La politique actuelle de santé crée du tiers-monde médical en France et dans les autres pays industrialisés et déleste les pays pauvres de leurs professionnels de santé.
Début mars a eu lieu à Kampala (Uganda) le premier Forum global des ressources humaines dans le domaine de la santé. Le journal médical The Lancet en rend compte dans cet article (qui n’a pas de résumé) : John S Yudkin et al, “Global health-worker crisis: the UK could learn from Cuba”. The Lancet, Volume 371, Issue 9622, 26 April 2008-2 May 2008, Pages 1397-1399. Nous le résumons puis ajoutons quelques autres références pour faire comprendre les enjeux pour la médecine occidentale comme celle du tiers-monde.
Yudkin et al. ne manquent pas de souligner que le Royaume-Uni contribue à la pénurie de professionnels de santé au tiers-monde par sa politique de recrutement ; celle-ci fait reposer tout le fonctionnement de son système public de santé sur les médecins et les infirmières qu’il amène du tiers-monde. Ce qui laisse les populations des pays d’origine sans aucun recours médical. Les pays occidentaux doivent trouver rapidement une solution à ce problème, par des partenariats, des programmes destinés à former des professionnels pour le tiers-monde (et les pays en développement) et des changements de politique. Et les auteurs de recommander aux autorités politico-sanitaires britanniques de prendre Cuba pour exemple.
En effet, Cuba est loin devant tous les autres pays en matière de démographie médicale, avec pas moins d’un médecin pour 169 personnes. « Le système cubain de santé et de formation médicale a acquis une énorme réputation internationale en contribuant à la mise en place de systèmes de santé dans beaucoup de pays en développement et en acceptant des étudiants en médecine venus d’autres pays latino-américains ainsi que de communautés défavorisées et à faible démographie médicale des Etats-Unis ».
The Lancet a par ailleurs un site consacré aux questions de santé au tiers-monde : The Lancet Global Health Network
Par ce pillage, les pays occidentaux font l’économie d’une formation très coûteuse et très longue. Ils font des économies aussi en traitant ces médecins et infirmières comme des professionnels de second ordre, corvéables à merci et bien moins payés que leurs confrères français ou ayant fait leurs études en France. Qui n’a pas entendu parler des FFI (« faisant fonction d’interne », le terme en dit long…) qui assurent les tâches les plus difficiles des services publics hospitaliers telles les urgences. Des médecins spécialistes sont réduits à un rôle de subalternes sous-payés, parfois pendant des dizaines d’années. Certains obtiennent la possibilité de refaire la première et la 6ème année de médecine pour obtenir une équivalence de leur diplôme. Imaginez des médecins spécialistes passer l’examen d’admission après la première année avec des jeunes de 19 ou 20 ans…
Entendons-nous bien : s’il y avait le moindre souci avec les qualifications et les compétences de ces médecins, ils ne seraient pas employés. Il ne s’agit pas de cela, mais de la volonté néolibérale de réduire à tout prix les coûts, entraînant un déni de reconnaissance et une humiliation qui pénalisent gravement ces personnes.
Comme le dit Marie-José Cloiseau dans un article de 2006 qui garde toute son actualité, la politique d’« immigration choisie » défendue par Sarkozy ne fait qu’empirer le pillage des ressources humaines du tiers-monde. De plus, tout est fait en France pour décourager les Français à étudier la médecine : « sélection par les mathématiques, numerus clausus de plus de plus impitoyable, conditions de travail inhumaines pour les internes dans les hôpitaux. Seuls réussiront à gagner décemment leur vie à l’issue de ce parcours du combattant ceux qui se tourneront vers la médecine libérale dans les quartiers chics ou qui parviendront à décrocher un poste dans une clinique ou dans un hôpital privé. Ailleurs, dans les hôpitaux publics, dans les quartiers pauvres et même à la campagne, il ne reste, de plus en plus souvent, que des médecins d’origine étrangère. (…) Médecine de pauvres pour des pauvres qui est devenue de plus en plus indispensable, car il y a de plus en plus de pauvres, et de plus en plus de spécialistes refusent des rendez-vous aux bénéficiaires de la CMU. »
Pour illustrer certaines dimensions de cette problématique, on peut lire le dossier signé Karl Blanchet et Regina Keith, publié en décembre 2006 par Le Monde diplomatique. Les auteurs commencent par esquisser les principales causes de la pénurie de professionnels de santé au tiers-monde, dans le texte Des années d’indifférence.
« Le continent noir ne possède que 3 % des personnels de santé du monde, quand sa population représente à elle seule 25 % du taux de morbidité mondial. Cette crise majeure est le résultat d’années de négligence et de sous-investissement des gouvernements africains et de la « communauté internationale », ainsi que des contraintes budgétaires et fiscales draconiennes imposées par le Fonds monétaire international (FMI). Tant le secteur de la santé que celui de l’éducation sont les premiers à souffrir de ces restrictions. »
Puis vient la pénurie de professionnels de santé en Occident, compensée par le recours aux médecins et aux infirmières du tiers-monde ou des pays de l’Est. Situation exposée dans l’article L’Afrique tente de retenir ses médecins.
Un extrait : « S’il est un domaine dans lequel le concept de l’« immigration choisie » révèle toutes ses ambiguïtés, c’est bien celui de la santé. Alors que le continent africain fait face à une désastreuse situation sanitaire, les nations développées, parmi lesquelles la France, n’hésitent pas à le délester de ses médecins. Ce pillage a des conséquences désastreuses, et certains pays du Sud prennent des mesures pour le contrecarrer. (…) Le recrutement international semble une solution peu coûteuse et simple pour faire face à cette pénurie. En allant chercher du personnel en Afrique, les pays riches économisent le coût de la formation, dix fois supérieur à celui constaté sur le continent noir. Autre avantage : beaucoup plus flexibles, ces professionnels se montrent davantage enclins à accepter de travailler la nuit ou à faire des heures supplémentaires. »
La situation de ces professionnels de santé est loin d’être enviable ; même lorsqu’ils deviennent Français, ils ne jouissent pas de la « plénitude de l’exercice » et sont bien moins payés que leurs confrères ayant des diplômes français. Une chronologie des dispositions administratives et légales les concernant est faite dans l’article Praticiens pas chers, statuts précaires.