Médicaments anticholestérol: théorie des firmes et pratiques serviles des agences du médicament

Où l’on apprend que c’est la théorie qui sous-tend la medication anticholestérol qui est à revoir. Et que les médicaments anticholestérol sont 2143598209.jpgautorisés selon un régime d’exception qui se fiche complètement du bénéfice thérapeutique et des risques. Une fois le médicament homologué, l’expérimentation sera grandeur nature, avec les usagers dans le rôle de cobayes. A se demander combien d’autres types de médicaments bénéficient de cette même indulgence…

 

L’idée qu’il suffirait de baisser le LDL-cholestérol pour résoudre le problème est beaucoup trop simpliste, comme le souligne Arznei-Telegramm (cf. note précédente), et comme le disent tous ceux qui ne sont pas des simples VRP de l’industrie pharmaceutique. Celle-ci n’arrête pas de faire peur dans des campagnes soi-disant d’information sur les dangers du cholestérol, tout aussi scientifiques que celle pour la meilleure lessive. J’appelle ça le « pharmacommerce de la peur », et Gardasil est un excellent exemple dans son genre. Pour des multinationales intéressées par le profit, c’est une stratégie marketing payante, puisque les médicaments hypolipémiants lui rapportent autour de 40 milliards de dollars par an, selon l’estimation du journal New York Times. Il est intéressant de voir que ce journal généraliste reprend à sa façon les interrogations sur ce « raisonnement » unilatéral, unifactoriel, de rapport entre cause et effet : taux élevé du LDL cholestérol =  traitement anticholestérol automatique = solution.

(LDL-cholestérol veut dire « lipoprotéine à basse densité », c’est le « mauvais » cholestérol.  Le « bon » cholestérol, nécessaire au bon déroulement de processus vitaux, c’est la « lipoprotéine à haute densité » ou HDL).

Ce questionnement doit être radical, autrement dit, mener à la racine des choses: la théorie qui est à la base des traitements. Essentielle parce qu’elle détermine ce qu’on appelle improprement les « faits », même dans les sciences dites exactes et les expérimentations de laboratoire. Une théorie unique, portée par la puissance financière illimitée des multinationales pharmaceutiques aura toutes les chances de s’imposer comme LA vérité. Comme disait Bourdieu dans un autre contexte, elle a les moyens de se rendre vraie, puisque les théories concurrentes ou simplement différentes ne font pas le poids (en argent, en actions…) et sont amenées à disparaître. On voit les limites de la « evidence-based medicine » (la médecine basée sur des preuves), qui peut être très bien instrumentalisée par ceux qui ont les finances et qui décident de l’objet de la recherche comme de ses modalités. Cujus regio, ejus religio. Celui qui dirige impose sa religion…

L’article du New York Times n’entre pas dans ces explications théoriques, mais il faut  faire comprendre l’enjeu de l’interrogation soulevée par les exemples donnés.  L’auteur, Alex Berenson, apprend au grand public à quel point il est naïf et crédule, lui qui est le cobaye des médicaments anticholestérol…Les agences de sécurité sanitaire autorisent ces médicaments sur la base de leur seule capacité à réduire le LDL cholestérol (et éventuellement à augmenter le HDL), sans attendre les essais cliniques montrant s’il y a un véritable bénéfice clinique, si ces personnes se portent mieux juste parce qu’elles ont un LDL cholestérol plus bas, si ce taux suffit à lui seul à réduire l’incidence des maladies cardio-vasculaires.Ce qui ne semble pas être le cas dans l’ensemble, vu les chiffres de la mortalité cardio-vasculaire dans les pays industrialisés, pourtant grands consommateurs de médicaments anti-cholestérol. Preuve non pas que le cholestérol ne pose pas de problème, mais qu’il n’y a pas une relation de cause à effet aussi unilatérale que le voudrait la propagande de l’industrie pharmaceutique…

C’est à cause de cette « théorie » minimaliste soutenue mordicus par les milliards des laboratoires qu’on voit des médicaments comme Ezétrol ou Inégy approuvés sans qu’il y ait d’études préalables montrant un éventuel intérêt clinique, par exemple par rapport aux molécules déjà existantes. Et montrant aussi dans quelle indication tel médicament doit être approuvé. Mais non, l’intérêt financier veut que tout le monde en prenne, on va pas limiter un « blockbuster » à une seule maladie, c’est pas assez lucratif… Ou alors, quand il y a des études sérieuses, elles démarrent des années après la mise sur le marché, comme c’est le cas pour l’étude « Improve-it » sur Inegy, démarrée en 2006 et qui ne finira qu’en 2011… En attendant les résultats, ironise le New York Times, médecins et patients ne peuvent se baser que sur leur foi en l’efficacité du médicament en question… L’autorisation par une agence de sécurité sanitaire – sur la base d’affirmations de ces firmes dont on sait qu’elle ne mentent jamais et qu’elles sont des parangons de vertu – ne dit pas si les molécules en question ont un effet préventif, réduisent effectivement le nombre d’accidents cardio-vasculaires, etc.

Une autre question majeure est de savoir si elles ne sont pas toxiques, même si elles réduisent le LDL cholestérol… Les statines dont les effets secondaires ont défrayé la chronique ces dernières années en disent long là-dessus. Prenez  un traitement préventif qui baisse le LDL cholestérol, mais tue le patient, il n’y a pas de quoi pavoiser… Jusqu’à nouvel ordre, un taux bas de cholestérol n’est même pas une condition nécessaire d’accès au paradis… 😉

Le New York Times donne un excellent exemple : en 2006, la firme Pfizer a arrêté un essai clinique avec 15.000 participants portant sur le torcetrapib, un anti-cholestérol qui a provoqué des crises cardiaques et des accidents vasculaires cérébraux… tout en baissant le « mauvais » cholestérol et en augmentant le « bon ». Heureusement, l’essai clinique a été mené – pour une fois – avant que l’agence du médicament l’autorise…

On peut imaginer ce que cela aurait donné, sachant que des estimations américaines évaluent à 1% les effets secondaires signalés à la pharmacovigilance. L’ISDB (groupe international de revues pharmacologiques indépendantes de l’industrie pharmaceutique) parle de 5%, si mes souvenirs sont bons, en tout cas de « sous-notification ». Qui contribue à ce qu’un médicament reste longtemps, très longtemps sur le marché une fois qu’il a été autorisé. Notons au passage que les médecins ne peuvent pas mettre la sous-notification sur le dos de l’industrie pharmaceutique (qui a, elle aussi, une obligation de notifier les effets indésirables ou inattendus). La plupart des victimes racontent la même histoire : les médecins ne les croient pas, ne prennent pas la peine de s’informer de ce qui est dit ailleurs qu’en France, considèrent que remplir la fiche leur prend trop de temps et qu’ils ne sont pas rémunérés pour le faire… Quand je disais que l’argent est le nerf de la guerre… Quoi qu’on fasse, on y revient toujours, et pas seulement sous la forme des conflits d’intérêts…

On voit maintenant que l’Inegy, qui baisse le LDL cholestérol plus que Zocor seul, fait moins bien en prévention de l’athérosclérose, puisque les dimensions de la plaque augmentent au lieu de diminuer… Et la corrélation entre plaque d’athérosclérose et accidents cardio-vasculaires est autrement plus importante que celle entre ces derniers et le LDL cholestérol. Même « théorie » simpliste, mêmes risques que ça ne serve à rien et détourne les patients de médicaments qui ont fait leurs preuves… Mais l’article souligne que certains médicaments ont passé le cap des études après coup et se sont révélés efficaces. Encore heureux…

Le New York Times nous informe en outre que Merck a sorti un autre anti-cholestérol de son sac, du nom de Cordaptive, et que la firme espère avoir la réponse de l’agence américaine du médicament avant juillet 2007. Sans essais cliniques, puisque des résultats de l’essai à peine commencé ne seront pas disponibles avant 2013 ( !) Et le journaliste de commenter : « Les médecins, les patients et l’industrie pharmaceutique verront si les décideurs sont toujours prêts à accepter la théorie selon laquelle un taux de cholestérol plus bas est toujours une bonne chose ». Le journal précise dans une note ajoutée le lendemain qu’il ne s’agit pas de minimiser les risques d’un excès de cholestérol, mais de savoir si sa diminution apporte toujours un bénéfice thérapeutique.

Source: “New Questions on Treating Cholesterol”, 17 janvier

Le bénéfice financier est certain, lui. Comme la complaisance des agences d’indulgence sanitaire, dénoncée par le Sénat, qui prend justement les médicaments anti-cholestérol comme exemple (j’en parle dans cette note).

Elena Pasca 

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