Le Comité états-unien d’accréditation des programmes de formation médicale continue (ACCME : Accreditation Council of Continuing Medical Education) a fait en juin 2008 certaines propositions – fort timides – soumises à la réflexion des professionnels de santé et de leurs institutions. En gros, trois scénarios sont possibles : le maintien du statu quo dans le financement de la formation médicale continue (FMC) par l’industrie, avec les limitations déjà existantes ; l’arrêt complet de tout financement par les firmes pharmaceutiques ; l’élaboration d’un nouveau paradigme.
Même ces propositions superficielles sont insupportables pour l’industrie et ses vassaux…
Ainsi, le syndicat des firmes spécialisées dans la formation médicale continue et la communication médicale (NAAMEC) a vigoureusement protesté contre les changements proposés. Voici une lettre en date du 12 août, qui accuse presque le comité d’accréditation de procéder de façon autoritaire, si ce n’est dictatoriale, prenant exemple sur la coercition fédérale… Manifestement, le climat politique critique déplaît fortement à l’industrie et à ses suppôts…
Dans un article du 22 août, Proposed CME Changes Unnerve Some CME Firms, Pharmalot nous apprend que certains prestataires de programmes de FMC ont lancé une campagne pour défendre le sponsoring et le financement par l’industrie pharmaceutique : un courriel standard est envoyé aux médecins, avec une lettre de protestation toute faite, à faire suivre à l’ACCME. Le courriel et la lettre sont repris dans l’article de Pharmalot, qui donne aussi des liens pour approfondir la question.
Qu’en est-il des propositions initiales du comité d’accréditation ?
Quant aux propositions que l’ACCME soumet au débat, voici quelques sites qui les commentent, à commencer par le blog de Daniel Carlat. Ce psychiatre, ancien VRP des firmes passé dans le camp des critiques, commence par saluer le nouveau paradigme voulu par le comité d’accréditation : ACCME Gets Serious With New Paradigm.
Puis, lorsqu’il approfondit la question, il constate que plus ça change, plus c’est la même chose, puisque le comité veut renforcer les mesures existantes et « supprimer le biais commercial tout en permettant le financement commercial »… La quadrature du cercle…
Et Carlat de répondre à un prestataire pharma-amical de FMC – qui s’inquiétait de la possible disparition du financement industriel suite à des limitations telles celles proposées par l’ACCME – qu’il a au contraire toutes les raisons de se réjouir… Pourquoi ? Parce que l’ACCME donne à ces prestataires « la recette parfaite du blanchiment des intérêts commerciaux dans la FMC ». Et il explique qu’il est très facile de respecter les règles proposées tout en concoctant un programme de formation déterminé de part en part par des objectifs promotionnels. Cette note plus critique de Carlat s’intitule Using ACCME’s New Rules for Bias and Profit (Utiliser les nouvelles directives de l’ACCME pour créer des biais et des profits).
Le FDA Law Blog, qui a des vues pharma-amicales, voit uniquement le côté interdiction (comme beaucoup d’autres, qui se sont réjouis trop vite) : ACCME Proposes to Ban Commercial Support for CME (Le Comité d’accréditation de la FMC propose une interdiction du soutien commercial de la formation médicale continue).
Medical Marketing & Media voit lui aussi les interdictions : ACCME vows crackdown, calls for « new paradigm » in CME.
Un état des lieux de la FMC aux Etats-unis : le rapport du Sénat
Et voici le rapport d’avril 2007 de la Commission des finances du Sénat américain, celle du redoutable sénateur Charles Grassley… Il porte sur l’état de la formation médicale continue aux Etats-Unis, du point de vue de l’influence industrielle : Use of Educational Grants by Pharmaceutical Manufacturers. Les rapporteurs déplorent le fait que les programmes soi-disant « éducatifs » sont financés par les firmes parce qu’ils représentent un outil commercial efficace pour influencer les prescriptions et augmenter les chiffres de vente des médicaments promus.
Les propositions des sénateurs ne sont pas dépourvues d’intérêt, même si elles sont insuffisantes ; la mesure phare serait la soumission des programmes de formation continue à une lecture préalable par la FDA (agence américaine du médicament) et par le Comité d’accréditation. Comme si la FDA était exempte de conflits d’intérêts…
Les sénateurs déplorent l’inefficacité des mesures existantes, l’absence de contrôle en temps réel, l’absence d’observateurs lors du déroulement des programmes de formation. Et l’absence de sanctions rapides : lorsqu’un programme de FMC contrevient aux standards définis par le Comité d’accréditation, celui-ci peut mettre jusqu’à neuf ans ( !) avant d’annuler l’accréditation du prestataire contrevenant.
Insuffisant, certes, mais c’est déjà ça. (On attend toujours les propositions des hommes politiques de France et de Navarre en la matière…)
Où on voit quelles sont les questions existentielles des médecins du point de vue de l’industrie : le golf et la nourriture gratuite, par exemple…
Les annexes du rapport sénatorial états-unien contiennent entre autres l’ancienne version du « code » de PhRMA (syndicat de l’industrie pharmaceutique, équivalent du LEEM français). Ceux qui ont un peu de temps devraient lire les questions que les industriels considèrent comme importantes, au point d’inscrire les réponses dans le « code » : un visiteur médical (ou autre VRP) peut-il payer un plein d’essence à un médecin s’il lui offre en même temps des informations sur un médicament ? (Cela suppose que les visiteurs médicaux accompagnent les médecins en voyage et que ceux-ci s’intéressent tellement à leur formation qu’ils profitent même des pauses dans les stations d’essence…). Le VRP peut-il offrir des balles de golf ou des sacs de sport, etc. ?
On apprend ainsi que les repas dans les restaurants « tranquilles » et les pizzas apportées au cabinet ou à l’hôpital sont des occasions d’éduquer les médecins. Décidément, ça passe mieux quand les médecins sont repus. A se demander si les visiteurs médicaux attendent qu’ils fassent leur rot avant de partir… Et, comme on pouvait l’imaginer, le « code » ne permet pas de gaver les médecins uniquement avec de la nourriture, si celle-ci n’est pas accompagnée par de « l’information » sur les médicaments. Rien n’est gratuit, non ? On peut interpréter « No free lunch » aussi de cette façon…
Nouvelles règles d’éthique industrielle (sic)
Il s’agit de la version ancienne (2002), puisque PhRMA a adopté un nouveau code régissant ses interactions avec les professionnels de santé, qui entrera en vigueur en janvier 2009. Il y est question d’une interdiction des cadeaux genre stylos ou bloc-notes, mais pas de l’interdiction de payer des médecins pour des activités promotionnelles (dans des comités consultatifs, speaker’s bureaus ou autres) ou pour des interventions lors de programmes « éducatifs », et notamment en FMC.
Nous avons dit ce que nous pensions de ce genre d’éthique en parlant du « code de déontologie » (sic) que les firmes envisagent d’adopter au niveau européen, ainsi que de ce que nous pensons être la façon du LEEM de comprendre ces questions : L’industrie pharmaceutique, le LEEM, l’éthique et les tiques.
Tant qu’il y a financement industriel, il y a biais, conflit d’intérêts, désinformation
Les annexes du rapport sénatorial contiennent aussi les directives, actuellement en vigueur, du comité d’accréditation des prestataires de formation médicale continue (ACCME). Il s’agit des règles que doivent respecter les programmes proposés par ces prestataires pour être agréés par le comité. Ce n’est pas si mal sur le papier. Mais…
La lecture de ce rapport montre encore une fois, si besoin était, qu’il n’y a pas de « pare-feu » possible, pas de séparation entre intérêts commerciaux et FMC, dès lors qu’un financement industriel est présent. On peut renforcer tant qu’on veut les limitations en place, cela ne servira à rien. C’est ce que constatait Suzanne Fletcher, dont le récent rapport sur la question est cité dans la note traduisant et commentant l’article de Ray Moynihan sur les relations – toujours cordiales – entre l’industrie pharmaceutique et les institutions / organisations médicales chargées de définir la politique en matière de conflits d’intérêts et de FMC : « Formation continue : institutions médicales et firmes refusent de limiter le financement industriel, dit Moynihan dans le BMJ ».
La solution : interdire tout financement industriel
Tout le reste n’est que mesurette, poudre aux yeux et hypocrisie. Qui fait courir des risques inconsidérés aux usagers qui avalent ce que prescrivent les services marketing des firmes en fonction de l’intérêt des actionnaires… Les lecteurs peuvent se dire qu’il manque un chaînon, mais les médecins ne sont que des marionnettes des services marketing dans un tel système : « pantins du pharmacommerce », selon le langage de Pharmacritique…
Le Sénat états-unien s’intéresse de nouveau aux conséquences du sponsoring industriel de la FMC
Le Congrès américain envisage le financement public d’un réseau indépendant d’information médicale (academic detailing ou outreach visit : à peu près « visite académique »). Nous en avons rendu compte dans cette note : « Projet législatif pour contrecarrer l’influence de Big Pharma : le financement public d’une visite académique« .
A noter que le même sénateur démocrate Herb Kohl, qui est à l’origine du projet de visite académique, a pris aussi pour cible l’ACCME, auquel il demande toute une série de documents et d’informations sur les procédures de gestion du financement de la formation continue par les firmes et de ses conséquences. Dans une lettre en date du 20 juin 2008, rendue publique par l’ACCME et reprise dans les media, Kohl exprime l’inquiétude de sa commission sénatoriale face aux témoignages disant que l’industrie instrumentalise de plus en plus la formation continue à des fins d’extension de son marché. On y apprend que le financement industriel de la FMC s’élevait en 2006 à 1,2 milliards de dollars, soit la moitié du budget d’ensemble de la formation continue. (50%. C’est bien moins qu’en France !)
Les sénateurs prennent note de l’influence très importante de la formation médicale continue sur les habitudes de prescription et s’inquiètent tout particulièrement de voir certaines firmes profiter de cette « éducation » pour encourager les médecins à « utiliser leurs produits dans des procédures médicales sujettes à controverse ».
Et Herb Kohl d’exprimer ce que pensent tous ceux qui, sans même aller jusqu’à des positions critiques, se prononcent simplement pour un usage raisonnable des médicaments : « Je suis inquiet face à toute tentative de convaincre les médecins de prescrire un traitement médicamenteux pour des raisons mal justifiées, par exemple lorsque ce traitement n’est pas nécessaire compte tenu de la maladie du patient et que le médicament en question n’a pas prouvé son efficacité ».
Les articles sur la formation médicale continue financée par l’industrie pharmaceutique (et les conséquences: conflits d’intérêts, biais, influences directes et indirectes du marketing pharmaceutique exposé par les leaders d’opinion agissant en VRP de l’industrie pharmaceutique…) sont accessibles en descendant sur cette page.
Elena Pasca