Il restera, peut-être, la charité pour les perdants… Celle-là même que la République voulait faire disparaître en la remplaçant par la solidarité, par l’égalité et l’égale dignité. Des mots, rien que des mots vides pour nos gouvernants. Notre Constitution fait du président Sarkozy le garant de notre (système de) santé. Or, la réalité semble bien différente, puisqu’il se préoccupe de la santé des intérêts privés des gros industriels de l’assurance, des firmes pharmaceutiques et autres « investisseurs » dans le système de santé. Qui attendent les dividendes, le « retour sur investissement », quitte à tailler à la hache dans les soins et à exclure les pathologies non rentables, à l’image de ce qui se passe dans les cliniques rachetées par des grosses firmes – et de ce qui se passera bientôt dans nos hôpitaux…
Vous trouverez sur cette page du site du « Collectif national Contre les Franchises et pour l’accès aux soins pour tous » plusieurs prises de position contre les franchises médicales. Celles-ci sont une énième attaque contre la protection sociale, après les franchises Douste-Blazy, les forfaits, le projet de « bouclier sanitaire », le projet « Hôpital 2012 » visant à vider l’hôpital public de son essence de service public, le projet de réduction drastique de la prise en charge des maladies chroniques les plus graves, qui font partie des ALD (affections de longue durée; nous en avons parlé dans cette note). Sans parler du démantèlement plus général de tout ce qui ressemble de près ou de loin à un service public.
Vous pouvez lire ici le texte Franchise sur les soins : la fausse compassion au secours de l’idéologie, par Christian Lehmann et Martin Winckler. Les auteurs sont médecins généralistes et écrivains et font partie des initiateurs de l’Appel contre la Franchise.
Texte de Christian Lehmann et Martin Winckler:
« 53% des votants en faveur du candidat UMP. 70% d’opinions favorables à la composition du gouvernement Fillon, à en croire les sondages. Et parmi eux, cette femme de 72 ans, patiente de longue date, qui vient s’asseoir devant moi et, me tendant un article sur l’Appel contre la franchise, me dit : « Mais enfin… on a voté pour lui… mais pas pour ça… »
Mais si. Car Nicolas Sarkozy ne s’est pas avancé masqué. Il a clairement annoncé, depuis longtemps, sa volonté de mettre en place une franchise sur les remboursements de soins, à l’image des assurances automobiles. Et tous ses fans le répètent : cet homme fait ce qu’il dit. Déjà, en 2000, dans son livre « Libre », il écrivait : « Je crois utile qu’un système de franchise soit mis en place comme pour tout processus d’assurance. Ainsi les 500 premiers francs [76,22 €] de dépenses de santé annuelles des assurés sociaux ne seraient pas remboursés, afin de responsabiliser ceux-ci. »
Ah ! Responsabiliser les assurés ! Toujours la même rengaine : le déficit de la Sécurité Sociale ne serait pas dû à la désorganisation du système, ni à la fâcheuse tendance du pouvoir à céder aux lobbies les plus puissants, ni au glissement progressif, depuis 1982, de 10% de la richesse nationale brute des revenus du travail (qui alimentent les caisses) vers les revenus financiers (qui sont partiellement exonérés de cotisations). Il serait du aux « consommateurs de soins » irresponsables. En réalité, les patients sont depuis longtemps « responsabilisés » financièrement : outre leurs cotisations d’assurance-maladie, ils paient le ticket modérateur, un forfait plafonné à 50 euros par ans sur les consultations et actes de biologie, un forfait de 18 euros sur les actes techniques, un forfait hospitalier journalier de 16 euros… Une franchise supplémentaire ne va pas plus « responsabiliser » les malades, mais fragiliser le système de prise en charge solidaire. Et pousser les assurés jeunes et en bonne santé – qui, en cas de franchise, ne recevraient aucun remboursement – vers les assurances privées. (…)
Mobile, bagnole, santé, tout doit obéir pareillement aux lois du marché. Exit le modèle français, Nicolas Sarkozy et les siens ont décidé de faire table rase de l’héritage du Conseil National de la Résistance, au nom du néolibéralisme.
Seule ombre ou presque au tableau, la prise de conscience d’une poignée de professionnels de santé, d’économistes, d’usagers, initiateurs début Avril d’un appel, sur le site www.appelcontrelafranchise.org (…)
La logique très particulière du sarkozysme en action consiste à délaisser la justice sociale pour lui préférer la charité, en faisant le tri entre les « très pauvres » et les « un peu moins pauvres que les plus pauvres ». Au risque de favoriser une lutte des classes interne, stigmatisant les bénéficiaires de la CMU « qui eux, Docteur, peuvent se soigner les dents gratis ! » Rien ne se perd, tout se recycle, même la charité, qui sert ainsi à conforter les ménages modestes dans l’idée qu’un Autre, coupable de tous les maux, est responsable de leurs difficultés financières. Comment, d’ailleurs, ne pas faire le parallèle avec un phénomène troublant, qui aurait dû attirer l’attention de Martin Hirsch : le refus de soin opposé de manière croissante par certains professionnels de santé aux patients en CMU. Que certains praticiens rencontrent de réelles difficultés de paiement, ce n’est pas douteux. Mais seule la dénonciation constante des « assurés irresponsables » a pu favoriser chez certains d’entre eux une attitude aussi inacceptable. Car il est plus facile de mettre son éthique dans sa poche et d’envoyer paître un patient démuni (« Allez à l’hôpital public, on ne prend pas les gens comme vous ici ») quand tout le monde voit en lui la source des maux du système.
Même parée de quelques aménagements, la franchise continue de fédérer les mécontents : 60% des Français interrogés se déclarent opposés à sa mise en œuvre. Début Juin, l’Appel engrange plus de 45.000 signatures… [autour de 500.000 actuellement, sur divers supports].
Parmi les initiateurs de l’Appel, chacun, dans son champ d’expertise, en déconstruit les mécanismes et les effets indésirables. Ainsi Jean De Kervasdoué, ancien directeur des hôpitaux, souligne l’impossibilité pour l’assurance-maladie de traiter la question : qu’est-ce qu’un « foyer » ? Comment en déterminer le revenu et le montant de la franchise quand le père est affilié au régime général, la mère à la mutuelle générale de l’éducation nationale et l’un des enfants au régime étudiant ? Pour les professionnels à l’origine de l’Appel, défenseurs d’un accès aux soins solidaire, c’est un soulagement de constater que la résistance s’organise enfin, et que l’idéologie néolibérale se heurte à l’attachement des Français pour leur modèle de protection sociale. « Mais enfin… on a voté pour lui… mais pas pour ça… » Mais si. Vous avez voté contre l’Autre, celui qu’on a rendu responsable de tous les maux. Et vous venez de découvrir que, dans l’esprit des puissants, l’Autre, c’est vous.
Juste avant ses vacances américaines, Nicolas Sakozy, accompagné d’une Ministre de la Santé particulièrement muette, s’est rendu à Dax, dans un centre d’accueil de jour en gériatrie. Là, entouré de personnes âgées dépendantes, le Président qui n’en est plus à une contradiction près annonce que sa franchise a pour unique but… de financer la lutte contre le cancer et l’Alzheimer ! C’est à ce titre que les patients âgés dont il s’est entouré comme caution médiatique, mettront les premiers la main à la poche pour payer leur propre traitement : 0.50 euro sur chaque boîte de médicament, sur chaque acte d’infirmier ou de kinésithérapeute, et 2 euros par transport sanitaire. « Qui va oser venir me dire que face aux défits que représentent l’Alzheimer, les soins palliatifs et la lutte contre le cancer, on ne peut pas donner 4 euros par mois ? »
Plus culpabilisant que ça… Aux uns le paquet fiscal, aux malades la « responsabilisation ». Sous couvert de compassion, la énième mouture de la franchise Sarkozy est bien un clou supplémentaire dans le cercueil de l’assurance maladie solidaire. »