Le web 2.0 affiche ses vraies valeurs : financières. A l’exemple de Google et son « encyclopédie » publicitaire (Knol)

Nous avons repris il y a quelque temps un article sur les dessous économiques du web 2.0 (squelette technique de la médecine 2.0, 40060543.jpgetc.), aussi appelé « web participatif ». Et ayant Wikipédia pour chef d’œuvre. Voilà que Google concurrence celle-ci par son encyclopédie Knol (de knowledge : « savoir »). Avec des différences notables : entrées signées et rédigées par des « experts » (qui les choisira et comment ?), qui auront une part des bénéfices apportés par la… publicité figurant sur leurs pages. Apparemment, cette financiarisation – mise en évidence dans l’article que nous avons cité et dans nos commentaires – ne contredirait pas le principe affiché sur tous les toits (en toile ?) de création collective et de « diffusion gratuite du savoir ». Et Google assure qu’il restera « neutre » face à ses propres produits… On appelle cela au choix conflit d’intérêts ou schizophrénie, M. Google !

Conflit d’intérêt aussi grand que l’entreprise, dans tous les sens du terme ! Et sa négation relève d’un trouble pour le moins schizoïde.  

(Dessin : Fondation Alamaya / Nouvel Obs)

Le scoop: Google souffre de sdardisme 

Quand les fins et les moyens se mélangent, que les moyens techniques deviennent une fin, quand quelqu’un ayant la puissance technologique et financière de Google est à la fois juge et partie, au point de choisir les experts, de créer du contenu et de classer – donc de quantifier à des fins de valorisation – les pages ainsi générées, on est priés de croire que la droite ne saura pas ce que fera la gauche… Qu’il y aura un dédoublement schizoïde assurant la neutralité… Correspondant à « l’esprit fendu », à l’esprit divisé qui est le sens littéral du mot schizophrénie. On se demande si Google a déjà prévu l’armée de psychiatres et le stock d’antipsychotiques pour traiter les conséquences…

(Ne rigolez pas, c’est un vrai souci de santé publique! Parce que si les réseaux et autres algorithmes attrapent des virus, ils peuvent aussi développer une schizophrénie, non? Ô misère, que ferons-nous dans ce cas ? Appelons vite l’industrie pharmaceutique au secours, avant même que le problème ne se pose ! Question de prévention, quoi! Que l’industrie paie (encore plus qu’avant, s’entend) les psychiatres pour qu’ils trouvent un nom pour cette maladie et l’inscrivent vite fait dans le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux). Et que les firmes pharmaceutiques nous apportent le remède, sur leurs propres sites web 2.0, indexés toujours en très bonne place par ce parangon de neutralité qu’est Google.

Pour m’essayer au web participatif, je propose une entrée dans le Knol – puis dans le DSM, pourquoi être faussement modeste? – qui permettrait de nommer le problème: le SDARDISM ou syndrome de dispersion algo-rithmique avec déficit d’intégration sensori-motrice. Il y a un côté moteur, c’est obligé pour un moteur de recherche. Mais il faut le souligner aussi parce que la pathologie en question fait que le côté droit ne sait pas ce que fait le gauche et croit pouvoir agir indépendamment de lui. Et ce nom – décidément bien trouvé! – témoigne de la souffrance que crée ce syndrome, par la présence du mot « algo », qui renvoie à algie. Une douleur rythmique, autrement dit. Au rythme des mouvements non coordonnés, désorganisés du côté droit et du côté gauche.)

La source (avec des commentaires moins psychologisants ;-))

Les détails figurent dans un article du journal espagnol El Pais, traduit par le Courrier International. L’article date du 1er août et s’intitule Google crée son encyclopédie contributive.

 

La journaliste souligne à quel point « Ce passage à la création de contenus de la part du premier moteur de recherche sur Internet suscite la méfiance de nombre d’experts. Google aura en effet intérêt, financièrement parlant, à indexer (…) favorablement les articles de Knol pour faire remonter son contenu dans les premières pages de résultats. (…) Pour Enrique Dans, professeur à l’Instituto de Empresa de Madrid, « il est peu probable que Google modifie son algorithme, mais elle peut créer des pages modèles qui s’indexent facilement. » Car personne ne sait mieux que l’entreprise californienne comment concevoir une page de façon à ce qu’elle apparaisse dans les premiers résultats d’une recherche. « Il n’est pas bon que Google génère des contenus et possède ainsi une partie de ce qu’elle indexe elle-même, » estime Enrique Dans. « Les utilisateurs vont devoir être attentifs, confirme Jeff Chester, directeur du Center for Digital Democracy (centre pour la démocratie numérique), car « la publicité est en train de bouleverser la culture de Google. » »

Quelle nouvelle inouïe ! Parce qu’il y avait vraiment des personnes naïves au point de croire qu’il y aurait des domaines échappant aux impératifs néolibéraux de profitabilité, de rendement, de développent et d’application du savoir théorique de façon à ce qu’il débouche sur de la monnaie sonnante et trébuchante ??

Qu’advient-il à la bonne vieille connaissance, au bon vieux savoir?

Voilà le savoir – « knowledge » – rendu « abordable » (affordable, en anglais, parce que c’est de là que nous vient cette association économique d’idées aussi…). J’utilise à dessein ce terme pour sa connotation de « ce que beaucoup de monde peut acheter ». Les connaissances seront accessibles non pas par la compréhension, par « l’effort du concept » (Hegel) qui fait évoluer les capacités humaines de façon globale et donne les outils permettant une approche d’ensemble des tenants et aboutissants d’un problème, mais par la dissection en petits bouts, servis séparément : les knols.

Connaissance unidose, chacune avec son emballage, chacune hyperspécialisée, avec des contours bien définis qui rendent toute dialectique impossible. Chacune formant une petite case dans le paradigme qui les a créées et qu’elles reproduisent en l’actualisant à peine en fonction des avancées techniques du moment.

Paradigme qu’on n’a aucune chance de comprendre dans son ensemble. Parce que pour cela, il faudrait utiliser les vieux outils de la connaissance et de la critique. Et non pas se limiter à la capacité superficielle de répétition non réfléchie d’une affirmation, à son enregistrement et sa diffusion telle quelle. Mais ces outils qui impliquaient de penser par soi-même, peu à peu, en apprenant de ses erreurs et de ses impasses, en suivant la logique de la chose et non pas l’image qu’en donne telle idéologie, sont passés de mode…

A qui profite le crime?

Qui a intérêt à ce qu’il n’y ait pas d’approche généralisable ? Par exemple parlant de médecine. Imaginez un knol qui dit que le LDL cholestérol est la racine de tous les maux, avec à l’appui les recommandations des diverses sociétés savantes lourdement grevées de conflits d’intérêts. Et Google propulsera ce knol dans les premières pages et lui adjoindra quelques publicités pour des médicaments qui traitent l’excès de cholestérol. Les critiques de ces thèses n’auront qu’à surenchérir en matière publicitaire, et ce sera tout bénéf’ pour sieur Google comme pour les experts. Mais voit-on beaucoup de critiques – hérétiques et marginaux, par définition – ayant les moyens de concurrencer les experts sponsorisés ?

Mais surtout, qui a intérêt à ce que les moyens permettant notre expérience soient ainsi morcelés, leur caractère de socialité et d’intersubjectivité nié par un usage déformé de ces termes ? Parce que prôner une compréhension du « social » et du « subjectif » en donnant les « media sociaux », le « web social » et la subjectivité wikipédiote comme exemple, c’est le meilleur moyen d’en annihiler le sens, en les définissant à travers ce qui les nie.

Je lisais l’autre jour sur ce site cette phrase très révélatrice : « Web 2.0: Une révolution citoyenne au service de votre stratégie de marketing en ligne »… Sacrebleu! Bonne définition de Knol, non ? Qui massacre au passage le concept de « citoyenneté« . D’ici à ce que les gosses pensent œuvrer en citoyens lorsqu’ils échangent des photos sur Facebook… Ou se prennent pour Che Guevara faisant la révolution numérique…

Avec de tels moyens de knolescience et de knolaissance, notre expérience restera toujours confinée dans des morceaux juxtaposés de spécifique et de particulier (en termes philosophiques), sans aucune perspective possible d’universalisation. C’est comme si on en était restés à la juxtaposition des atomes, à un stade débutant de la philosophie antique… Et encore y avait-il infiniment plus de complexité dans cette approche-là.

Pour en apprendre plus :

Je ne vais pas m’étendre ici ; les commentaires faits dans cette note plus ancienne de Pharmacritique, citée au début, valent toujours. Le web 2.0 et moi n’étant pas vraiment sur la même longueur de frappe numérico-citoyenne et d' »intelligence collective », je n’ai que deux suggestions pour approfondir la question des des-sous du web collaboratif/ participatif/ contributif, des réseaux interactifs, des media « sociaux », etc. :

  • Le livre de Frank Rebillard : « Le web 2.0 en perspective. Une analyse socio-économique de l’Internet ». Ce qui en fait tout l’intérêt, c’est la perspective sociologique (issue du « social », compris selon cette antiquité qu’est la sociologie). Un court compte-rendu peut être lu sur cette page du site Homo numericus, qui contient d’autres informations, quoique non critiques dans l’ensemble.
  • Et puis l’article Economie 2.0 : nuages en vue, sur le même site, disant que le monde financier s’interroge sur la viabilité de cette forme d’économie (voilà, le mot est dit, c’en est bien une !), puisqu’il semblerait qu’elle ne rapporte pas (assez) d’argent. C’est le Financial Times en personne qui a formulé ce douloureux problème. Il semblerait que la toile d’araignée englue et étrangle quelques entreprises qui s’y risquent. Attentions, docteurs, quand vous voulez faire de la médecine 2.0! On a encore besoin de vous! Cela dit, si on regarde l’article original, on constate qu’il s’agit d’une insuffisance d’argent liquide (Web 2.0 fails to produce cash), et non pas des retombées financières dans l’ensemble. Nuance… 

 Mais nul doute que l’inventivité légendaire de Google aura aussi un effet directement palpable…

On attend le knol parlant des conflits d’intérêts… (Et de sdardisme, j’y tiens!)

 

Elena Pasca

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