J’évoque de temps à autre les méfaits des perturbateurs endocriniens (endocrine disruptors) ou substances à action endocrinienne, tels que le bisphénol A, les phtalates, les pesticides, les dioxines, les parabènes… Présents dans l’environnement, ils perturbent le système hormonal humain (entre autres) et des fonctions telles que la reproduction ; ils sont des co-facteurs dans l’apparition de maladies, et en particulier de pathologies hormono-dépendantes telles que les cancers de la prostate et du sein. En avril 2008, j’ai traduit les fragments essentiels d’un rapport très inquiétant du National Toxicology Program (Etats-Unis) sur les effets délétères du bisphénol A sur la santé humaine (neurotoxicité, cancérogénicité, perturbation endocrinienne et métabolique…).
Dans un article paru le 8 septembre 2011 dans le Journal de l’Environnement sous le titre « Les organochlorés perturberaient l’implantation de l’œuf fécondé », Romain Loury rend compte d’une étude parue dans la revue Environmental Health Perspectives (EHP) le 29 août sur les effets abortifs précoces de certains pesticides organochlorés. J’en rends compte, puis évoque d’autres articles récemment parus dans la même revue et une initiative de la Commission européenne en vue d’un changement des dispositifs existants et d’une stratégie globale permettant une évaluation individuelle des perturbateurs endocriniens, mais aussi une analyse de leurs effets cumulatifs.
L’illustration accompagne un texte paru le 10 septembre 2010 dans le Journal de l’Environnement sous le titre « Les perturbateurs endocriniens: vers un changement de paradigme? »
Les références complètes de l’étude parue dans Environmental Health Perspectives:
Mahalingaiah S, Missmer SA, Maity A, Williams PL, Meeker JD, Berry K, et al. 2011. Association of Hexachlorobenzene (HCB), Dichlorodiphenyltrichloroethane (DDT), and Dichlorodiphenyldichloroethane (DDE) with In Vitro Fertilization (IVF) Outcomes. Environ Health Perspect :-. http://dx.doi.org/10.1289/ehp.1103696.
Selon les chercheurs, qui ont analysé 774 fécondations in vitro, « les pesticides organochlorés, des perturbateurs endocriniens encore présents dans l’alimentation, pourraient diminuer la fertilité chez les femmes en agissant dès le stade de l’implantation (…) Si le fongicide HCB (hexachlorobenzène) est interdit par la convention de Stockholm, entrée en vigueur en 2004, il demeure présent dans l’alimentation, du fait qu’il constitue un sous-produit de processus de chimie industrielle. De même pour l’insecticide DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane), dont l’usage a été restreint à la lutte contre le paludisme dans les pays du Sud.
Bilan: le HCB, le DDT et son principal métabolite, le DDE (dichlorodiphényldichloroéthylène), «continuent à être détectés dans le sang humain, dans le lait maternel, dans le liquide folliculaire (qui baigne les ovules en maturation), dans le liquide amniotique et dans le sang de cordon ombilical», rappellent Shruthi Mahalingaiah, du Brigham and Women’s Hospital de Boston (Massachusetts), et ses collègues.
Ces perturbateurs endocriniens, en particulier le HCB, pourraient dès lors avoir un effet délétère à un stade très précoce de la grossesse, celui de l’implantation (six jours après la fécondation), au cours duquel l’œuf s’attache à la muqueuse utérine.
Les chercheurs ont analysé 765 femmes ayant recouru à la fécondation in vitro (FIV) entre 1994 et 2003, soit un total de 827 cycles dont 541 ont échoué. Chez les personnes dont le taux de HCB était le plus élevé, le risque d’échec d’implantation était multiplié par 2,32. Une tendance similaire, mais moins marquée, était observée avec le DDT et le DDE. »
Cet effet abortif précoce pourrait intervenir aussi lors de grossesses naturelles, et les résultats obtenus sont vraisemblablement encore plus significatifs dans la population générale, puisqu’une étude du début des années 2000 a montré des concentrations sanguines en HCB et DDT encore plus élevées.
A noter aussi le dossier « Pesticides » paru sur le site du MDRGF (Générations futures), et notamment l’article « Problèmes de développement du foetus et pesticides: les pesticides perturbateurs endocriniens », soulignant les effets de l’exposition in utero: avortement spontané, retards de développement, handicaps de naissance (anomalies congénitales, maformations…), modification de sexe (moins d’enfants mâles). Il contient plusieurs références utiles.
A noter aussi trois autres articles contenus dans le dernier numéro de Environmental Health Perspectives:
- 2011 Exposure to Phthalates and Phenols during Pregnancy and Offspring Size at Birth. Environ Health Perspect doi:10.1289/ehp.1103634 (Impact de l’exposition aux phtalates et aux phénols pendant la grossesse sur la taille et le poids des nouveau-nés).
- 2011 Prenatal Exposure to BPA and Sexually Selected Traits in Male Mice. Environ Health Perspect 119(9): doi:10.1289/ehp.119-a383 (Exposition prénatale au bisphénol A : impact sur les caractéristiques sexuelles de souris mâles).
- Freeman KS 2011. Testing the Dose Addition Hypothesis: The Impact of Pyrethroid Insecticide Mixtures on Neurons. Environ Health Perspect 119:a399-a399. http://dx.doi.org/10.1289/ehp.119-a399a (Evaluer l’hypothèse de l’accumulation: l’impact des mélanges insecticides pyréthroïdes sur les neurones).
Les insecticides pyréthroïdes sont les plus utilisés, dans des usages domestiques (contre les moustiques…) et agricoles. Des traces dépassant largement les niveaux d’alerte ont été découverts en 2010 dans certaines rivières des Etats-Unis, même après le passage par les stations d’épuration.
La même revue contient une longue série d’études sur les effets des perturbateurs endocriniens et leur rôle dans l’apparition de cancers, en particulier celui du sein.
La pollution de l’environnement par des pesticides et autres perturbateurs endocriniens comme par des résidus de médicaments est un problème de plus en plus inquiétant, compte tenu des conséquences sur tous les organismes vivants, dans l’ensemble de la chaîne alimentaire. Limiter les risques et l’exposition humaine, c’est cela qui devrait s’appeler « prévention », dans une perspective rationnelle et coût/efficiente, et non pas la surmédicalisation et surmédicamentation qui ont actuellement cours…
Médicaments perturbateurs endocriniens
La question qui devrait être posée est celle de l’effet des médicaments qui agissent comme des perturbateurs endocriniens, et je pense par exemple aux analogues agonistes GnRH (appelés aussi agonistes LHRH) tels que Enantone, Décapeptyl, Zoladex… car ils sont utilisés dans la procréation médicalement assistée aussi sous des formes à libération prolongée, et leur effet est dans un premier temps analogue à celui du Distilbène (j’évoque longuement ces aspects dans cet article).
Est-ce raisonnable d’utiliser des pesticides et autres perturbateurs endocriniens (bisphénol A, phtalates…) dans l’environnement, qui provoqueront (entre autres) des pubertés précoces centrales, puis d’utiliser d’autres perturbateurs endocriniens tels que Décapeptyl, Enantone et Cie, pour bloquer cette puberté, avec des inconnues quant aux effets de ce blocage hormonal sur la fertilité de ces enfants? Sans parler des autres effets indésirables.
Commission européenne: stratégie globale d’évaluation des perturbateurs endocriniens
A noter que la Commission européenne a décidé de mettre en place une étude de grande envergure qui permettra d’analyser les effets individuels, mais aussi cumulatifs, des perturbateurs endocriniens, afin de dégager les méthodes d’analyse les plus performantes, ainsi qu’un cadre global de travail – ce que les réglementations actuelles, telles que REACH, ne permettent pas de faire. Le texte paru le 10 août 2011 souligne la nécessité de dispositifs spécifiques, mais aussi globaux permettant une telle évaluation; il est accessible en intégralité ici. Il est question de mettre en place une étude de grande envergure et d’organiser une conférence en 2012. Les actions du Réseau Environnement Santé, co-fondé par la Fondation Sciences Citoyennes et dont le site contient bon nombre d’informations utiles, ont certainement contribué à cette prise de conscience.
Extrait de l’introduction:
« In recognition of the need to address the problem of endocrine disrupters, many pieces of EU chemicals’ legislation contain specific provisions on this issue. Currently the main focus, both within the EU and internationally, is to agree on approaches for the identification and assessment of endocrine disrupters.
EU legislation currently offers relatively limited opportunities for an integrated assessment of the cumulative effects of different substances having adverse effects on the endocrine system.
While the assessment of such cumulative effects are being undertaken in relation to certain product types (e.g. plant protection products) or for substances which are part of the same substance class (e.g.selected phthalates in the context of REACH), there is no mechanism for assessing the cumulative impact of the range of endocrine disruptors to which human beings and the environment are exposed.
Given the increasing concerns in relation to the potential impact of endocrine disrupting substances, particularly in relation to human fertility, the Commission has contracted a major study to be carried out on the basis of which it will review the existing Community strategy.«
Elena Pasca
Je me permets de vous faire connaitre un roman pour mieux découvrir la question des pesticides et perturbateurs endocriniens.
Professeur de Biologie-SVT à Poitiers, je suis passionné par les questions de techno-science : il me semble essentiel qu’elles soient portées à la connaissance du plus grand nombre, pour éclairer les futurs choix citoyens.
J’ai choisi pour cela le support du roman.
J’ai publié, en février 2010, un roman Sur sa trace, aux éditions Amalthée.
L’intrigue se déroule sur un fond de préoccupations liées aux nanotechnologies.
Je » récidive » ( !) avec un nouveau roman, A demain sous l’arc-en-ciel. Edité par la Société des Ecrivains.
Le héros, Khaled Bobin, travaille dans une ferme, en Dauphiné. Mais sa femme et son fils meurent dans un accident de voiture. Il va donc se lancer dans la recherche désespérée d’un « nouvel enfant », qui serait la perpétuation de celui qu’il a perdu.
Derrière l’histoire romanesque perce la question des pesticides et des perturbateurs endocriniens. Car en réalité on découvre que Khaled est devenu hypofécond limite stérile.
Comment dans ces conditions avoir un enfant, « à soi » ? Finalement, il va se porter famille d’accueil d’un enfant placé. Et envisager la formule de l’adoption.
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