Le triomphe du néolibéralisme ou « l’impasse de la globalisation »: économie autonome, politique et principes qui structurent l’humanité abolis, selon Freitag

Je ne me sers jamais de Wikipédia, mais l’article consacré à Michel Freitag contient des extraits écrits par quelques-uns de ses élèves, etFreitag Impasse 2.jpg c’est une assez bonne introduction à l’oeuvre de l’un des sociologues les plus marquants de notre temps, formé aussi en droit et en économie, ainsi que – comme j’ai eu le privilège de le constater en direct – en philosophie. J’aime cet esprit d’interdisciplinarité, et Freitag est l’un des rares penseurs francophones qui l’incarnent réellement et qui nous le transmettent le mieux à nous autres, apprentis en philosophie sociale ou en sociologie théorique.

En 2008 est paru chez Ecosociété à Montréal le livre « L’impasse de la globalisation. Histoire sociologique et philosophique du capitalisme. Propos reccueillis par Patrick Ernst« , 400 pages, 30 €. Pour simplifier, je cite ici la présentation de l’éditeur, mais vous invite à acheter et lire cet excellent livre, à demander aux bibliothèques d’en faire l’acquisition, pour contribuer à briser cette autarcie théorique franco-française, qui voit rarement au-delà de son nez… Nous avons beaucoup à apprendre de Freitag et de ses livres, et l’un de ses nombreux mérites et de n’avoir jamais cédé aux sirènes de la sociologie empirique et autres pragmatismes et philosophy of mind… Voilà un continuateur, en toute originalité, de l’esprit de la Théorie critique – qui a pratiqué la sociologique dialectique avant Michel Freitag, n’en déplaise à ses élèves -, aux côtés de penseurs tels Richard Sennett ou Zygmunt Bauman. Et la Théorie critique, c’est home, sweet home, pour moi…

Honte au Seuil / La Martinière pour avoir voulu couper des dizaines de pages, sous prétexte d’adapter le livre au marché… Or rien ne saurait être plus étranger à Freitag que la conformité au marché…

Présentation par un libraire:

« La globalisation économique est devenue l’évolution naturelle de l’économie, le repère incontournable, l’inévitable prolongement d’un commerce aujourd’hui supranational. Sans doute pouvons-nous réfléchir encore à un développement durable qui nous permettrait de continuer à consommer et à vivre de la même façon, tout en prolongeant notre durée de vie. Finalement une sorte d’assistance respiratoire qui nous permettrait d’assister à notre propre fin! Mais continuer, écrit Michel Freitag, c’est faire l’impasse sur le véritable enjeu posé par le «parti de la mondialisation»: la redéfinition du rapport entre l’économie et le politique. Car la libéralisation de l’économie à l’égard de toutes réglementations institutionnelles n’est au fond qu’une façon de vendre un projet politique – le néolibéralisme – qui ne consiste en rien de moins qu’à abolir le politique.

L’impasse de la globalisation plonge dans les racines du capitalisme, en analyse la genèse, l’évolution puis sa mutation en un capitalisme financier spéculatif et globalitaire. Comment du terme grec Oikonomia (règles qui présidaient à l’organisation et à la gestion du «domaine», dans le cadre privé) en sommes-nous venus à une science économique, justification idéologique d’un nouvel ordre social global? Comment, depuis Marx jusqu’à la naissance de ce capitalisme spéculatif autonome, comprendre l’évolution historique du capitalisme?

Reconnaître l’impasse et en analyser précisément les origines permet de dessiner des voies. Après cette mise en perspective, Michel Freitag réfléchit-il, dans un deuxième temps, aux formes que devrait prendre un réaménagement post-capitaliste des conditions sociales de notre vie sur terre. Il propose une nouvelle manière de penser le rapport entre économie, individus, sociétés et civilisations et montre la nécessité de repenser et de recréer le politique par-delà les cadres de l’Etat-nation. Mais notre capacité d’action n’est rien si nous ne définissons pas, au préalable, individuellement et collectivement ce que nous souhaitons réellement préserver et redonner ainsi un sens à la vie autre qu’utilitaire. »

Dans la présentation qui figure sur le site de l’éditeur, on peut lire:

« Prédateur par essence, le capitalisme ne crée rien à l’extérieur de lui mais s’approprie les conditions de son changement et règne désormais sur le monde. Le néolibéralisme actuel qui en découle conserve le même discours sur la liberté individuelle et les lois naturelles du marché que le libéralisme classique ; il lui ajoute cependant une déconstruction systématique des concepts, des limites institutionnelles et identitaires, s’émancipant de tout cadre normatif. Avec la période moderne, nous avons réalisé l’idéal de liberté individuelle et nous nous sommes affranchis de tout… sans voir que la libération de l’économie prenait la place de la libération de l’homme ! C’est la disparition annoncée de la société comme ordre symbolique et politique.

La véritable question qui se pose alors à nous aujourd’hui est celle-ci : Qui du capitalisme ou du monde entamera le premier la descente Freitag UQUAM.jpgvers l’éclatement ou la destruction ?

L’impasse de la globalisation nous propose une réflexion critique sur les formes que devrait prendre un réaménagement postcapitaliste des conditions de vie sur Terre. Il s’agit de se ressaisir de notre capacité politique et de s’en servir : revenir à une autonomisation du politique qui s’inscrirait dans un véritable ordre oikonomique mondial ; retrouver l’âme de l’humanité en accordant une place de choix aux civilisations.

Il existe de multiples chemins explique Michel Freitag, mais, pour cela, il nous faut choisir l’expérience qualitative plutôt que quantitative : « Préférer la beauté des papillons plutôt que la valeur des titres en Bourse. » Car réfléchir à un autre chemin mène à questionner la nature essentielle de ce qu’il s’agit de préserver et de sauver, et notre propre rapport au monde. »

Photo: Journal UQAM

Mise à jour

J’ai trouvé un article de Jacques Pelletier dans la revue sociale et politique A babord!, qui approfondit certaines grandes lignes de L’impasse de la globalisation et s’approche un peu plus de l’esprit du livre. Voici un petit extrait du texte intitulé « La pensée de Freitag. La menace de l’hypercapitalisme globalisé« .

« On le voit : si la perspective d’ensemble de l’ouvrage relève d’un point de vue philosophique, éthique et normatif, sa conclusion réfère bien au politique entendu comme souci du bien commun et du vivre ensemble. Elle s’inscrit comme la conséquence logique d’une réflexion approfondie sur le plan historique, mais également sur le plan culturel et sociétal. Cette démarche exigeante propose aux lecteurs un cadre interprétatif global pour comprendre les enjeux immédiats et urgents du temps présent et effectuer des choix conséquents pour la survie de l’humanité comme de la planète. »

*

Elena Pasca

5 réflexions au sujet de “Le triomphe du néolibéralisme ou « l’impasse de la globalisation »: économie autonome, politique et principes qui structurent l’humanité abolis, selon Freitag”

  1. Merci de cette suggestion, qui ira bien après la lecture d’un autre canadien (juriste lui) :
    Psychopathes & Cie : La soif pathologique de profit et de pouvoir par Joel Bakan.
    Dans le monde de la santé, la puissance d’un groupe comme Pfizer (parce que c’est le plus gros, mais Johnson & Johnson est pas mal non plus par ex.) commence à inquiéter. Localement en France on connait l’influence du patron de Sanofis Aventi sur la tête de l’État.
    Une conférence récemment à Bruxelles m’a incité à imaginer que le pouvoir, y compris celui de capter les richesses d’une population, était en train de basculer. Les Gazprom dictent leur loi ou au moins sont déjà incontournables, avec la complicité de responsables politique (je pense à Schröder ici).
    Big Pharma est en train de siphoner les taxes sur le tabac en vendant – avec un markup phénoménal – de la nicotine purifiée en alternative aux cigarettes et aux taxes – colossales elles aussi – qui y sont associées. Comme quand on est accro on ne s’en sort qu’au bout de 20 ans en moyenne, la captation est facile : Obama est accro aux Nicorettes de J & J depuis des mois et ça peut durer des années encore. Et c’est tout sauf un imbécile manquant de volonté et de détermination hein ?
    Alors je suis sceptique : laisser le libéralisme économique contrôler nos vies ou accepter la tutelle d’une adminstration mauvaise gestionnaire et redistributrice ? Je cale…

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  2. Randall, je ne vois pas pourquoi vous réduisez l’avenir à ces deux possibilités-là. en tout cas, Michel Freitag n’a rien d’un apôtre de quelque administration que ce soit, je tiens à le dire.
    Préservons l’innocence du devenir, comme disait Nietzsche! Ce qui veut dire qu’il faut le penser dans des catégories différentes, autres que celles que nous avons utilisées et utilisons pour comprendre et reproduire le capitalisme néolibéral ou ce qu’on a pu appeler « communisme ».
    L’effort théorique – si seulement les théoriciens étaient écoutés, mais vous savez très bien que ce n’est pas le cas – sert à cela. A casser les idoles, les agrégations catégorielles, les paradigmes qui nous emprisonnent dans les conceptualisations du passé et nous empêchent de produire quelque chose de radicalement – qualitativement – différent, qui ne soit pas qu’une énième actualisation du capitalisme ou une autre version du communisme ou encore des régimes autoritaires de type fasciste ou théocratique.
    Il faudrait que vous encouragiez, vous aussi, cet effort-là du concept, Randall, et cela commence par ne plus exclure les philosophes et scientifiques sociaux ni cautionner leur exclusion ou les discours de haine à leur égard… Il ne faut pas rester muet, il ne faut pas courber l’échine, sauf à vouloir se complaire dans l’éternel retour du même. Chacun peut résister à l’injustice et se garder de la cautionner dans le contexte dans lequel il évolue.
    Michel Freitag dirait la même chose, je le sais, avec d’autres mots.
    C’est une oeuvre que je conseille sans réserves, même s’il y a des différences d’approche, et cela a toujours été un plaisir d’en parler avec lui.
    Il est très facile de trouver une liste de ses livres, et des articles et / ou entretiens sont aussi disponibles sur internet.
    Je pense que les admirateurs d’Edgar Morin se rendront vite compte qu’on n’a pas à faire à la même puissance théorique ni à la même envergure, la différence immédiatement visible étant celle entre vulgarisation (Morin), d’une part, et effort de pensée (Freitag), d’autre part.
    Essayer de se débarrasser de la dialectique pour les prétendues vertus d’un « dialogue » imaginable à toutes les sauces, ce n’est pas cela que j’appelle, avec Hegel, « effort du concept ». Quant à vouloir se débarrasser du concept lui-même, tout philosophe ne peut qu’en rigoler. Le critiquer, oui, critiquer les catégories, les systèmes, les paradigmes, tout ce qu’on veut. Mais cela existe depuis que la philosophie existe, et Edgar Morin n’a pas inventé la roue, désolée Randall. Ni même ce qu’il voudrait exprimer par « complexité ».
    Lisez Freitag et d’autres, et je suis sûre que, dans quelques années, vous aurez une approche différente.
    Bien à vous.

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  3. j’apprécie votre échange très stimulant intellectuellement entre théoricien constructif et fataliste lucide.
    il semble évident après vous avoir lu qu’il faille rechercher des solutions au problème actuel sur lequel vos avis convergent.
    Les constats sont effectivement relativement plus aisés, bien qu’indispensable dans un premier temps, par rapport à l’élaboration secondaire d’une théorie « reconstructrice ».
    La question de Freitag Papillon versus bourse est intéressante car elle ramène à la propriété. On peut apprécier la belle complexité de notre environnemment et en même temps souhaiter « posséder » une très belle maison pour sa famille.
    Ce qui nous ramène à l’opposition capitalisme roi et communisme mort dont vous semblez vouloir vous affranchir. Je comprend cette recherche d’une troisième voie qui reste à définir.
    Redonner le pouvoir aux politiques intègres est une possibilité mais comment?
    Renoncer au troc?
    Un grand Kibboutz mondial?
    Une autodestruction du système?
    En tout cas merci pour votre blog qui est une lumière dans ce brouillard de désinformation. Je suis docteur en médecine (du travail) et vous m’avez beaucoup aidé dans le contexte de la « pandémie ». Je vous signale d’ailleurs que 80% de mes collègues prennent toujours les propos des autorités sanitaires ou médicales pour parole d’évangile. Ce en quoi on ne peut les blamer tellement les critiques cohérentes sont rares.

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  4. Bonjour, je vous fais part d’un communiqué.
    Cordialement.
    Parution du livre de Sylvie Sabatier « La Bourse ou la vie ? » chez Mon Petit Editeur
    Finance mondiale et spéculation aveugle, dureté du monde du travail, individualisme croissant, perte de valeurs…De nombreux ouvrages traitant du mal-être de notre société ont fleuri depuis quelques années, prenant la plupart du temps appui sur un corpus de pensée spécifique (économie, psychologie, sociologie…).
    Le pari de « La Bourse ou la vie » est de relier toutes ces écoles de pensée pour donner du sens à notre vécu. Il a été écrit par un médecin psychiatre, confronté au quotidien au désarroi de patients de tous milieux socio-professionnels.
    Rédigé dans un style volontairement simple pour entraîner la compréhension la plus large possible, il se veut un outil pour tous ceux qui veulent donner du sens à leur vie, et trouver des solutions au quotidien pour vivre mieux.
    Pour tout complément d’information :
    connectez-vous sur http://www.labourseoulavie.org
    ou contactez l’auteur par e-mail labourseoulavie.sabatier@gmail.com

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