Dépenses énormes pour une piètre qualité ; 47 millions sans couverture maladie ; des médecins empêtrés dans la bureaucratie ou refusant les assurances habituelles ; médecine générale laminée; une industrie pharmaceutique débridée…
L’un des dogmes du néolibéralisme consiste à dire que la concurrence ferait baisser les prix. Et que le choix entre prestataires multiples permettrait de faire des économies. Roselyne Bachelot ne dit-elle pas que si une mutuelle augmente ses tarifs (suite à la nouvelle taxe), ben, on n’a qu’à en choisir une autre ? Et quand elles auront toutes des tarifs prohibitifs, on évitera de tomber malades.
Un long article de Hervé Nathan, publié dans le numéro du 2 au 6 août de Marianne nous montre ce que donne la privatisation tant encensée, vers laquelle le gouvernement nous mène pas à pas : « Les Américains malades de leur assurance santé ». Il vaut la peine d’être lu en entier. Et d’être complété par les notes réunies sous les catégories privatisation de la santé et protection sociale en danger. La situation américaine est très bien exposée aussi dans le texte d’Arnold S. Relman Ethique et valeurs médicales dans un monde marchandisé où la santé n’est qu’un commerce parmi d’autres.
Je copie quelques courts fragments du début de l’article :
« Les Diafoirus ultralibéraux ont livré le système de santé à la concurrence. L’opinion publique commence à exiger des solutions collectives. »
« Ils sont 12 millions de cobayes sociaux. Cette nouvelle catégorie sociale est née récemment aux Etats-Unis. Elle représente les ménages américains en train d’explorer la dernière lubie locale de l’ultralibéralisme : être le consommateur modèle de sa propre santé ! Ces 12 millions de foyers sont titulaires d’un compte d’épargne-santé (health savings account), un système né en 2003, à la suite d’un loi promulguée par la Maison-Blanche. Le titre est assez explicite du fonctionnement : le propriétaire du plan accumule de l’épargne grâce à une aide fiscale, et éventuellement à un coup de main de son employeur. A lui, ensuite, de gérer ses dépenses : autrement dit, de choisir entre tel et tel dentiste, tel et tel traitement anticancer, l’hôpital et la clinique, ou tout simplement ne pas se soigner du tout. Voici où les néoconservateurs américains ont amené des millions de leurs concitoyens : à s’appliquer à eux-mêmes les lois d’un marché pur et dur pour leur propre vie et celle de leurs proches.
Ces Diafoirus ultralibéraux ont transformé le système de santé des Etats-Unis en machine folle. Aucun pays ne dépense autant (16% du PIB du plus grand pays industrialisé du monde) pour d’aussi piètres résultats en matière de santé. Selon l’OCDE, les Etats-Unis sont au 27ème rang pour la mortalité infantile et au 23ème rang pour l’espérance de vie. Difficile de faire plus mal avec autant de dollars.
Ce n’est pas forcément faute d’argent public. L’Etat fédéral assure déjà la couverture santé de 90 millions de personnes : tous les plus de 65 ans et ceux placés sous le seuil de pauvreté (environ 25.000 dollars par an, pour une famille de quatre personnes, seuil pouvant être relevé selon les Etats. Soit davantage que la Sécurité sociale française. Mais le dogme, aux Etats-Unis, pour les soins comme pour le reste de l’économie, c’est la concurrence, donc l’assurance privée (…).
(…) l’administration Bush a décidé de tourner le dos à tout interventionnisme, en refusant même de négocier les prix des médicaments remboursés avec les firmes pharmaceutiques dans les programmes publics, en dépit d’une injonction du Congrès en ce sens. (…) L’industrie pharmaceutique peut ainsi imposer des tarifs inconnus dans d’autres pays développés. Même pour les 47 millions d’Américains qui ne sont couverts par aucun système, l’administration Bush n’a qu’un credo : le choix individuel. (…).
En fait, la concurrence, au lieu de contenir les prix de la santé, ne fait que les accroître. C’est ce que prouve Mark D., médecin généraliste à New York. Mark, la cinquantaine tranquille, ne se plaint pas de son sort. Etre médecin aux Etats-Unis représente toujours un statut enviable. Mais le mot concurrence le rend comme fou : « Trouver que nous en manquons, c’est vraiment indécent », s’insurge-t-il. Car Mark jongle tous les jours avec la pléthore de systèmes d’assurances de ses patients. « J’emploie quatre personnes à plein temps pour remplir leurs formulaires, explique-t-il, puisque les assurances ont chacune une liste de spécialités, d’examens, de pilules remboursés ou non. » Son épouse, Michelle, psychiatre à l’hôpital, raconte le cauchemar qu’est devenu l’acte de prescrire : « Je devrais connaître par cœur les listes de médicaments de chaque assureur pour les prescrire à mes patients. Comme c’est impossible, je rédige mon ordonnance, et j’attends que le pharmacien m’appelle. Avec son ordinateur, il vérifie que les médicaments sont bien remboursés. Si ce n’est pas le cas, il me prévient, et je refais ma prescription. En attendant, les malades, schizophrènes, doivent attendre leurs gélules ! »
Pour Ed Howard, qui dirige un think tank (centre de réflexion et de recherches) « libéral », c’est-à-dire à gauche aux Etats-Unis, « c’est tout le système qui est inflationniste, à commencer par les études de médecine. Chaque toubib qui commence sa carrière a 200.000 dollars de dettes à rembourser. Cela les pousse vers les spécialités les plus rémunératrices, où ils peuvent toucher des honoraires élevés, et à multiplier les actes. » (…)
Non seulement le système ne marche pas, mais il creuse sa tombe ! Et l’évidence a convaincu l’opinion publique : 81% des Américains disent ne pas être satisfaits du système de santé, et 70% affirment même qu’il est en crise. (…) Le coût d’une assurance santé a augmenté de 78% depuis 2001. Les dépenses de santé par famille ont explosé de 143% entre 2000 et 2006. Pendant ce temps, les salaires n’ont progressé que de 19%. (…)
[Au cas où rien ne changerait], les cobayes de l’ultralibéralisme continueront à tourner dans leur cage, de plus en plus nombreux, de plus en plus isolés avec leur compte d’épargne-santé, courant de plus en plus vite après le mirage d’un marché de la santé « pur et parfait ». Jusqu’à ce que l’Amérique entière en tombe malade. »
Elena Pasca