont financées par les firmes produisant des médicaments et des dispositifs médicaux [4]. Et pourtant, il n’y a eu que peu d’études en mesure d’apporter des preuves solides sur les effets de ce financement. Cela dit, les preuves existantes indiquent que les firmes pharmaceutiques se servent des manifestations accréditées de FMC comme d’outils intégrés à leurs campagnes de marketing. Les médicaments commercialisés par les sponsors sont présentés sous un angle favorable, ce qui peut entraîner des prescriptions irrationnelles [5,6].
Cette rareté des preuves directes n’a pas empêché la multiplication des appels à mettre fin à cette imbrication entre formation médicale et marketing. Un groupe de travail de l’Association of American Medical Schools, mis en place pour étudier la question, exige plus de séparation d’avec les promoteurs commerciaux [7], tandis qu’un rapport récent de la Fondation Josiah Macy recommande une interdiction globale du financement direct ou indirect de la formation médicale continue [4].
Partant des conclusions d’une réunion d’experts qu’elle a présidée dans le cadre de la Fondation Josiah Macy, la professeure à Harvard Suzanne Fletcher rappelle que les responsabilités des professionnels de santé sont « fondamentalement incompatibles » avec celles des firmes à but lucratif. Et pourtant, malgré cette incompatibilité, l’imbrication entre industrie et formation médicale continue a atteint un degré tel, qu’il est devenu impossible de dissocier les biais « de la trame d’une formation continue qu’ils traversent désormais de part en part » [4].
Qui plus est, le rapport de Fletcher dit clairement qu’ « aucun renforcement du « pare-feu » censé séparer les entités commerciales des contenus et des processus de formation continue ne suffirait à éliminer les biais ». Son rapport recommande par conséquent « l’abandon progressif » de tout support financier venu des firmes qui fabriquent et commercialisent des médicaments et des dispositifs médicaux. Cet abandon pourrait être effectif au bout de cinq ans de limitations progressives.
À peu près au même temps que Fletcher élaborait ses recommandations, une division fermentait dans la psychiatrie australienne sur la question du financement de son congrès et de sa formation continue par l’industrie pharmaceutique. Malcolm Battersby et ses collègues ont fait avancer leur projet de rechercher des sponsors non liés à l’industrie pharmaceutique auxquels attribuer les naming rights du congrès de 2009. Ils ont obtenu le soutien de la branche méridionale du collège royal des psychiatres. Et il est important de mentionner que le comité d’organisation dirigé par Battersby a effectivement commencé à trouver des sponsors non commerciaux disposés à payer pour ces naming rights. Mais en avril 2008, le conseil du collège fédéral de psychiatrie s’est réuni et a décidé de rejeter le projet de réforme, faisant valoir qu’il n’était pas compatible avec la politique du collège stipulant la non discrimination parmi les diverses catégories de sponsors. La politique du collège n’admettrait pas que l’on favorise certaines sources de financement en rejetant d’autres. Battersby et certains de ses collègues du comité d’organisation du congrès de 2009, dont le psychiatre Jon Jureidini, ont démissionné en masse de ce comité.
« À mon avis, le collège a été pris de panique en imaginant les conséquences possibles de cette offense de l’industrie pharmaceutique et il a tout fait pour trouver une rationalisation lui permettant de justifier sa décision de ne pas permettre cette réforme », affirme Jureidini, pédopsychiatre titulaire, professeur agrégé à l’Université d’Adelaide et président de Healthy Skepticism, un chien de garde associatif qui exige l’arrêt du financement de la formation médicale continue par l’industrie. « Les preuves sont pourtant là ; on sait que c’est mauvais pour nos patients, parce que les médecins deviennent trop friands de produits pharmaceutiques et les utilisent aveuglément. Nous sommes bien rémunérés et pouvons nous permettre de payer pour notre propre formation. »
Les réformateurs ont compris qu’ils ont perdu la bataille portant sur le sponsoring du congrès de 2009, ce qui ne les empêche pas de continuer à œuvrer pour la fin de l’imbrication entre industrie pharmaceutique et formation médicale continue. Battersby s’est engagé dans le comité de formation continue du collège de psychiatrie, tandis que Jureidini a rejoint le comité d’éthique.
Un réexamen des relations
Le congrès annuel est l’ « événement éducatif de l’année », dit Ken Kirkby, le président de la Royal Australian and New Zealand College of Psychiatrists. Kirkby rejette catégoriquement l’affirmation selon laquelle le collège ne veut pas offenser l’industrie et dit que « les relations avec les sponsors du congrès [se déterminent] selon les principes de la pleine concurrence valables sur le marché ». Selon lui, le collège ne serait « pas en mesure de prendre une décision en faveur » de la proposition de réforme du financement industriel, puisque celle-ci « doit être soigneusement examinée ». Tout en admettant que les relations entre la profession médicale et l’industrie suscitent à juste titre des « inquiétudes sociales plus vastes », Kirkby a déclaré au BMJ [British Medical Journal] que plusieurs démarches étaient engagées afin d’examiner la question. Ainsi, le collège royal a non seulement chargé ses comités de formation médicale continue et d’éthique de réfléchir au sujet du financement par les firmes, mais aussi demandé conseil à une instance supplémentaire : son comité consultatif en charge des relations de la profession avec le public.
« Nous sommes en train de réexaminer notre politique au sujet du financement, ainsi que nos relations avec l’industrie », dit Kirkby, qui enseigne la psychiatrie à l’Université de Tasmanie. Il précise que ces questions sont examinées régulièrement par le collège. Interrogé sur sa réaction aux panneaux publicitaires géants affichés partout dans l’enceinte du congrès, Kirkby nous dit : « Il ne faut pas en faire tout un tas – tous les congrès comprennent ce genre d’expositions. La question de savoir si c’est bien, mal, ou alors indifférent dépend de la politique en place. Le financement industriel est un support majeur de ce type de manifestations ».
Le financement des manifestations d’éducation médicale continue prend plusieurs formes, dont certaines s’affichent plus ouvertement que d’autres, de sorte qu’il est difficile de savoir exactement quelle proportion du financement total provient des firmes pharmaceutiques. Aux naming rights directs s’ajoutent les sommes payées pour la location d’un espace d’exposition, les frais d’inscription payés par les firmes employant les nombreux commerciaux qui assistent au congrès, ainsi que l’argent payé par les industriels pour couvrir partiellement ou totalement les frais d’inscription, de voyage et d’hébergement des psychiatres. Pour ce qui est du coût total du congrès australien de psychiatrie, le président du collège l’estime entre 2 et 3 millions de dollars australiens (970.000 livres sterling ; 1.2 millions d’euros ; 1 million de dollars USA), avec un maximum de 10% couverts par le financement au moyen des naming rights et autres 10% par la location d’espaces d’exposition.
Serait-ce la fin ?
Certains médecins n’attendent pas de savoir comment seront organisés les événements marquants de la FMC tels le congrès annuel de psychiatrie. Ils n’attendent pas non plus de voir si l’on adoptera ou non le projet d’abandon du financement industriel, à faire progressivement sur 5 ans, selon la proposition de Suzanne Fletcher.
Une douzaine de psychiatres de l’hôpital d’Adelaide ont décidé de mettre en place leur propre interdiction du financement par les firmes, applicable immédiatement. Lorsque Battersby et une dizaine d’autres psychiatres se sont récemment réunis au Flinders Medical Center, la question du sponsoring était à l’ordre du jour. Une firme pharmaceutique avait proposé de leur envoyer un visiteur médical en la personne d’un grand ponte de la psychiatrie [key opinion leader : leader d’opinion en position stratégique dans le marketing industriel], qui les « éduque » sur un certain médicament. Sans que Battersby ait à intervenir beaucoup, les psychiatres en question ont engagé un débat au sujet de la formation médicale sponsorisée. Débat qui s’est conclu par la décision du groupe de mettre fin à toute entreprise de financement pharmaceutique des activités de formation psychiatrique ayant lieu dans cet hôpital. Lors d’une troisième réunion à ce sujet, qui s’est déroulée à la mi-juillet, le département de psychiatrie du Flinders Medical Center a donné son accord à la nouvelle politique.
Il se pourrait bien que la fréquence des repas gratuits offerts à ces psychiatres diminue… Mais la conséquence la plus importante sera la réduction conséquente des prescriptions irrationnelles ou inappropriées. »
Références
Références de cet article : BMJ 2008;337: a925
Article apparenté : doi, 10.1136/bmj.a1023
Déclaration d’intérêts
Aucun conflit d’intérêts n’a été déclaré.
Notes
1. Cf. Moynihan R, Cassels A. Selling sickness: how drug companies are turning us all into patients. Sydney: Allen and Unwin, 2005.
2. Sorrell WH. Pharmaceutical marketing disclosures. publication date needed www.atg.state.vt.us/upload/1215544954_2008_Pharmaceutical_Marketing_Disclosures_Report.pdf
3. Moynihan R, Robertson J, Walkom E, Bero L, Henry D. A descriptive analysis of the world’s first comprehensive disclosure of pharmaceutical industry funded events for health professionals. Submitted to BMJ.
4. Fletcher S. Continuing education in the health professions: improving healthcare through lifelong learning. Chairman’s summary of the conference. Josiah Macy Jr Foundation, 2008. www.josiahmacyfoundation.org/documents/Macy_ContEd_1_7_08.pdf
5. Steinman MA, Bero LA, Chren M-M, Landefeld S. The promotion of Gabapentin: an analysis of internal industry documents. Ann Intern Med 2006;145:284-93. [Abstract/Free Full Text]
6. Wazana A. Physicians and the pharmaceutical industry: is a gift ever just a gift? JAMA 2000;283:373-80. [Abstract/Free Full Text]
7. American Association of Medical Colleges Task Force. Industry funding of medical education. 2008 https://services.aamc.org/Publications/index.cfm?fuseaction=Product.displayForm&prd_id=232&prv_id=281. “
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Commentaires de Pharmacritique et liens pour aller plus loin
Peu importe les situations et exemples concrets, qui sont australiens. L’article nous apprend beaucoup sur la résistance acharnée des institutions médicales elles-mêmes face à toute proposition de changement. C’est bien plus que l’inertie habituelle des superstructures, impliquée dès le départ dans chaque institutionnalisation d’un segment de la réalité – et encore plus de la science. Par ailleurs, cette ankylose institutionnelle contraste singulièrement avec les prétentions des industriels et de l’économie néolibérale, dont l’idéologie glorifie sans cesse le mouvement, la dynamique, la vitesse, la course aux innovations… Ce qui rappelle le mot forgé par Pierre-André Taguieff parlant de la modernité en général : l’idéologie du « bougisme » (cf. « Résister au bougisme »).
Mais les institutions médicales et autres ordres – tout aussi dogmatiques que ceux monastiques – ne bougent manifestement pas, et ce ne sont pas les industriels qui les pousseront au changement. Nous avons bien vu cette ankylose et ces attelles immobilisant la pensée en traduisant les commentaires de la revue médicale indépendante Arznei-Telegramm sur le fait que l’ordre allemand des médecins – mais pas seulement lui, n’est-ce pas ? – accrédite des programmes de formation continue qui cachent à peine leur nature commerciale. Vous pouvez (re)lire les notes réunies sous la catégorie Formation médicale continue… par les firmes.
Les sociétés médicales dites savantes semblent craindre les représailles des firmes pharmaceutiques en plus de la perte du confortable coussin financier issu de la corruption par les industriels, si jamais elles limitent tant soit peu l’influence de ces derniers.
Par ailleurs, Moynihan confirme ce que Pharmacritique a souligné à plusieurs reprises, à savoir que la psychiatrie semble être la spécialité médicale dont les représentants ont le plus de conflits d’intérêts, ce qui veut dire qu’ils reçoivent le plus d’argent de l’industrie pharmaceutique. Le journaliste australien donne l’exemple du rapport de l’Etat américain du Vermont, dont nous avons rendu compte dans la note intitulée « Rapport annuel du Vermont sur l’argent de la corruption des médecins. Les psychiatres sont en tête – et les psychotropes aussi… ».
Nous avions souligné la même chose en rendant compte du rapport du CDC (Center for Disease Control and Prevention) pour l’année 2005 : « Antidépresseurs : médicaments les plus prescrits aux Etats-Unis. Une sorte de psychisme artificiel sert d’idéal de normalité ».
Un autre note parlait des « Conflits d’intérêts en psychiatrie, discipline la plus payée par l’industrie, selon les Etats américains qui appliquent les lois de transparence ».
Un exemple concret de corruption, valable pour toutes les spécialités médicales, est donné par le psychiatre Daniel Carlat, qui a tourné récemment le dos aux conflits d’intérêts et rejoint les chiens de garde anti-corruption, comme le montre la photo qui illustre cette note : « Les leçons du cas Carlat: psychiatre VRP des firmes récemment sorti de l’hypnose industrielle ».
Cette note est particulièrement intéressante pour éclairer les choses dont parle l’article de Moynihan, puisqu’il y est question du congrès annuel de l’APA, qui est la toute-puissante – et toute corrompue – Association américaine de psychiatrie. Il s’agit de la société savante qui est en charge de l’élaboration de la nouvelle (5ème) édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), outil de référence pour les psychiatres du monde entier. C’est en fonction de cette codification qu’ils disent ce qui est ou n’est pas une maladie mentale. Oui mais… La classification codifie en fait les désirs des firmes pharmaceutiques qui produisent des psychotropes. Désirs qui sont des ordres pour les psychiatres qu’elles paient : « Le DSM V en préparation regorge de conflits d’intérêts des experts psychiatres. Et l’APA fait de la com’ pour noyer le poisson ».
Le DSM est de nos jours un outil parfait de légitimation de maladies inventées, façonnées sur mesure – par le procédé de disease mongering – pour faire vendre un nouveau médicament ou élargir le marché des anciennes pilules, dotées du jour au lendemain de nouvelles vertus : « L’invention de maladies légitimées par le DSM: la poule aux oeufs d’or de l’industrie des psychotropes ».
Le disease mongering n’est pas spécifique à la psychiatrie, loin de là. Même s’il faut dire que la plus grande imprécision qui caractérise cette spécialité médicale en fait un terreau nourricier particulièrement fertile lorsqu’il s’agit d’habiller les lubies de l’industrie pharmaceutique d’un vernis pseudo-scientifique. J’ai réuni sur Pharmacritique plusieurs notes sous la catégorie Maladies inventées / disease mongering. Ray Moynihan est par ailleurs une référence classique dans la critique du façonnage des maladies, à la suite de la journaliste Lynn Payer, qui a défini cette maladie qui décompose la médecine et est en train d’altérer toute sa légitimité scientifique. Ray Moynihan a co-écrit le scénario d’un documentaire sur le sujet, intitulé Selling Sickness, dont je parle dans une note qui reprend la traduction française d’un article édifiant : « « Disease mongering » : tailler des maladies sur mesure pour chaque médicament; pour les malades et les bien-portants. Un article de référence de Moynihan et Cassels ». Quant à la formation médicale continue sous l’emprise de l’industrie pharmaceutique, colportée entre autres par des leaders d’opinion que certains appellent « dealers d’opinion », ce sujet est abordé dans les notes accessibles en descendant sur cette page.
Enfin, plusieurs cas de corruption démasqués par les hommes politiques on fait récemment la une des journaux états-uniens. Les psychiatres sont là encore en première ligne… L’un d’entre eux est Joseph Biederman, leader d’opinion en pédopsychiatrie, largement impliqué dans l’ascension fulgurante des antipsychotiques atypiques et dans l’usage sans limites du diagnostic de trouble bipolaire chez les enfants. Il a « oublié » de déclarer un surplus de 1,6 million de dollars reçus de l’industrie, par exemple… Son cas et quelques autres sont exposés dans l’article du New York Times en date du 6 juin 2008 : Researchers Fail to Reveal Full Drug Pay.
Impossible de détailler ne serait-ce que les cas les plus criants…
Battersby a raison : c’est un mariage dans lequel les deux partenaires – industrie et médecins – semblent s’épanouir, vivre dans le bonheur et l’aisance…
Elena Pasca
Pour aller plus loin je conseille en plus des liens suscités la lecture d’un excellent ouvrage en français: « la raison pharmaceutique » il s’agit d’une enquête d’un sociologue américain sur le milieu psychiatrique argentin. Ce travail dans un pays où la psychanalyse est encore très présente comme moyen thérapeutique, montre les moyens de la pénétration du marché par l’industrie pharmaceutique.
Un excellent ouvrage qui pose aussi d’autre question sur le concept de maladie mentale etc.
Bonne lecture
Merci pour la traduction
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Merci beaucoup pour ces conseils de lecture, Stéphane! Et contente de vous voir revenir sur le blog!
Si jamais vous voulez faire une présentation de ce livre pour Pharmacritique, ce serait super! Sinon, j’en ferai une, mais pas tout de suite, parce que je suis submergée par des informations qui attendent, attendent…
De toute façon, je lirai le livre, parce que ce « milieu » m’intéresse particulièrement, mais aussi parce que j’aime lire des approches de ces questions venant des sciences sociales.
Merci et @ plus
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