La Commission veut abandonner notre santé, notre sécurité sanitaire aux firmes pharmaceutiques, et entériner cet abandon du rôle des services publics de chaque Etat par une directive sur la pharmacovigilance qui devrait être promulguée cet automne. On pourra dire adieux même aux infimes possibilités (et motivations…) qu’avaient les autorités sanitaires de réagir en cas de médicaments ayant un rapport bénéfices – risques défavorable. Les firmes, qui pourtant n’arrêtent pas de se faire taper sur les doigts (à l’étranger, pas en France !) parce qu’elles minimisent et occultent les effets secondaires, falsifient des données, etc. seront désormais chargées de la pharmacovigilance… Le renard gardera le poulailler, jugera de ce qu’il convient ou non d’en faire, l’informera sur les « soins » qu’il lui prépare et enregistrera ses plaintes…
Si cette directive voit le jour, médecins et usagers auront encore plus qu’avant intérêt à apprendre des langues étrangères, pour se renseigner ailleurs sur les risques et effets indésirables des médicaments...
Notre Afssaps, chargée de pharmacovigilance, à peine active et déjà financée par l’argent des firmes, risque de disparaître complètement au profit du… profit brut. Même pas édulcoré par des services publics.
Le document qui attire l’attention sur les risques de ces manoeuvres industrielles est signé par le Collectif Europe et médicament, l’ISDB (union internationale de revues médicales indépendantes de l’industrie), l’Association internationale de la mutualité (AIM) et Health Action International (HAI, qui est une ONG active en santé). Il date de mai 2008 et s’intitule « Pharmacovigilance en Europe : un rejet massif des projets de la Commission européenne ». PDF à télécharger : Communiqué de presse pharmacovigilance mai 2008.pdf
En voici le texte:
« Pour réellement renforcer la pharmacovigilance en Europe, la Commission européenne doit changer de stratégie.
Différents désastres de santé publique (du thalidomide dans les années 1960 au rofécoxib (Vioxx°) dans les années 2000) rappellent sans cesse la nécessité d’une pharmacovigilance efficace pour garantir la sécurité les patients. Pourtant, en février 2008, la Commission européenne a soumis à consultation publique des propositions très inquiétantes. Sous couvert de simplification administrative et de « rationalisation du système », la Commission propose :
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la mise sur le marché de plus en plus précoce de nouveaux médicaments insuffisamment évalués ;
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la « délégation » aux firmes, pourtant juges et parties, des missions que les systèmes publics de pharmacovigilance doivent assumer (1,2).
Heureusement, l’opposition de très nombreux acteurs de la santé à ces régressions majeures en termes de santé publique a été massive, comme le montre le bilan tiré par la Commission elle-même de la consultation publique (3).
« Systèmes de gestion du risque » : au service des firmes pharmaceutiques
Afin de permettre « un retour sur investissement plus rapide » pour les firmes pharmaceutiques en Europe, la Commission a proposé d’accélérer la mise sur le marché de nouveaux médicaments en généralisant les autorisations de mise sur le marché (AMM) prématurées (1). Ce projet s’accompagne de la mise en place de « systèmes de gestion du risque », avec notamment des études post-AMM pilotées par les firmes pharmaceutiques. La Commission propose de rendre ces études obligatoires sous peine de sanctions. C’est la preuve que ce projet affaiblit gravement l’évaluation réalisée avant commercialisation. Ce projet revient à utiliser les citoyens européens comme « cobayes » après la mise sur le marché, les études post-AMM devant recenser les risques jusque-là inconnus parce que non encore recherchés.
Les répondeurs de la société civile à la consultation publique se sont déclarés massivement opposés à cette exposition de l’ensemble de la population à des risques inconnus sous prétexte de « retour sur investissement » des firmes.
► D’abord ne pas nuire : renforcer la pharmacovigilance et la sécurité des patients exige d’abord de n’autoriser que des médicaments sérieusement évalués et qui apportent un réel progrès thérapeutique. Miser sur des « systèmes de gestion du risque » pour pallier une évaluation insuffisante en amont est illusoire et peut s’avérer dangereux.
Réorientation du projet de la Commission : indispensable
Renforcer la pharmacovigilance et la sécurité des patients nécessite de donner les moyens aux autorités sanitaires d’être financièrement et intellectuellement indépendantes des firmes, et de garantir une véritable transparence des données, des informations et des décisions de pharmacovigilance.
Renforcer l’indépendance des autorités.
La réglementation de 2004 a renforcé les moyens dévolus à la pharmacovigilance en exigeant son financement public pour garantir son indépendance (article 67.4 du Règlement (CE) 726/2004). Cette disposition doit être absolument maintenue et appliquée par les États membres comme l’ont souligné de nombreuses agences nationales et organisations de patients et de consommateurs (a) (3).
Un enjeu majeur du projet de Directive sur la pharmacovigilance prévu pour l’automne 2008 concernera les responsabilités dévolues au futur Comité européen de pharmacovigilance. De nombreux répondeurs à la consultation ont demandé à ce qu’il dispose de l’autorité suffisante pour obtenir sans délais le retrait du marché des médicaments dont la balance bénéfices-risques est défavorable, et ce sans être exposé au veto de la Commission européenne d’AMM (CHMP) (b).
Pharmacovigilance en Europe : un rejet massif des projets de la Commission européenne
Refuser la mainmise des firmes sur les données de pharmacovigilance, faire vivre une expertise publique forte.
La Commission européenne propose de confier aux firmes les missions de recueil et d’interprétation, d’alerte, d’analyse, et d’information sur les effets indésirables de leurs médicaments. C’est mettre les firmes en situation de conflits d’intérêts majeurs (c). Sous-traiter aux firmes l’interprétation des données expose les Agences du médicament nationales et les systèmes publics de pharmacovigilance à la perte de leurs compétences et de leurs expertises. Au contraire, la Commission européenne doit prendre en compte la reconnaissance et la valorisation du rôle des autorités nationales et régionales exprimées dans de nombreuses réponses à la consultation (proximité, connaissance de la culture permettant une analyse et un traitement fins des données, etc.), et renforcer leur indépendance, afin qu’elles remplissent leurs missions au service de l’intérêt général (3).
Améliorer la transparence de la pharmacovigilance.
La très grande majorité des répondeurs a souligné la nécessité d’améliorer la transparence de la pharmacovigilance en Europe (3). Sauf les firmes pharmaceutiques, qui se sont opposées aux timides mesures de transparence envisagées par la Commission européenne (d) (4). En fait, les firmes veulent peser toujours plus sur les décisions des autorités de santé : elles réclament un « droit de regard », voire de veto, à chaque étape du processus, et en toute opacité (e) (4).
Rendre publics les comptes-rendus détaillés de toutes les réunions des groupes de travail, commissions et sous-commissions des Agences relatives à la pharmacovigilance est une condition indispensable à la crédibilité des autorités.
Le Collectif Europe et Médicament, Health Action International (HAI) Europe, l’International Society of Drug Bulletins (ISDB) et l’Association Internationale de la Mutualité (AIM), appellent la Commission européenne à réorienter profondément son projet de Directive sur la pharmacovigilance prévu pour l’automne 2008 dans un objectif de santé publique. La mission de protection de la santé publique de la Commission européenne (article 152 duTraité instituant la Communauté européenne) lui impose de prendre en compte en priorité les intérêts de la population européenne, avant les intérêts particuliers à court terme des firmes pharmaceutiques. »
Notes :
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a- Le financement majoritaire des Agences par les redevances versées par les firmes les met en situation de dépendance et de service à rendre aux firmes.
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b- Les Commissions d’AMM sont confrontées à un conflit d’intérêts intrinsèque, puisque ce sont elles qui ont autorisé la mise sur le marché du médicament incriminé.
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c- Alors que la proposition de notification directe par les patients des effets indésirables des médicaments a été généralement saluée, les autorités de santé et de très nombreux autres répondeurs se sont clairement opposés au fait que cette notification ait lieu auprès des firmes pharmaceutiques comme le prévoyait la Commission, et ont demandé à ce qu’elle soit effectuée auprès des autorités de santé nationales (réf. 3).
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d- Par exemple, réticences à ce qu’une liste de médicaments sous surveillance intensive soit rendue publique par crainte de « stigmatiser ces produits » ; refus de rendre publics les plans de gestion des risques et les rapports d’évaluation des rapports périodiques (PSUR) ; conditions posées pour la formulation des résumés de ces documents qui par exemple « ne doivent pas présenter les risques isolément sans être contrebalancés par les bénéfices du médicament » (réf. 4).
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e- Par exemple, demandes à être systématiquement consultées, d’autoriser toute publication de résumé des résultats des études, de faire inviter certains ‘experts’ aux auditions du futur Comité de pharmacovigilance, de relire et amender les rapports d’inspection, etc. (réf. 4).
Références :
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European Commission . Enterprise and industry directorate-general .EU pharmacovigilance: public consultation on legislative proposals. Brussels, 5 December 2007. Site internet : http://www.prescrire.org/docus/VigConsultEurope.pdf : 49 pages.
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Medicines in Europe Forum, HAI Europe, ISDB .Contribution conjointe à la consultation relative à la pharmacovigilance en Europe du 5 décembre 2007. Janvier 2008. Site internet http://www.prescrire.org/aLaUne/dossierEuropeVigilance.php : 8 pages.
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European Commission. Enterprise and industry directorate-general. Strategy to better protect public health by strengthening and rationalising EU pharmacovigilance: analysis of the consultation results. http://ec.europa.eu/enterprise/pharmaceuticals/pharmacovigilance/docs/information_april_2008/analysis_consultation_responses_200804.pdf
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EFPIA (European Federation of Pharmaceutical Industry Associations) .Submission of comments on legislative proposals to strengthen and rationalise the EU system of pharmacovigilance. http://ec.europa.eu/enterprise/pharmaceuticals/pharmacovigilance/docs/information_april_2008/48.pdf : 108 pages.