« Grillés par la blogosphère », des leaders d’opinion découvrent l’éthique et tournent le dos aux firmes pharmaceutiques

Où l’on voit à quel point parler publiquement de ces questions peut avoir des conséquences et pousser des leaders d’opinions – les grands 1407881820.jpgpontes de la médecine – à réaliser que leur réputation ne sort pas indemne de leur soumission aux donneurs d’ordre industriels. Est-ce que les 30 argents valent la peine ?

C’est un article du New York Times en date du 15 avril, intitulé Citing Ethics, Some Doctors Are Rejecting Industry Pay qui nous informe du revirement de trois leaders d’opinion dans leur domaine respectif. Ils ont été mis en cause – mis sous pression et sous un feu nourri – par une blogosphère anglophone particulièrement active dans la dénonciation des conflits d’intérêts et d’autres formes de manquements à l’éthique. Ces trois pontes ont fini par entendre parler de l’éthique!! (Mieux vaut tard que jamais…) Et ils ont décidé de ne plus accepter l’argent de l’industrie pharmaceutique.

S’ils sont amenés à se prononcer sur des résultats d’essais cliniques ou des études, ce sera en toute indépendance, sans aucune contrepartie financière. Ils se disent soulagés, parce que plus personne ne mettra un astérisque à côté de leur nom – signe qu’ils sont en état de dépendance financière, signe encourageant le lecteur à douter du bien-fondé de leurs avis scientifiques et de leur travail en général… Et ils n’auront plus à se demander si telle décision est la bonne ou si elle est le résultat de ce que leur a soufflé l’industrie pharmaceutique, dit le Dr Eric P. Winer, directeur d’un centre d’oncologie spécialisé en cancer du sein à la faculté de médecine de Harvard.  

Jerome P. Kassirer, ancien rédacteur en chef de l’influente revue de l’Association des médecins Américains (JAMA) et auteur d’un livre dénonçant vigoureusement toute forme de conflits d’intérêts, que ce soit dans la recherche, la formation médicale continue (FMC), les publications, la pratique clinique, etc. commente cette décision en soulignant l’impact de ces media et associations de défense des consommateurs qui ont sensibilisé l’opinion publique – et celle médicale – sur la question des liens financiers avec les industriels et de leurs conséquences néfastes pour la santé individuelle et publique et l’intégrité de la médecine.

Ces médecins ont cédé à la pression, à la honte de se voir épinglés publiquement – il faut dire les choses telles qu’elles sont. En outre, de plus en plus d’institutions de recherche publiques et de facultés de médecine mettent en œuvre des politiques de régulation et de restriction des rapports financiers avec les firmes, à commencer par les écoles de médecine les plus prestigieuses, telles Harvard. « Il va sans dire que l’ambiance a changé », note Kassirer.

Kelly D. Brownell, directeur de l’influent centre d’études de la politique alimentaire et de l’obésité à Yale, dit vouloir protéger son intégrité face à une influence qui se manifeste de façon inconsciente et déforme l’objectivité de son travail. Personne n’est immunisé et l’influence des cadeaux et des financements a été largement prouvé, qu’il s’agisse de grosses sommes d’argent ou de « petites » attentions telles un repas, des stylos ou des post-it, etc. Nous avons abordé la question dans la note parlant des acrobaties de l’Afssaps avec les conflits d’intérêts.

Comme le dit le Dr Brownell, il est facile d’influencer subtilement les médecins pour les amener à privilégier un certain médicament. « On le fait pour deux raisons : pour que l’argent continue à rentrer et parce qu’on commence à apprécier les employés des firmes pharmaceutiques. On se sent membre d’une équipe ». Eh oui, les sommes d’argent peuvent être considérables, en fonction des services à rendre et de la notoriété du médecin. Brownell s’est vu offrir 50.000 dollars pour faire partie des conseillers techniques d’une firme. Somme à laquelle s’ajoutent les paiements pour chaque service rendu…

Le Dr Peter Libby, chef du service de médecine cardiovasculaire du très réputé Brigham and Women’s Hospital de Harvard, reconnaît que, lorsqu’il a reçu les premières « gratifications » financières dans les années 80, elles lui paraissaient un reflet normal de sa réputation, une reconnaissance de son bon travail… Il pensait que déclarer les liens financiers suffisait et que sa réputation serait préservée par le fait qu’il …était payé non pas par une seule firme, mais par beaucoup… Et Libby de souligner une autre évidence que les lecteurs français doivent comprendre : les liens avec l’industrie ne sont pas uniquement financiers, et donc les conflits non plus. Tel chercheur a besoin de faire telle recherche ou de conduire tel essai clinique parce que cela l’aide à avancer dans sa carrière et à obtenir plus de prestige dans le monde médical et scientifique. Alors il offre ses services ou il accepte l’offre – et l’argent qui va avec, sans penser au lien de dépendance qu’il crée. Même sans argent, les investigateurs des essais cliniques défendent souvent mordicus le médicament ou dispositif médical qu’ils ont testé – dans un travail d’équipe avec les sympathiques employés de l’industrie – et ne veulent pas voir les imperfections et les problèmes… Ils ne veulent pas remettre en cause leur position d’autorité que l’industrie les a aidés à acquérir… Nous renvoyons à notre note présentant le livre de Skrabanek et McCormick, Idées folles, idées fausses en médecine, pour que le lecteur comprenne ce qu’il en est de l’autorité et du prestige… La note s’intitule « La médecine est une mixture de science, de sophismes, biais, illusions d’optique, preuves manipulées et autres croyances… disent Skrabanek et McCormick »

C’est la blogosphère qui l’a marqué du fer rouge, « l’a grillé », dit Peter Libby, et lui a servi la douche froide qui l’a tiré du sommeil dans cette « zone confortable » où l’on vit très bien et sans se poser de questions… Or, tout « ce qu’offre l’industrie pharmaceutique ne vaut pas la peine », quand on a une conscience, qu’on est passionné par un métier qu’on peut mieux faire lorsqu’on est indépendant. Ce qui – avantage non négligeable – permet de se regarder dans une glace, avec le sentiment du devoir accompli et de la conformité aux principes éthiques. Sa décision de ne plus accepter la corruption par les firmes « répond à une pression sociétale », affirme la Dr Eric P. Winer.

Blogueurs de tous les pays, unissez-vous ! Contribuons à créer cette pression sociétale en France aussi!! A rappeler les principes éthiques qui doivent encadrer l’exercice de la médecine, n’en déplaise à ceux qui comprennent libérale est une médecine libre au sens d’arbitraire… La liberté sans limite – et la limite est éthique par définition – est de l’arbitraire pouvant glisser sur la pente totalitaire : il suffit de regarder ce qu’a fait la médecine « libérée » sous le nazisme et le fascisme japonais.

Réveillons nos chers médecins (trop chers, puisque c’est nous qui payons, à travers le prix des médicaments, pour les cadeaux que leur offre l’industrie), réveillons-les pour leur rappeler qu’ils sont là pour nous, pas pour l’industrie. Qu’ils se rappellent que leur seul intérêt légitime (et celui de toute leur profession) est l’intérêt de notre santé. Et qu’il est grand temps qu’ils fassent un aggiornamento en renonçant de nous considérer comme des objets passifs qui serions là pour qu’ils nous fassent gober les derniers médicaments imposés par les firmes, et peu importe s’ils sont utiles ou pas, si ce sont les meilleurs ou pas, du moment que les firmes les paient pour ceux-là et pas pour d’autres…

« Grillons » joyeusement des pratiques françaises au-dessus des lois, des pontes intouchables qui se croient au-dessus de toute critique, surtout quand elle vient d’usagers… Le temps du paternalisme et de l’élitisme est passé. Ces deux tares de la médecine ont contribué à nous amener dans le marasme actuel, selon Arnold Relman, dont le texte traduit par nous est à déguster sans modération. Vous le trouverez dans la note « Ethique et valeurs médicales dans un monde marchandisé où la santé n’est qu’un commerce parmi tant d’autres »

Il faut faire comprendre aux usagers ce qu’est un conflit d’intérêt et quels en sont les conséquences : faire augmenter les ventes d’un médicament, en occultant les problèmes qu’il pose, comme dans le cas du Distilbène, du Gardasil, du Vioxx, de l’Agréal, etc. De telles situations sont indignes d’une république, puisque les intérêts privés représentés par des médecins inféodés aux laboratoires pharmaceutiques contredisent directement – et sans conciliation possible – l’intérêt général. Il faut expliquer aux usagers que, pour leur santé, il faut qu’ils se renseignent bien sur leurs maladies et sur les traitements disponibles, avant d’accepter des médicaments ou interventions qu’ils ne connaissent pas, et surtout lorsqu’ils sortent juste avec une ordonnance, sans aucune explication, ni mise en garde. Ou encore lorsqu’on leur fait du chantage (le médecin dit : si vous ne prenez pas ça, je ne vous opère pas, etc.). Les usagers doivent se réveiller ; c’est impératif dans un pays qui n’a aucune législation qui les protège et où ils ne pourront pas demander justice en cas de catastrophe…

Les pays anglo-saxons appellent cela « empowerment » : le fait que les usagers s’impliquent pleinement dans leur santé, prennent les choses en main et se font respecter par des médecins avec lesquels ils traitent d’égal à égal, en égale dignité.

Les patients/usagers peuvent changer beaucoup de choses, et d’ailleurs rien ne se fera sans eux ! Ils peuvent le faire à la fois en résistant aux pontes grassement payés comme aux médecins lambda qui sont juste nourris et fournis en petit mobilier, post-it, stylos, tasses au logo de telle firme, etc. Il n’y a pas de médecin ayant la science infuse et qui pourrait se permettre de refuser les discussions et les explications qu’il est obligé de donner pour obtenir le « consentement éclairé » du patient, indispensable pour l’initiation et le maintien de toute traitement. Nous devons apprendre à poser la question des conflits d’intérêts et les médecins doivent apprendre à en parler d’eux-mêmes, laissant à notre appréciation si, compte tenu de tel conflit d’intérêts, on peut toujours leur faire confiance. Nous en parlions dans la note « Le business de nos médecins nous regarde. Demandons des comptes« . Il faut que les pontes français corrompus rendent eux aussi des comptes  et se demandent si les 30 argents qu’ils reçoivent pour trahir la confiance de leurs patients valent la peine.

Cela ressemble à une révolution dans les pratiques médicales et celles des usagers… Utopique ? Non. Difficile ? Oui. D’autant plus que – faut-il le répéter? – aucun cadre législatif et juridique n’existe en France pour agir contre la corruption. Mais c’est un effort impératif s’il y a des médecins qui veulent sortir d’une passivité coupable. Et si nous autres, usagers, ne voulons plus être co-responsables de la perpétuation de cette corruption dont nous sommes les uniques victimes. Je me répète, mais aucun médecin n’a jamais été forcé d’empocher les 30 argents. alors aucun ne peut se dire victime.  

PS : quelques références classiques au sujet du fait qu’il n’y a pas de « petit » cadeau, comme il n’y a pas de « petit » conflit d’intérêts :

  • Dana J, Loewenstein GA (2003) Doctors and drug companies: A social science perspective on gifts to physicians from industry [Le regard des sciences sociales sur les cadeaux offerts aux médecins par l’industrie pharmaceutique]. JAMA 290:252-255.
  • Wazana A. Physicians and the Pharmaceutical Industry: Is a gift ever just a gift? [Un cadeau peut-il être innocent?] JAMA. 2000;283:373-80
  • Moynihan R. Who pays for the pizza? Redefining the relationship between doctors and drug companies. 1: Entanglement. BMJ 2003;326: 1189-92. 2 : Disentanglement. BMJ 2003;326: 1193-6 [Qui paie la pizza ? Redéfinir les liens entre les médecins et l’industrie pharmaceutique. 1: L’enchevêtrement. 2: Le dés-enchevêtrement].
  • Kamran Abbasi, Richard Smith. No more free lunches. BMJ 2003;326:1155-6 [N’acceptons plus de repas payés par l’industrie]

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