Les media ou Le premier pouvoir de désinformation au service des lobbies: « Orwell se retourne dans sa tombe »

Le documentaire « Orwell se retourne dans sa tombe« , réalisé par Robert Kane Pappas, est en plein dans le sujet lorsqu’on Orwell Rolls in his Grave.jpgcritique les dérives du lobby pharmaceutique et des divers corporatismes qui participent de la désinformation (générale et médicale) que nous vivons et que nous contribuons à perpétuer par l’absence de réflexion critique. Le pouvoir corporatiste qui détient les media joue selon la même loi du plus fort et du marketing que les corporations/ multinationales pharmaceutiques. Déformation, censure, manipulation, mensonge, faiseurs d’opinion (leaders d’opinion / dealers d’opinion) au service des groupes d’intérêt privés – la situation américaine vaut bien la nôtre. Les lecteurs de Marianne, du Canard enchaîné et du Monde diplomatique retrouveront des thèmes familiers : concentration des media aux mains de quelques lobbies tels celui de l’armement, monopoles occultés par l’illusion du choix, avec la pléthore des titres et des chaînes… Occuper par tous les moyens le « temps de cerveau disponible », par une information préformatée, prémâchée – qui empêche les lecteurs / spectateurs d’appronfondir les choses pour se forger un avis éclairé – et par le divertissement…

Non, ce n’est pas une énième version de la théorie du « complot » – injure à la mode dès que quelqu’un ose sortir des vérités préfabriquées livrées par packs… Mais c’est le constat d’une évolution vers ce que décrivait George Orwell dans son roman « 1984 ». Constat fait par des élus britanniques et américains – tels ce député du Vermont qu’on aimerait bien avoir en France… -, par un ancien procureur de Los Angeles, par des spécialistes des media (universitaires, anciens dignitaires médiatiques, producteurs), par des « chiens de garde » tels le Center for Public Integrity et d’autres. Il y a une fraîcheur, une spontanéité langagière et d’analyse qui tranche nettement avec ce qu’on peut lire ou entendre en France.

Le documentaire est sous-titré en français.

Le documentaire peut être visionné en intégralité ici:

Orwell se retourne dans sa tombe (Orwell Rolls in His Grave).

Commentaires:

Objectif essentiel : distraire et dépolitiser

Comme le dit un intervenant, « le système médiatique est un « sous-traitant » de l’Amérique corporatiste », soucieux de ne pas froisser les lobbies et groupes d’intérêt et de pression. Des sujets explosifs, comme la paupérisation croissante de la grande partie de la population et l’enrichissement sans bornes d’une infime minorité « ne sont pas abordés pour éviter des conflits de classe », dénonce l’économiste Paul Krugman. Toute question sociale a disparu des media. Ils font du sensationnel, du divertissement, du fait divers qu’on interprète de façon à entériner et conforter une idéologie politique.

Mise au pas de la société… ou comment éviter la formation d’un esprit critique en favorisant l’expression d’opinions fabriquées, pour paraphraser le titre de l’ouvrage de Patrick Champagne, « Faire l’opinion, le nouveau jeu politique » (Minuit, 1990). Pour ce qui est des rapports incestueux des media avec les lobbies et multinationales de toute sorte, la référence incontournable est l’ouvrage de Noam Chomsky et Edward S. Herman: « La fabrique de l’opinion publique. La politique économique des médias américains » (Le serpent à plumes, 2003). Le titre original est encore plus explicite: « Manufacturing Consent », soit à peu près comment on fabrique l’adhésion (à une idéologie), l’accord tacite à une politique et sa reproduction consciente et inconsciente. (L’intention n’est pas de donner une liste de références, juste d’introduire ce documentaire en faisant des renvois aux méthodes de l’industrie pharmaceutique, mais je voudrais quand même mentionner Marie Bénilde, auteure de plusieurs livres et articles sur les media et les lobbies).

Une opinion dépolitisée, idéologisée, qui supplante le politique s’insinue peu à peu, nivellisante, uniformisante. En faisant dans le spectacle, les media dépolitisent, alors que leur rôle serait d’éduquer à la vie en démocratie, contribuer à ramener les gens dans l’espace public démocratique, dit Mark Crispin Miller, spécialiste des media à l’Université de New York. Presse et audiovisuel se livrent à une entreprise de destruction dans l’oeuf de tout ce qui pourrait aller au-delà d’une opinion, vers la formation d’une « Öffentlichkeit » (Jürgen Habermas), d’un espace public politique permettant le débat. Et en livrant des réponses avant même que les citoyens aient acquis la capacité de poser les questions qui importent, ces même media empêchent les questionnements démocratiques. Contrairement à l’image de « quatrième pouvoir », ils ne donnent aucune tribune à la critique, à l’investigation des dérives, abus, mystifications et mensonges des corporations / multinationales.

« Le fantôme dans la machine » (à écrire)

L’information n’est même plus simplement rapportée, mais gérée, refaite, édulcorée, de façon à moduler et « modérer » son contenu, à la passer par un lit de Procuste qui lui enlève tout son mordant. Ce qui n’est pas sans rappeler le procédé de l’industrie pharmaceutique – qui se sert des media pour son marketing et son commerce – appelé « ghostwriting » (écriture fantôme, par le service communication des firmes), l’une des dimensions essentielles du « ghost management »… Ce ne sont pas les scientifiques qui font bon nombre d’études médicales, comme ce ne sont pas les journalistes qui font l’information… Il y a un « fantôme dans la machine », selon le titre ironique d’un article… Le service marketing des firmes pharmaceutiques gomme ou « adoucit » des résultats pas franchement encourageants de tel essai clinique ou réécrit le tout ; les médecins, experts, investigateurs et autres « auteurs honoraires »… prêtent leur nom parfois sans même savoir ce que contient le texte final. Il en va de même dans le traitement de l’information « généraliste » par les chefaillons versés dans la censure soft et le maniement de la brosse à reluire, pour citer le Canard enchaîné, incarnation de la résistance.

Les journalistes travaillent avec les « sources officielles » : ce n’est plus de l’information, mais du marketing, une activité qui doit soutenir le commerce des lobbies qui financent et en veulent pour leur argent. Comme pour les media médicaux, les revenus des media généralistes proviennent en très grande partie des annonceurs. Et un député du Vermont l’exprime sans euphémismes : « peu de gens savent que, quand ils regardent la télé, ils regardent un programme produit par des multinationales qui ont d’énormes conflits d’intérêts« , ce qui veut dire que les sujets qui touchent aux lobbies et à leurs réseaux de vassalité sont censurés. Il y a un « cadre de réflexion autorisé » et les journalistes sont façonnés pour penser à l’identique, avoir les mêmes approches, les mêmes tabous.

En France, pensons aux grand groupes industriels qui détiennent la plupart des chaînes de télévision, des titres de la presse écrite, des maisons d’édition, etc. Bouygues, Dassault, Lagardère…

Depuis les années 70, les milieux néo-conservateurs américains ont créé des fondations lourdement financées, telles la « Heritage Foundation » ou les think tanks, qui n’avaient d’autre but que la mainmise sur les media, au nom de leurs combats idéologiques. Les analogies avec la France ne sont pas fortuites… Comme les clubs néo-cons dans le genre « Meilleur des mondes », les commissions à la mode en France, et la ribambelle de conseillers politiques, les think tanks produisent des analyses et des projections qui influencent les choix politiques, socio-économiques du pouvoir. Ils se servent des media pour les imposer comme des évidences, comme la seule solution possible aux questions traitées. Le message central étant que les intérêts des corporations / multinationales et l’intérêt général sont les mêmes… Les conflits d’intérêts ne sont même plus perçus.

Il va sans dire que ces analyses valent aussi pour l’industrie pharmaceutique, lobbyiste le plus actif auprès des élus américains, chouchou de Bush (avec le lobby pétrolier et celui de l’armement). Les firmes pharmaceutiques utilisent les mêmes méthodes quand elles créent de toutes pièces des fondations et certaines associations de malades qui ne sont là que pour servir leurs intérêts, mais en les faisant passer pour l’intérêt des patients et du progrès thérapeutique… De l’humanitaire, quoi… grouillant de conflits d’intérêts.

« Ces dernières années, les media corporatistes et la politique ont fusionné » ; il va sans dire que la fusion s’est faite par les lobbies économiques qui détiennent les media et ont la plupart des politiques dans leur poche… Selon Robert McChesney, de la Foundation of Media Reform, « le pouvoir corporatiste est défendu par nos media comme le communisme était défendu par la presse soviétique »… Les medias sont devenus « le ministère de la vérité » dont parlait George Orwell

Moyens de production de l’industrie de la conscience

Il est désormais légitime de se demander si les media de masse ne seraient pas devenus une force anti-démocratique, cette « industrie de la culture » que Theodor W. Adorno voyait s’imposer déjà il y a plus de 60 ans. Une « industrie de la conscience » produisant des « analphabètes secondaires », selon le mot de l’écrivain allemand Hans Magnus Enzensberger, dépourvus de tout esprit critique, mais maniant les quelques oripeaux de langage nécessaires à l’adaptation au néolibéralisme. Mais « Se conformer n’est pas penser« . Consommer non plus…

« La seule chose qu’il fallait [pour an arriver là], c’était une série continuelle de victoires contre votre propre mémoire » (Orwell, 1984). Comme quand on oublie que les mêmes causes – et les mêmes méthodes – produisent les mêmes effets. L’oubli – inculqué mais aussi volontaire, dans cette société où l’indifférence est reine – permet la répétition, y compris des catastrophes sanitaires, et la reproduction de tout un système. Il nous rend tous co-responsables de ce qui arrive.

3 réflexions au sujet de “Les media ou Le premier pouvoir de désinformation au service des lobbies: « Orwell se retourne dans sa tombe »”

  1. Conflit d’intérêts, mélange des genres, toute vérité ne semble pas bonne à dire.
    Après la dissolution du conseil de l’ordre départemental des médecins, une seule rédaction a creusé le sujet : http://www.bakchich.info/article2564.html.
    Selon Bakchich, le secrétaire général du conseil départemental, le docteur Boissin, outre les confortables indemnités qu’il se verse, est un personnage pour le moins intéressant. Communiquant de l’ARC à la pire période, conseiller d’un secrétaire d’Etat à la santé condamné pour malversation dans l’exercice de ses fonctions, il siège pourtant au sein de l’instance qui représente les médecions parisiens…

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  2. Bonjour
    Je suis d’accord avec vous concernant l’influence extrêmement négative des lobbies sur le milieu pharmaceutique.
    L’affaire récente du médicament Avandia, développé par GSk pour lutter contre le diabète, est tout à fait représentative de cette dérive.
    ce qui est inquiétant, c’est que ces démarches fonctionnent à echelle internationale. Qui peut réellement l’influence des lobbyistes de GSK sur les instances de Londres, qui freinent constamment les démarches pour retirer ce médicament, désigné comme cardiotoxique, de la vente.
    Un blog a récemment traité de ce sujet. Je vous le conseille:
    http://pharma-and-ci.blogspot.com/

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