La politique de santé publique face au lobby agro-alimentaire… La prévention de l’obésité infantile ne pèse pas lourd face aux intérêts privés

Prenons un extrait d’un article publié il y a un an par Marie Bénilde, Quand les lobbies (dé)font les lois, qui esquisse les enjeux et revient sur quelques étapes de la loi sur la santé publique:

« En ce mois de juillet 2004, le projet de loi sur la santé publique soumis au Parlement est loin d’imposer aux annonceurs de boissons, barres chocolatées ou biscuits des contraintes prohibitives en matière de communication publicitaire. Le nombre des jeunes de 6 à 15 ans victimes de surcharge pondérale et multipliant de ce fait leurs risques de maladies cardio-vasculaires a beau avoir triplé en un quart de siècle (pour atteindre 16 % de cette tranche d’âge), l’urgence ne semble pas s’imposer. Bien que le député (et médecin) Jean-Marie Le Guen (Parti socialiste, PS) alerte l’opinion sur un phénomène qu’il juge gravissime et qui touche un enfant de 8 ans sur cinq (…), le projet de loi présenté par le ministre de la santé de l’époque, M. Philippe Douste-Blazy, reste relativement modéré. Contrairement à la Suède ou au Québec, la France choisit en effet de ne pas interdire la publicité dans les programmes destinés aux moins de 12 ans. Le gouvernement s’est laissé gagner par les avocats de l’industrie alimentaire, qui mettent en balance leurs 140 milliards d’euros de chiffre d’affaires, leurs quatre cent vingt mille salariés et leur… 1,7 milliard d’euros bruts d’investissements publicitaires ».

Marie Bénilde parle de Douste-Blazy. Mais Xavier Bertrand n’a pas fait mieux lorsqu’il était ministre de la Santé, alors que des rapports officiels préconisaient l’interdiction pure et simple de la publicité encourageant les enfants à la consommation de sucreries. Cette séquence de l’émission de Canal+ « Faites passer l’info » montre Bertrand en train de se faire rappeler à l’ordre par le lobby agroalimentaire. Le ton de Jean-René Buisson (président de l’Association nationale des entreprises de l’agroalimentaire) oscille entre menace voilée et promesse de renvoi d’ascenseur. En tout cas, on n’a aucun mal à se rendre compte qui décide. Et, bien entendu, c’est l’intérêt privé des multinationales qui l’a emporté. La publicité se porte comme un charme – nous enfants un peu moins… – et le bandeau qui défile en bas pour dire qu’il faut bouger plus est en lettres tellement petites qu’il faudrait une loupe pour le voir…

Quelques autres extraits de l’article de Marie Bénilde, Quand les lobbies (dé)font la loi:

« Des groupes de pression puissants combinent à présent leurs forces pour faire obstacle au législateur sitôt que ce dernier ne résume pas l’intérêt général à la somme des (gros) intérêts particuliers. Il s’agit tantôt pour le lobby de l’agroalimentaire d’édulcorer les avertissements sanitaires destinés à lutter contre l’obésité, tantôt pour le groupe Suez d’offrir aux parlementaires des petits cadeaux qu’on espère lucratifs, tantôt pour les médias de récolter davantage de recettes publicitaires, grâce cette fois au Parlement européen.

En mars 2007, après trois années de tergiversations, le volet publicitaire du décret d’application de la loi sur la santé publique votée en août 2004 devrait entrer en vigueur. Le consommateur pourra alors découvrir en bas d’une page de magazine ou sur un écran de télévision des mentions sanitaires très œcuméniques du type : « Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour » ; « Pour votre santé, pratiquez une activité physique régulière » ; ou « Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré ou trop salé ». Destinés à lutter contre une obésité qui touche 12,40 % des Français, ces avis n’ont pas, loin s’en faut, le caractère dissuasif des messages légaux imprimés sur les paquets de cigarettes (« Fumer tue »). Ils sont moins le produit d’une politique de santé publique que celui d’une bataille de lobbying qui s’est jouée en coulisses avec, au premier rang, l’industrie alimentaire et des publicitaires soucieux d’échapper à une législation trop contraignante.Représentés par l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA), les industriels ont d’abord joué un rôle de premier plan pour adoucir la portée d’un texte destiné à limiter le champ d’action de publicités vantant des aliments riches en sucre, en sel ou en graisse. Au cœur de l’été 2004, ils parviennent à faire adopter par le Sénat un amendement qui fait passer de 5 % à 1,50 % la taxe prélevée sur les campagnes publicitaires des industriels au profit de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes). Il est par ailleurs décidé que les annonceurs pourront s’abstraire d’une telle contribution s’ils acceptent de diffuser des messages de prévention (qui, à l’époque, restaient à définir). Pendant deux ans et demi, l’ANIA et le lobby de la publicité, représenté par l’Association des agences conseils en communication (AACC), vont s’échiner à réduire à la fois la teneur et la taille des bandeaux sanitaires. (…)

Matraquage publicitaire télévisé

Néanmoins, une intense campagne de lobbying se met en place pour rendre l’addition, si l’on peut dire, encore moins salée. L’ANIA dispose pour cela d’un atout de taille : son président, M. Jean-René Buisson, vient de recruter au sein du cabinet de M. Douste-Blazy la conseillère chargée des relations avec le Parlement, Mme Anne Peyricot. Jusqu’en décembre 2004, date à laquelle elle retournera occuper un poste similaire auprès de M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales (et bras droit de M. Nicolas Sarkozy), elle est directrice institutionnelle du lobby de l’industrie alimentaire. De leur côté, les publicitaires Christophe Lambert et Hervé Brossard montent au créneau dans une tribune du Monde pour désigner, au nom de l’AACC, un coupable moins gênant : « C’est la sédentarité des enfants et des adolescents qui est le premier facteur de l’obésité, pas le message publicitaire (2). » Par la même occasion, ils font d’une « société qui abandonne quatre heures par jour ses enfants devant la télévision » la véritable origine du mal, sans reconnaître au passage que la fréquentation assidue du petit écran va de pair avec une consommation élevée de spots de publicité.

Un an plus tard, le même Hervé Brossard, président de l’AACC, s’emploie à démontrer l’incongruité du discours de prévention après avoir fait le siège du ministère de la santé, en compagnie de l’ANIA, dans le but d’ajourner sine die le décret d’application de la loi : « Les bandeaux d’information pollueront les messages des marques sans permettre un message sanitaire clair », explique-t-il au Figaro (3). En somme, il s’agit à présent de faire la preuve du caractère inopérant du dispositif de communication après avoir obtenu de l’Etat qu’il ne s’applique qu’a minima… Au cours de rencontres parlementaires sur la lutte contre l’obésité, Mme Nathalie Rastoin, directrice générale de l’agence publicitaire Ogilvy – par ailleurs conseillère en communication de Mme Ségolène Royal – ne manque pas de pointer le caractère équivoque d’un message recommandant l’activité physique ou la consommation de fruits et légumes, qui peut être associé positivement aux entreprises de l’alimentaire qu’il est censé combattre : « Qui parle ? Quelle est la lisibilité  (4) ? » Une remarque de bon sens qui menace un bel échafaudage à quelques mois de l’élection présidentielle.

Les industriels, en tout cas, ne s’y sont pas trompés. Les mentions sanitaires leur paraissent tellement inoffensives qu’elles sont largement reprises dans les publicités de fabricants pourtant en mesure de s’y soustraire s’ils choisissent d’alimenter la taxe de 1,50 % dévolue à l’Inpes. « En réalité, la quasi-totalité des industriels ont fait le choix du message sanitaire. Seuls un ou deux groupes internationaux ne comprennent pas bien l’objet de ces nouvelles règles », admet M. Buisson dans Le Figaro du 7 février dernier. L’association de deux lobbies, ceux de l’alimentation et de la publicité, leur a permis d’éviter une ponction majeure sur les budgets de communication de grands annonceurs, qui représentent 8 % des investissements publicitaires dans les médias en 2006.

Le résultat, comme le dit M. Alain Bazot, président de l’Union fédérale des consommateurs (UFC) – Qu
e choisir, c’est que le « boniment publicitaire est devenu dangereux » alors que la France compte chaque année quatre cent mille obèses supplémentaires (5). Les enfants en sont les premières victimes puisqu’ils reçoivent de façon ludique la publicité qui leur est destinée, jouent de leur pouvoir prescripteur auprès des parents et seront sans doute incapables de décrypter le caractère préventif du message sanitaire. Or, selon l’UFC – Que choisir, 89 % des spots qui leur sont destinés concernent des produits alimentaires sans valeur nutritionnelle. » (…)

2 réflexions au sujet de “La politique de santé publique face au lobby agro-alimentaire… La prévention de l’obésité infantile ne pèse pas lourd face aux intérêts privés”

  1. La prise de tahor m’a profondément touché. Je ne pouvais plus me lever, tant j’avais de douleurs partout.Ce médicament ne devrait pas être sur le marché

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  2. Je suis désolée d’entendre par quoi vous êtes passé et j’espère que vous avez récupéré entre-temps.
    C’est d’autant plus révoltant si vous êtes une femme, parce que, comme je l’ai dit dans deux notes, ni le Tahor ni les autres statines ne semblent avoir d’effet préventif des complications cardiovasculaires chez les femmes, du moins en prévention primaire.
    http://pharmacritique.20minutes-blogs.fr/archive/2008/09/21/tahor-et-les-autres-statines-n-ont-guere-d-effets-protecteur.html
    http://pharmacritique.20minutes-blogs.fr/archive/2008/09/25/femmes-et-statines-les-firmes-distillent-la-peur-pour-eriger.html
    Bon courage à vous et merci pour votre témoignage!

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