L’édition d’hier du journal International Herald Tribune annonce une autre facette du scandale Avandia (rosiglitazone), qui confirme, si besoin était, à quel point cette affaire ressemble à celle du Vioxx. En plus des effets secondaires similaires (surtout cardiovasculaires) des deux médicaments et des multiples tentatives pour occulter la vérité, l’affaire Avandia est un autre exemple éclantant du fait que certains médecins n’ont plus ni foi ni loi lorsqu’ils sont achetés par les firmes pharmaceutiques.
D’autre part, notre vénérable Afssaps reste semblable à elle-même, imperturbable même devant tant de crises cardiaques, comme le montre son communiqué du 25 janvier. Elle a le coeur solide, elle…
Pour rappeler le contexte (esquissé dans les notes figurant dans la catégorie « Avandia – Actos – diabète):
On en était resté à l’accumulation lente de preuves de toxicité cardiovasculaire d’Avandia, preuves qui venaient confirmer ce qui au départ pouvait encore être interprété par certains comme des estimations exagérées, etc. Dans ce contexte paraissaient les résultats de l’étude canadienne toute récente, qui ne laissaient plus de doute quant à la responsabilité d’Avandia (et de la pioglitazone Actos) dans des cas d’infarctus et autres problèmes cardiovasculaires. Y compris un taux de décès de 19%, attribuable en majeure partie à Avandia, médicament le plus utilisé par la population étudiée, mais Actos ne s’en sort pas beaucoup mieux, comme nous l’avons souligné.
Rappelons les choses sur le plan politique, qui a été décisif pour faire éclater la vérité. Le Dr John Buse, qui avait attiré l’attention publiquement sur les dangers cardiovasculaires dès 1999 et averti l’agence américaine du médicament (FDA), sans succès, est obligé de se taire. En 2005, apprenant que le Dr Steven Nissen s’intéresse de près aux glitazones (famille d’Avandia), Buse l’avertit sur la cardiotoxicité d’Avandia, mais aussi sur les méthodes de bas étage utilisées par GlaxoSmithKline pour imposer le silence. Prévenu, le Dr Steven Nissen a l’intelligence d’assurer ses arrières en s’adressant au Congrès avant même de publier la méta-analyse parue en mai 2007 dans le New England Journal of Medecine.
L’affaire passera des députés au sénateur Charles Grassley, le « justicier » le plus redouté par les firmes pharmaceutiques, porteur du dispositif de transparence Sunshine Act et défenseur des lanceurs d’alerte. Au point que GSK dise, non sans une certaine raison, qu’Avandia risque d’être une victime des politiques plus que des scientifiques.
Cet aspect a pu choquer certains qui avaient du mal à croire que les études scientifiques en elles-mêmes ne pouvaient pas amener l’agence de sécurité sanitaire à retirer un médicament du marché ou à en restreindre fortement l’usage. Non, malheureusement… tellement l’indépendance des autorités sanitaires a été mise a mal et subordonnée aux intérêts des firmes pharamceutiques. Comme pour le Vioxx ou d’autres, rien ou presque ne peut aboutir sans l’appui d’hommes politiques placés dans les Comités stratégiques ayant un droit de regard sur les activités des organismes impliqués dans la santé publique. Tel le Comité des Finances, qui supervise les programmes publics d’assurance-maladie aux Etats-Unis, ce qui donne au sénateur Grassley certaines prérogatives. Lui et son allié principal à la FDA, l’épidémiologiste David Graham (qui avait pu rendre public le scandale du Vioxx parce qu’il a bénéficié de la protection sénatoriale face qux diverses menances), ont agi de nouveau de concert et ont arraché à la FDA un double label noir pour marquer Avandia.
Un label noir (black box warning) est la mise en garde la plus forte sur l’existence d’effets secondaires très graves. Puisque Grassley n’a pas réussi à faire retirer Avandia du marché par décision directe de la FDA, il s’est servi des ses relations pour agir indirectement. Ainsi, le Département des Vétérans (très puissant aux Etats-Unis, y compris en matière de décisions de santé) a annoncé en octobre qu’il retirait Avandia de la liste de médicaments fournis à ses assurés, privant ainsi GSK de 8% des ventes d’Avandia aux Etats-Unis. Deux autres grands fournisseurs de médicaments ont suivi l’exemple et retiré Avandia à partir de janvier 2008.
Le sénateur Grassley avait rendu public à la mi-novembre un rapport sur la censure qui avait cours à la FDA à propos d’Avandia ainsi que sur les méthodes douteuses utilisées par GSK depuis 1999 pour empêcher la vérité d’éclater. Le sénateur avait aussi annoncé la poursuite de son enquête et l’audition programmée de plusieurs acteurs de cette affaire, notamment de Tadataka Yamada, superviseur des essais cliniques d’Avandia, passé à la Fondation Bill et Melinda Gates, pour apporter sa précieuse expérience à l’humanitaire.
Il est intéressant de voir que toute action politique est rendue publique, pour obtenir le soutien d’une opinion publique excédée par les scandales à répétition concernant Big Pharma et son humble servante, la FDA. L’épidémiologiste David Graham a lui aussi rendu publique l’estimation du nombre de crises cardiaques dues à Avandia, passant par-dessus la direction de la FDA qui aurait préféré garder le silence…
Tout cela n’est pas anecdotique, parce que tous ces détails nous font comprendre quelle conjonction de forces il faut pour tenir tête à une firme pharmaceutique sur un seul médicament. L’administration Bush a désorganisé les réseaux de résistance qui existaient auparavant, et le sénateur Charles Grassley a été bien seul pendant des années, à devoir se battre contre son propre camp politique – républicain – pour essayer de faire respecter un minimum de réglementations…
Hier, le sénateur Grassley a annoncé de nouveau par voie de presse la dernière découverte, qui est plus qu’anecdotique : lorsque le Dr Steven Nissen avait soumis son étude au comité de lecture du New England Journal of Medicine, un médecin membre de ce comité a immédiatement faxé le texte à GlaxoSmithKline. Permettant ainsi à la firme d’organiser sa défense et d’essayer de discréditer l’étude de Nissen et son auteur.
Celui qui a ainsi violé toutes les règles d’éthique, de la médecine et de la recherche est le Dr Steven Haffner de l’UTHSC (faculté texane de médecine). Inutile de dire qu’il avait critiqué ouvertement la méta-analyse du Dr Nissen et les éditoriaux favorables à celui-ci, publiés dans deux autres revues médicales. Selon Haffner, les revues qui avaient repris les conclusions défavorables à Avandia ont manqué aux règles scientifiques et se sont comportés comme des tabloïds britanniques… Ce médecin, exemple vivant d’intégrité et de professionnalisme, avait déclaré par le passé des liens financiers avec GlaxoSmithKline, en tant que conférencier et investigateur de leurs médicaments, par exemple lors d’un essai clinique majeur sur Avandia.
Selon certaines données de la FDA, le Dr Haffner a reçu autour de 75.000 dollars de GSK depuis 1999. Ce qui ne l’empêche pas de dire que sa trahison était un acte … gratuit, que lui-même ne comprend pas. Soit. Mais dans ce cas Grassley demande si GSK s’est émue de ce manquement à l’éthique et l’a signalé au journal et aux autorités compétentes. En vertu de la charte « éthique » établie par les firmes et qui, selon elles, rendrait superflue toute réglementation telle que l’envisagent (ou l’appliquent déjà) certains Etats américains ou certaines institutions…
Le New England Journal of Medicine réfléchit aux mesures à prendre pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise. Pareil pour la faculté texane du Dr Haffner. Mais elle se reproduira tant que les grandes revues médicales accepteront dans leur comité de lecture des médecins ayant des conflits d’intérêts et que les facultés de médecine ne mettront pas un ordre strict dans les affaires des enseignants qui les entraînent dans leur business. Rappelons que le moyen de pression le plus efficace de GSK pour faire taire le Dr Buse a été la menace de couper les fonds à la formation médicale continue de sa faculté de médecine… Ces institutions d’enseignement et de presse ont toutes leur responsabilité dans la perpétuation du business; l’indignation vertueuse après coup est bien hypocrite…
Si la situation américaine paraît catastrophique, les mots nous manquent pour qualifier celle européenne et française, qui ne peut pas se targuer d’hommes politiques actifs, de lanceurs d’alerte et de journalistes d’investigation… Personne ne sera étonné d’apprendre qu’après toutes ces études et réactions internationales à propos de la toxicité d’Avandia, la seule réaction de la vénérable EMEA (agence européenne d’évaluation du médicament), reprise par notre tout aussi vénérable Afssaps, a été d’annoncer une non mesure, puisque rien ne change dans les faits… Voici un communiqué en date du 25 janvier : Mises en garde renforcées chez les patients atteints de maladies cardiovasculaires ischémiques
« Dans le cadre de la réévaluation de l’ensemble des données disponibles sur les effets indésirables des spécialités à base de glitazones, le Comité scientifique de l’Agence européenne du médicament (Emea) a proposé, au cours de sa réunion plénière de janvier, de restreindre l’utilisation du médicament [Avandia] chez les patients souffrant de maladies cardiovasculaires ischémiques »…
Pas un mot sur les nouvelles études parlant de risques cardiovasculaires y compris chez les patients qui n’avaient pas de tels soucis en début du traitement… Pas un mot sur les résultats désatreux de l’étude canadienne, mentionnée plus haut.
L’art de noyer le poisson, de s’affairer sans rien changer… Tranquillement, puisqu’en France personne ne s’interroge sur les éventuels conflits d’intérêts de ceux qui ont pris la décision de maintenir le statu quo. Les hommes politiques sont tranquilles, eux aussi. Les journalistes ne troubles pas non plus la tranquillité de l’opinion publique.
Voir toutes les notes sur Avandia (et les autres glitazones telles que l’Actos), les effets indésirables d’autres antidiabétiques (Lantus…) et le diabète en général, en descendant sur cette page.
Elena Pasca
Bravo pour votre courage. Recevez mon soutien sans faille. Les USA font le ménage en ce moment dans la sphère pharmaceutique, chaque avancée de leur part sera utile pour faire de meme en Europe. Soyons patient.
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Merci! Je connais très bien la situation aux Etats-Unis, les projets de loi (les « sunshine laws »), les initiatives prises par divers Etats ou institutions pour réglementer les conflits d’intérêts, limiter l’influence de l’industrie pharmaceutique.
Malheureusement, il y a aussi des régressions, comme cette dernière loi sur les attributions de la FDA et quelques autres.
Je reviens encore et encore à la législation: les spécificités des lois américaines permettent de poursuivre les firmes pharmaceutiques et de lutter contre leur trop grande influence. Et je ne parle pas des actions des victimes – de type class action, nécessaires aussi – mais de celles des autorités fédérales. Nous sommes complètement démunis sur le plan législatif, et c’est pourquoi je ne suis pas vraiment optimiste.
Les changements aux Etats-Unis peuvent être une incitation, mais ils ne sont pas transposables faute de fondement législatif et juridique…
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