Une déclaration codifiée et généralisable des conflits d’intérêts : un projet de Integrity in Science (CSPI)

Si la nécessité de déclarer les conflits d’intérêts dans la presse scientifique et médicale est communément admise dans les pays anglo- 206299048.jpgsaxons, il n’y a pas de consensus sur le contenu et l’étendue des déclarations et sur la définition précise des conflits d’intérêts, surtout lorsqu’ils ne sont pas de nature financière. Le Center for Science in the Public Interest (CSPI) a publié le mois dernier un projet qui vise à créer un ensemble de règles dont l’application serait généralisée et standardisée. Ce projet s’adresse d’une part aux scientifiques, chercheurs et auteurs d’articles, d’autre part aux rédactions et comités de lecture de la presse spécialisée, auxquels la codification des conflits d’intérêts et de leur déclaration simplifierait beaucoup le travail.

Les propositions ont été développées par une équipe mise en place par Merrill Goozner, qui dirige le département Integrity in Science du CSPI.

Goozner est l’un de ceux qui militent de longue date pour sensibiliser le grand public aux conséquences des conflits d’intérêts, afin de les limiter et de les éliminer à terme. L’équipe inclut le bioéthicien Arthur Caplan, ainsi qu’un spécialiste en épistémologie et plusieurs représentants de la presse scientifique et médicale.

Selon ce projet, tout avantage et tout lien, qu’ils soient d’ordre matériel ou non, ainsi que tous les honoraires, cadeaux, ristournes, avantages ou paiements reçus de l’industrie doivent être déclarés par les scientifiques et les médecins. Il en va de même pour tout ce que les scientifiques reçoivent des associations financées par le secteur privé, et ce même lorsqu’il s’agit d’associations à but non lucratif.

Le projet s’intitule A Common Standard for Conflicts of Interest Disclosure.

Après une exposition synthétique de ce qu’est un conflit d’intérêt et de ses conséquences, le projet détaille ce que les scientifiques/ médecins/ auteurs/ chercheurs doivent déclarer :

· Tout lien financier des trois dernières années, quel qu’en soit le montant ;

· Le fait d’être ou d’avoir été employé par l’industrie, même à temps partiel ;

· Les bourses, financements et allocations de recherche, y compris les financements reçus d’associations à but lucratif et de celles à but non lucratif, mais qui sont financées au moins à 50% par des firmes privées ;

· Les paiements pour des activités de conseil/ consulting ;

· Les financements couvrant: voyages, conférences, rédaction d’articles, ouvrages, etc.

· Toute autre forme d’honoraires payés par les industriels et associations ;

· Les paiements en contrepartie d’une expertise dans des procédures litigieuses (à l’exception du témoignage factuel dans des procès civils ou criminels) ;

· La possession de brevets et d’applications, qu’elle soit actuelle ou à venir, et ce même si cette possession ne génère pas de royalties ;

· La possession d’actions et/ou de stock options ;

· Les investissements dans des fonds ayant un lien avec le domaine scientifique, médico-pharmaceutique ou apparenté. La déclaration doit inc
lure les actions et/ou investissements des membres de la famille. Elle ne concerne pas les investissements dans d’autres domaines.

· La qualité de membre dans des comités scientifiques ou dans des conseils techniques du secteur privé, même s’il n’y a pas de rémunération.

· Toute négociation en cours pour un emploi ou toute offre d’emploi, qu’il s’agisse d’un emploi débutant tout de suite ou plus tard.

Les auteurs précisent que le montant des financements, honoraires ou cadeaux n’est pas un critère d’exclusion : les montants perçus comme insignifiants doivent eux aussi être déclarés. C’est à la rédaction du journal de faire ou non état des sommes exactes.

Liens et conflits d’intérêts autre que financiers

Il est intéressant de lire la section portant sur les conflits d’intérêts non financiers, qui doivent eux aussi être déclarés. Un premier mérite, et non des moindres, du projet de Integrity in Science, c’est de les définir, d’appeler un chat un chat, même s’il n’y a pas d’argent impliqué directement. Les conflits d’intérêts non financiers – eux aussi sources de biais non moins préjudiciables que ceux résultant des liens financiers – incluent les convictions, opinions ou points de vue particuliers des auteurs ayant trait au sujet de l’article. Il faudrait déclarer – et faire figurer dans l’article – « toute affiliation et toute expression de ces points de vue ayant un rapport avec la thématique », telles les convictions ou opinions personnelles, politiques ou intellectuelles dont l’expression a un impact sur la perspective dans laquelle est abordé le sujet respectif ou sur d’autres dimensions connexes. Les déclarations de tels conflits d’intérêts ou biais devraient détailler tant les opinions courantes que celles exprimées par le passé, par exemple dans des livres, des tribunes libres, des commentaires publics, des auditions devant des parlementaires, des activités de lobbying, etc.

Un autre conflit d’intérêt non financier qui devrait faire l’objet d’une déclaration, c’est l’affiliation à une association non gouvernementale (ONG) qui aurait un intérêt ou un lien avec le sujet de l’article.

Propositions visant à unifier et codifier les déclarations accompagnant les articles de la presse spécialisée, médicale ou autre

Suivent les propositions destinées à la presse scientifique (rédacteurs, comités de lecture par des pairs) et des considérations de ce que devrait être une politique éditoriale lucide quant aux conflits d’intérêts et qui ne doit pas renoncer à l’indépendance, malgré la concurrence et le système publicitaire dominants.

En outre

Les références sont une source intéressante pour ceux qui veulent creuser la question. A noter qu’un article de Arnold S. Relman figure parmi les références les plus anciennes: Relman AS, “Dealing with conflicts of interest,” NEJM. 1984; May 3; 310(18):1182-3. Les prises de position de Relman – telle celle désormais classique dénonçant le “complexe médico-industriel”, cimenté par les liens financiers et autres conflits d’intérêts générateurs de biais et de corruption qui érodent les fondements même de la médecine – ont grandement contribué à la prise de conscience sur la nécessité d’un contrôle des conflits d’intérêts, dans le but de les éliminer. Car Relman ne fait pas dans la demi-mesure… Il ne se contente pas d’une déclaration des conflits d’intérêts, qui suffirait à les « gérer », selon certains, mais exige que les experts qui en sont porteurs soient éliminés de toute instance décisionnaire et/ou ayant un impact sur la politique sanitaire et l’exercice de la médecine. Il en va de même pour Jerome Kassirer, dont nous avons exposé les vues dans cette note :

Miser sur la déclaration des conflits d’intérêts des médecins relève de la pensée magique, selon Jerome Kassirer

Il y aurait beaucoup de choses à dire pour approfondir ce sujet et beaucoup de références à citer. Et il faudrait aussi pousser quelques coups de gueule quant au retard français dans la prise de conscience et dans les mesures proposées. Que les lecteurs n’hésitent pas non plus à gueuler dans les commentaires ;-))

PS: Rappelons l’existence du blog de Merrill Goozner, qui figure depuis longtemps sur la liste de liens de Pharmacritique: l’excellent Gooz News.

 

elena Pasca

Une réflexion sur “Une déclaration codifiée et généralisable des conflits d’intérêts : un projet de Integrity in Science (CSPI)”

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