Dans un article du numéro de février 2008 de PHARMAnetwork, Sylvie Ouziel, Directeur Général de l’Activité Management Consulting France et Benelux, pose la question stratégique cruciale pour l’industrie pharmaceutique : « Laboratoires : comment réamorcer la machine à créer de la valeur? ». Je pense que personne ne se trompe sur le sens du mot « valeur » : valeur d’échange, pas valeur d’usage. Valeur marchande, profit, valeur de l’action, etc. Tout cela compris comme une « machine ». Je le souligne au cas où il y aurait encore des personnes qui se feraient des illusions sur la nature de l’activité des multinationales pharmaceutiques et leur prêterait des intentions philanthropiques…
L’une des réponses est le « lean management », dont le site Logistique Conseil donne la définition suivante : « Ensemble de techniques visant à l’élimination de toutes les activités à non valeur ajoutée. « Lean » en français signifie « Moindre » ». Autrement dit, le principe du rendement et d’automatisation par élimination de toute humanité. PHARMAnetwork dit cyniquement que l’industrie pharmaceutique fait sienne cette orientation (et on verra où elle mène) : « Dans la tourmente des enjeux économiques et à la recherche constante de la maîtrise des coûts, les hommes et femmes de terrain ne restent pas inactifs. Pratique issue de l’aéronautique et de l’industrie automobile, le Lean management entre depuis quelques années dans nos entreprises et permet aux laboratoires d’être plus souples, d’accélérer les processus, de disposer de plus de capacité et d’optimiser la performance. Deux témoignages nous expliquent les enjeux de ces méthodes ou l’atout le plus précieux de l’entreprise : les hommes sont au coeur de cette nouvelle culture. »
Ceux qui sont ainsi « valorisés » sont les managers performants, à savoir ceux qui dégraissent bien et « optimisent » les « performances », la productivité et la rentabilité des… autres.
A noter que deux ministres, Roselyne Bachelot et Valérie Pécresse, participent à ce numéro de PHARMAnetwork. Garantie de sérieux.
Quel rapport avec les sacs collecteurs d’urine ? (Outre l’appartenance au monde industriel de la santé).
Eh bien, ces sacs urinaires sont un très bon outil de « lean management »; ils pourraient être même pris pour le symbole de ce côté « humain, trop humain » que les multinationales perçoit comme des obstacles au parfait fonctionnement de la « machine ». Et comme il faut la « réamorcer »… Voici ce qu’on peut lire sur un blog officieux des cadres de l’agence américaine de sécurité et de santé au travail (OSHA) : « Selon des syndicalistes du Colorado, un contre-maître de la compagnie de télécoms Qwest a essayé de raccourcir la durée des pauses pipi en demandant aux techniciens d’utiliser des sacs urinaires jetables lors des travaux de terrain. Le contre-maître a distribué des sacs à 25 techniciens mâles et leur a demandé de ne plus perdre du temps à quitter le site de travail à la recherche de toilettes publiques, note l’édition de jeudi du journal Rocky Mountain News. Et Reed Roberts (…) [un directeur administratif chargé de l’évaluation des conditions de travail] de commenter: « Nous voyons beaucoup de bêtise dans l’Amérique des multinationales, mais vous devez admettre que ça dépasse même l’imagination la plus débordante ». NOUS [auteurs de la note sur le blog] sommes surpris que les contre-maîtres n’aient pas demandé aux travailleurs d’aller pisser dans le fossé, comme tout mâle digne de ce nom. Mdr »
La dépêche complète d’Associated Press, disponible sur ce site, ajoute : « American Innotek, le fabricant des sacs urinaires jetables, a affirmé compter diverses firmes industrielles parmi ses clients, telles des entreprises d’équipements électriques et de travaux publics municipaux ou des compagnies de télécommunications ».
Il ne faut pas oublier le géant de la grande distribution – Wal-Mart -, régulièrement mis en cause pour ses techniques très performantes de « lean management »… Des employés ont encore témoigné cet automne lors d’un procès contre Wal-Mart; parmi eux une vendeuse qui s’est vue interdire une pause pipi… Human Rights Watch n’arrête pas de dénoncer les violations du droit du travail, par exemple le fait que ce grand distributeur interdit la syndicalisation. J’espère de tout cœur que l’industrie pharmaceutique ne cherche pas à égaler ces prouesses. D’autant plus qu’il y a bien plus de femmes parmi les travailleurs « de terrain ». Et qu’à part les sondes urinaires, on voit mal comment faire…
Un excellent article et d’autres sources en français sur le « lean management » ou encore « lean manufacturing » sont disponibles sur le site Bellaciao.
Pour une information plus ample et la possibilité de contribuer à l’amélioration des conditions de travail et de syndication des Américains – en signant des pétitions, par exemple -, voici le site syndical American Rights at Work. Une liste de campagnes/ pétitions en cours est disponible sur cette page. Toute signature est la bienvenue, sachant que 23.000 travailleurs sont licenciés ou pénalisés chaque année aux Etats-Unis pour soutenir, adhérer ou essayer de créer un syndicat. Voir cette page.
Sarkozy et Fillon vont-ils importer ce modèle de « gestion amincissante » en France? Assorti du modèle correspondant de sacs de recueil des urines ? Il n’y a pas de doute, ce serait un moyen très efficace d’assurer le rapprochement entre les deux pays…