Citons d’emblée Paul Arcand, le réalisateur de «Québec sur ordonnance», ce documentaire sur les rouages de l’industrie du médicament au Québec, sorti en octobre : « Dans le fond, c’est quoi l’attitude des gouvernements face à la pauvreté? Ce qui est clair, actuellement, c’est que la médication est une des façons de répondre à ça. Quant à savoir si c’est une réponse qui a de l’allure, une réponse qui est permanente, moi j’ai un sérieux doute ». Et ailleurs : « De tous les médicaments vendus aux pauvres, ce sont les psychotropes qui arrivent en première place. Une pilule pour oublier, une pilule pour se geler les émotions, une pilule pour être au neutre ».
Effectivement, le même constat a été fait aux Etats-Unis : plus on est pauvre, plus on est assommé par des psychotropes surtout : antidépresseurs et tranquillisants, principalement, mais aussi des psychostimulants comme la Ritaline et des antipsychotiques. Tous sont prescrits en majorité aux enfants des pauvres, aux minorités et aux détenus dans les prisons. Mais c’est un sujet qui mérite une note à part.
Je tenais juste à mettre en exergue cet aspect, parce qu’il y a un rapport entre niveau d’éducation et niveau de critique vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique et des habitudes trop généreuses de la majorité d’un gente médicale sous influence financière et idéologique. En France aussi, on voit que la durée moyenne d’une consultation chez les généralistes est de plus en plus courte – elle serait de 16 minutes, en moyenne, selon certaines estimations – alors que ces mêmes médecins prescrivent au moins 80% des psychotropes, selon le Rapport du Sénat… Le paiement du médecin à l’acte y est pour quelque chose ; plus la consultation est courte, plus les médecins sont encouragés à les multiplier… Et ils ne s’encombrent pas avec la misère que les patients auraient à raconter… Ces patients qui n’ont pas les moyens de se payer un psychologue ou un psychiatre, sachant qu’il est pratiquement impossible d’en trouver un qui ne pratique pas de dépassements d’honoraires sans « tact [ni] mesure », malgré les incitations des diverses réglementations. L’argent – toujours le nerf de la guerre…
Mais la médecine tient à son statut libéral; à se demander s’il ne s’agit pas, là encore, de libéraliser les profits, tout en mutualisant les pertes (ici: les catastrophes sanitaires résultant d’un usage non rationnel des médicaments)…La médecine est un commerce comme un autre, composante de moins en moins différente d’un marché roulant tout entier pour le profit – c’est ce que montre à merveille ce documentaire, auquel on a reproché la mauvaise réalisation cinématographique, tout en reconnaissant la pertinence du propos…
Une « médecine fast food » calquée sur la loi de l’offre qui crée la demande, typique de la société de consommation, les stratégies marketing de l’industrie, les médecins qui appuient trop vite sur la gâchette, notamment pour les antidépresseurs… Et d’autres aspects présents dans le film… Alors que poser un diagnostic de dépression prend au moins une heure, selon le Dr Lamontagne, PDG du Collège des Médecins du Québec qui commente le film dans une émission de Radio Canada
Interview vidéo avec Paul Arcand
Des articles présentant le documentaire, illustrés par des propos de Paul Arcand et avec des réactions intéressantes à la fin : « Québec sur ordonnance. C’est grave, docteur? »
« Québec sur ordonnance : ne pas désigner de coupable, selon Paul Arcand (entrevue) »