La Société suisse de médecine générale (SSMG) a fait sienne la proposition faite par la revue médicale indépendante Pharma-Kritik sur le sponsoring (ou financement) indirect par l’industrie pharmaceutique, que nous avons évoquée dans cette note. L’argumentaire montre bien que légitimer une telle idée oblige les médecins et les organisations médicales à faire des acrobaties – périlleuses pour l’intégrité… Cette organisation chargée entre autres d’accréditer des manifestations de formation médicale continue (FMC) pense sautiller entre deux conflits d’intérêts pour finir par se retrouver en plein dans un troisième…
Voici deux extraits du Rapport annuel de la SSMG sur la formation médicale continue. Le premier contient les belles paroles, l’incantation d’une « transparence absolue » et d’une absence de conflits d’intérêts. L’ambiance est gâchée lorsqu’on avance dans la lecture et qu’on voit que les intérêts et les biais financiers sont bel et bien là, de façon juste un peu plus … biaisée, pourrait-on dire. A la fin, il y a un lien vers les directives de l’Académie suisse de médecine, codifiant ce sur quoi le public et les médecins suisses peuvent ou non fermer les yeux.
Le texte intégral est disponible en français sur cette page.
« Le programme de formation, notamment la charte du sponsoring, a été adapté, conformément à la décision de la chambre médicale, aux dispositions désormais obligatoires des « Recommandations de l’Académie des Sciences Médicales (ASM) à propos de la collaboration entre le monde médical et l’industrie» [2]. Notre concept pragmatique, consistant à ne fixer que les bases et non les détails du programme de formation continue, a été accepté par la FMH [Fédération médicale helvétique]. Nous veillons encore plus, lors de l’attribution du label de qualité « Approuvé par la SSMG », à ce qu’il n’y ait aucun conflit d’intérêt, que les différentes alternatives diagnostiques et thérapeutiques soient dans toute la mesure du possible appréciées sur la base des critères de médecine evidence-based et d’économicité, qu’il y ait une transparence absolue en matière financière et que les participants apportent dûment leur contribution personnelle pour les événements de formation continue dépassant une demi-journée. (…)
L’organisation de manifestations de formation continue respectant nos critères de qualité et non influencées par des intérêts particuliers ou des intérêts de l’industrie pharmaceutique constitue un défi permanent. Le secrétariat de la SSMG répond aux demandes de label de qualité par des organisateurs de manifestations de formation continue avec une lettre standard réactualisée, qui explique notre système d’accréditation pour de telles formations et qui demande aux demandeurs de prendre position face à ces critères. Nous faisons régulièrement envoyer au responsable de l’attribution du label un résumé des formulaires d’évaluation à des fins de contrôle de qualité. Pour éviter tout conflit d’intérêt, le groupe de travail a décidé, à l’issue d’une discussion animée, de favoriser les modèles de financement dans lesquels les sponsors de l’industrie versent les fonds dans un pool géré de manière centralisée, comme cela avait été proposé précédemment par Etzel Gysling dans un numéro de « pharma-kritik ». (…) »
Et voici les directives concernant la « collaboration » du corps médical avec les firmes pharmaceutiques, publiées en 2005 par l’Académie suisse des sciences médicales.
Peut-il y avoir « collaboration » entre deux entités ayant à ce point-là des intérêts différents? Alors que, comme le disait à juste titre Arnold S. Relman, le business devrait être par définition étranger à la médecine et que, lorsqu’il y est toléré, voire encouragé, il corrompt tout sur son passage…
Si vous n’avez pas lu la traduction du texte de Relman, c’est le moment de le faire, en allant à cette note intitulée « Ethique et valeurs médicales dans un monde marchandisé où la santé n’est qu’un commerce parmi tant d’autres. Excellent texte de Arnold S. Relman ». Voici un bref extrait concernant l’impossible « collaboration », à moins que les médecins renoncent à leur intégrité :
« L’essence de la médecine est tellement différente de celle du business ordinaire que la mésentente est inhérente à la nature de l’un et de l’autre. Le concept de la bonne gestion issue du business peut être utile dans la pratique de la médecine, mais pas au-delà d’une certaine limite. L’ethos fondamental de la pratique médicale contraste fortement avec celui du commerce ordinaire, et les principes du marché ne s’appliquent pas à la relation entre médecin et patient [4]. [Mais] de telles considérations profondes n’ont pas arrêté la progression du « complexe médico-industriel » [5] ni empêché la soumission accrue du professionnalisme médical à l’idéologie du marché. (…) La privatisation continue du système de soins tout comme l’intrusion et la prédominance des forces du marché dans la pratique de la médecine vont non seulement pousser le système de santé à la faillite, mais aussi aboutir inévitablement à la ruine des fondements éthiques de la pratique médicale et à la dissolution des préceptes moraux qui ont été historiquement constitutifs de la définition de la profession médicale.»