Les acrobaties de l’Afssaps avec les conflits d’intérêts… Belles paroles, encore plus belles contradictions…

L’Afssaps (agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) s’enorgueillit d’avoir mis en place une 834f8ad18b900d9d571462211e21bd6e.jpgpolitique de régulation des conflits d’intérêts, notamment sous forme du Fichier informatisé de déclaration des conflits d’intérêts (FIDES), censé être accessible sur le site de l’Agence.

« Faites ce que je dis, pas ce que je fais » serait un assez bon résumé de la politique de l’Afssaps… Et encore, c’est un euphémisme, parce qu’on se rend compte que l’agence n’a rien appris de ses propres bourdes entre 1995 et 2008. La pétition de principe dit : « dans la mesure où un expert s’abstiendrait, pour des raisons personnelles ou professionnelles (ex. engagement de confidentialité avec une firme) de donner une information et que cette information est nécessaire à la gestion des conflits d’intérêts, cette abstention est incompatible avec l’exercice d’un mandat d’expert à l’Afssaps ».  Mais il suffit d’une recherche approfondie pour constater que toutes les données ne sont pas publiques, d’une part, et que tous les experts et membres des groupes de travail, de lecture et de validation ne font pas de déclaration d’intérêts – ce qui ne veut pas dire qu’ils n’en ont pas… Et l’Afssaps n’exerce – et ne veut exercer – aucun contrôle sur l’existence et l’exactitude des déclarations d’intérêts. Sans parler de réprimer les mensonges…

Alors quelle conclusion tirer, si on se borne à mesurer la pratique de l’agence à ses propres prétentions ? Sur une autre page de belles paroles et d’incantations de la déontologie, l’Afssaps ajoute d’elle-même une remarque tout à fait juste : « la crédibilité de l’expertise » en matière de sécurité sanitaire « suppose la transparence des procédures d’évaluation et la transparence des règles de gestion des conflits d’intérêts ». A la lumière de cette dernière affirmation, les manquements à la politique de gestion des conflits d’intérêts, que tout le monde peut constater en pratique, frappent de nullité cette expertise dans son ensemble… Nous avions raison de parler d’agence d’insécurité sanitaire, non?

Le vendredi 25 avril, l’Afssaps lançait un « Appel à candidatures d’experts rapporteurs auprès des groupes de travail pharmaceutiques de la commission d’autorisation de mise sur le marché ». Cet appel était l’occasion de réaffirmer les grandes lignes de la politique de gestion des conflits d’intérêts et de faire savoir que celle-ci aurait été renforcée…

En voici un extrait :

« Indépendance et déclaration d’intérêts :  Afin de conforter les garanties permettant aux commissions de siéger en toute indépendance, l’Afssaps a renforcé son dispositif de déclaration et de gestion des conflits d’intérêts. En particulier, elle procède à l’évaluation des niveaux de risque de conflits d’intérêts et à l’identification des situations d’intérêts importants, conduisant à exclure des débats et du vote les experts concernés. Les intérêts mineurs avec le dossier évalué, correspondant à un risque de conflit d’intérêts faible, n’ont aucune conséquence en terme de participation du membre. Pour satisfaire à cet impératif d’indépendance de l’expertise, les candidats devront adresser une déclaration d’intérêts mentionnant leurs liens directs et indirects avec les entreprises et établissements dont les produits entrent dans le champ de compétence de l’Afssaps ainsi qu’avec les sociétés ou organismes de conseils intervenant dans ces secteurs (formulaire disponible au format pdf sur le site internet de l’Afssaps). Cette déclaration sera rendue publique si le candidat est retenu ».

Ces phrases semblent tout droit sorties du manuel d’une agence de communication et de relations publiques, comme il y en a partout maintenant, pour voler au secours de toute entreprise ou institution qui doit impérativement redorer son blason… Quel message lit-on entre les lignes ? Ne fuyez pas, on ne s’en prend pas aux intérêts tout court, mais on est obligés quand même de dire quelque chose, puisque tout le monde parle de la nécessaire indépendance de l’information médicale. Déclarez un « petit » intérêt, de toute façon on ne vérifie pas.

Et puis, faire passer l’expertise pour indépendante apparaît comme une garantie aux yeux du public, ça fait mieux vendre… Allons demander à l’Afssaps, à son président, M. Jean Marimbert, où il situe la ligne entre gros intérêts et petits intérêts, et surtout au nom de quel critère – probablement typiquement français – il catégorise les niveaux de conflits d’intérêts… Toute la littérature médicale dit qu’aucun intérêt n’est anodin et sans conséquences. Quelle distinction fait M. Marimbert entre un expert qui a un « gros » intérêt avec la firme X et vote « oui » pour qu’un nouveau médicament de cette firme soit autorisé, et un expert ayant un « petit » intérêt avec la même firme, mais qui vote lui aussi « oui », du fait de ce même intérêt ?? Ce qui importe, c’est que l’homologation sera obtenue. Et de plus, ce sera tout bénéf pour la firme X si elle l’obtient rien qu’avec des « petits » intérêts… Même pas besoin de dépenser beaucoup, ça fait des profits supplémentaires pour les actionnaires. Dans la catastrophe sanitaire qui pourrait suivre une homologation faite par des experts ayant des intérêts quels qu’ils soient, les victimes auront-elles des effets indésirables plus « petits » du fait du « petit » intérêt financier de certains experts ??

Absurde ? Oui. Mais pas plus que la distinction faite par l’Afssaps…

A l’heure où le monde médical anglo-saxon fait tout pour limiter les conflits d’intérêts, où les scandales éclatent l’un après l’autre, où la justice (anglo-saxonne, elle aussi, ne rêvez pas!) s’active pour rendre publics les dérapages des experts et de l’industrie pharmaceutique, la France fait preuve du même aveuglement, du même verbiage qui est là pour habiller le vide sidéral en matière de protection des intérêts de la santé individuelle et publique – face aux conséquences dramatiques des intérêts financiers sur l’information médicale et l’intégrité physique des patients. Il n’y a aucune protection des seuls intérêts légitimes – ceux de la santé des patients, que l’Afssaps est là pour garantir, en théorie du moins… Aucune protection, ni en amont ni en aval. Même pas la possibilité de demander justice après coup ou d’éviter les répétitions… Chez nous, l’histoire sanitaire et médicale se fait et se refait de l’éternel retour du même… Il y a une sorte de compulsion de répétition que ces experts ne voient pas, aveuglés comme ils sont par leurs intérêts…

Jerome P. Kassirer, Marcia Angell (anciens rédacteurs en chef du prestigieux New England Journal of Medicine) et bien d’autres ont dit et redit qu’il n’y a pas d’intérêt innocent, pas de cadeau d’une firme à un médecin, de repas ou même de post-it qui seraient sans importance. Ce n’est pas pour rien que les mouvements anti-corruption en médecine s’appellent « No free lunch ! » et ses versions britannique, allemande et italienne disant « non merci, c’est moi qui paie » [mon repas, d’abord, mais aussi le reste, tout le reste…]. Les firmes – et les médecins consentants – prétextent « l’hospitalité » pour mieux faire gober leurs produits aux professionnels de santé. Malheureusement, ce sont les patients qui vont devoir avaler le tout et payer les pots cassés lors des repas.

Repas, stylo, voyage, invitations, etc. – tout cela crée un lien, une obligation, un devoir de réciprocité qui poussent le médecin en question à renvoyer l’ascenseur en prescrivant ce que veulent les firmes. Nietzsche avait bien saisi le mécanisme général qui est à l’œuvre ici comme ailleurs : la promesse, soit-elle implicite (cf. « Généalogie de la morale »). Promesse qui crée l’obligation, elle-même motivation d’une action sous influence. Il n’y a pas besoin de millions pour créer de l’influence… Les visiteurs médicaux le save
nt parfaitement bien, qui créent une ambiance sympathique, créent du lien, justement, qui n’est pas nécessairement financier. Il suffit qu’un médicament soit associé à un affect et un souvenir agréables pour que ce soit de bon augure pour les ventes de la firme… Le fait de la corruption ne change pas, même si certains peuvent la considérer « petite », pour se donner bonne conscience, et ce au nom de critères parfaitement arbitraires. La corruption ne connaît pas ces « niveaux » qu’aimerait bien déceler l’Afssaps. Elle est ou n’est pas. Point barre.

PS: d’ailleurs, parler de « gestion » des conflits d’intérêts veut bien dire qu’il ne s’agit pas de les éliminer…

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