Je voudrais signaler trois articles de Pharmactua, Investopedia et Alternatives économiques, qui analysent la situation de l’industrie pharmaceutique compte tenu de l’expiration, en 2011 et 2012, des brevets d’une dizaine de médicaments des plus vendus. On parle d’un « patent cliff » (falaise), une sorte glissement de terrain sous les pieds des firmes, mais les fragments cités plus bas montrent qu’elles ont de la réserve et savent rebondir. Elles l’ont toujours fait, pas de raison d’inquiétude…
Il est toutefois utile de regarder les stratégies mises en œuvre pour faire face à cette perte sèche qui se chiffre en dizaines de milliards de dollars, alors que l’on sait qu’il n’y a pas d’autres blockbusters pour remplacer des médicaments tels que Tahor°, Zyprexa°, Plavix°, Actos°, Enbrel°, Inipomp°, Singulair°, Concerta°…
Et ce parce que les laboratoires ne produisent plus grand-chose depuis une quinzaine d’années – c’est clairement dit depuis 2001 dans la « Déclaration de l’ISDB sur le progrès thérapeutique dans le domaine du médicament » (voir aussi cet article). Cette panne de l’innovation est l’une des raisons pour lesquelles l’accent est tellement mis sur le marketing, dans cette inversion du rapport entre marketing et R&D (recherche et développement) analysée entre autres par Léo-Paul Lauzon et Marc Hasbani (voir cet article qui rend compte de leur étude socio-économique des 10 firmes les plus puissantes).
J’ai abordé le sujet aussi dans un article qui part du bilan médicament de l’année 2008, fait par la revue Prescrire : « Progrès thérapeutique nul en 2008, dit Prescrire. Multiples critiques de l’autorisation de mise sur le marché de médicaments mal évalués ». J’y citais entre autres Christian Lajoux, le patron du LEEM:
« L’interprétation du L€€M: c’est la faute aux autorités sanitaires…
Lors d’un bilan de l’année 2008, le LEEM (syndicat de l’industrie pharmaceutique) affirme quand même un certain nombre de progrès, et l’on retiendra, pour l’anecdote, l’apport d’un médicament contre la constipation, avec une « amélioration du service médical rendu » mineure (ASMR de niveau IV); comme s’il n’y avait pas déjà pléthore de remèdes contre ce mal sur lequel tout le monde souhaite voir se concentrer la recherche et le développement pharmaceutique (R&D)…
Dans son discours du 22 janvier, Christian Lajoux, président du LEEM, a lui-même parlé d’un « bilan en demi-teinte », d’un « tassement de l’innovation« , par rapport aux années précédentes, visible dans le fait que la plupart des médicaments homologués apportent une ASMR de niveau IV, donc à peine perceptible, selon les estimations de la par ailleurs très généreuse Commission de transparence de la Haute autorité de santé (HAS). Si « la courbe du progrès thérapeutique s’est infléchie », ce n’est pas parce que les firmes investissent bien plus dans le marketing que dans la recherche, non! Mais parce que « les autorités réglementaires françaises (…) ont durci leurs conditions » (ah bon?) et que « l’innovation thérapeutique n’est pas suffisamment valorisée en France ». Il faut aussi mettre la main sur la recherche publique, dit en substance Christian Lajoux, et on a vu que Sarkozy – Pécresse font tout pour faciliter les « partenariats public – privé« , qui mettent cette recherche aux ordres des intérêts privés (cf. cette note, par exemple).
Je ne vois vraiment pas comment les autorités de santé pourraient être plus indulgentes, et j’ai dit ce que je pensais du processus d’homologation des « nouveaux » médicaments dans cette caricature, ou encore dans celle-ci, parlant de la Commission d’autorisation de mise sur le marché comme d’une pompe à fricaments… »
Les trois articles :
- Pharmactua : « Un Ouragan va s’abattre sur l’industrie pharmaceutique mondiale en 2012 touchant plus de 50 milliards de dollars de ventes mondiales au début de l’année »
- Financial Edge / Investopedia: “6 Drug Companies With Expiring Patents In 2011”
- Alternatives Economiques: « Industrie pharmaceutique : la fin d’une époque »
Un fragment de l’article de Pharmactua et deux tableaux qui illustrent le sujet
« Un ouragan va s’abattre sur l’industrie pharmaceutique mondial en 2012. A fin novembre 2011, le numéro 1 mondial de l’industrie pharmaceutique, Pfizer perdra aux Etats Unis, le brevet de Lipitor / Tahor, le médicament le plus vendu au monde avec plus de 10 milliards de revenus annuel. Pour Pfizer qui a réalisé plus de 67 milliards de dollars en 2010, les perspectives de croissance pour 2012 risquent d’être entachées d’une grande marge d’incertitude. 2011 marquera la perte de 10 médicaments vedettes ayant généré prés de 50 milliards de dollars de ventes annuelles au niveau mondial. (…)
Selon le directeur du centre d’étude sur le développement des médicaments de la Turf University aux Etats Unis, le temps est à la panique au sein des structures de l’industrie pharmaceutique qui est consciente que ses produits en développement ne remplaceront pas les pertes de brevet.
Si les investissements en R & D ont doublé en dix ans pour atteindre 45 milliards de dollars, la FDA et l’Agence Européenne du Médicament ont approuvé de moins en moins de médicaments. (…)
Les 15 premiers groupes pharmaceutiques ont cependant d’importante réserve de liquidité comme Pfizer qui a plus de 20 milliards de dollars de cash flow ou Amgen qui à prés de 10 milliards de dollars pour financer des acquisitions malgré cela les rachats massif d’actions et l’augmentation des dividendes aux actionnaires ne permettent pas de stimuler le cours des actions. L’action de Pfizer et de Merck & Co a perdu 60 % de sa valeur en dix ans alors que le DOW a progressé de 19 % pendant la même période.
Pour palier à une baisse de la productivité de la recherche, les géants de l’industrie ont procédé à des méga acquisitions comme le rachat de Wyeth par Pfizer pour 68 milliards de dollars, le rachat de Schering Plough par Merck pour 41 milliards de dollars, le rachat de Genentech par Roche pour 46 milliards de dollars et plus récemment l’acquisition de Genzyme par Sanofi Aventis pour 20 milliards de dollars. (…)
Le récent recentrage des groupes pharmaceutiques dans les maladies rares et la médecine personnalisée au profil génétique des patients devraient permettre d’obtenir une protection contre la percée des génériques qui a atteint 75 % des prescriptions dispensées aux Etats Unis.
La pression sur les prix des médicaments dans la plupart des pays Européens diminue aussi les perspectives de croissance sur les marchés qualifiés de matures et la percée des génériques en médecine de ville forcent les groupes à se recentrer sur les médecins spécialistes et les marchés émergents. (…) »
Liste des principaux médicaments dont le brevet expire en 2011 (et chiffres de vente aux Etats-Unis)

Liste des principaux médicaments dont le brevet expire en 2012 (et chiffres de vente aux Etats-Unis)

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Elena Pasca
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