CRISPR-Cas9 à l’Académie des Sciences: l’éthique au temps du carnaval. Communiqué de Sciences Citoyennes et commentaires sur l’impact des technosciences sur l’humain

Après des commentaires sur l’éternel retour des bulles médiatiques de thérapie génique qui éclatent l’une après l’autre et l’exemple des 20 ans de dons au Téléthon aboutissant à un médicament d’intérêt plus que douteux pour quelques enfants atteints d’une forme rare de dystrophie musculaire de Duchenne, je rappelle quelques conséquences des tehnosciences appliquées à la médecine et à l’humain en général, avec quelques liens. Puis je publie l’intégralité du communiqué de presse de Sciences Citoyennes, suivi d’extraits d’un article de Sylvain Tronchet paru le 26 janvier 2017 sur le site de France Inter sous le titre « CRSPR-Cas: la dernière folie de la génétique ».

CRISPR veut dire Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats. Les grandes lignes de ce que les media – qui reprennent sans critique les communiqués des investisseurs et de leurs valets en blouse blanche – appellent « ciseaux génétiques révolutionnaires » en sont expliquées dans cet article de Wikipédia.

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Depuis des décennies, nous assistons à des variantes de ce que l’on nous présente comme des révolutions en santé, en agriculture, etc., qui font pschitt l’une après l’autre, engloutissant des centaines de millions d’euros au passage, et mobilisant les équipes de recherche exclusivement sur des questions de séquençage du génome, thérapie génique, organismes génétiquement modifiées, bref, toutes les formes du mal nommé « génie génétique ».

Mais qu’il s’agisse d’échecs ou de succès, l’omniprésence de la génétique seule ou couplée à d’autres technosciences et biotechnologies tout aussi « révolutionnaires » ont changé notre idée de l’innovation. Pire, les mentalités ont changé, les technosciences ont colonisé notre monde vécu et le consumérisme néolibéral – qui se caractérise par la création de besoins artificiels pour justifier le commerce ininterrompu de marchandises vite obsolètes et remplacées – a rendu la perception des objets connectés comme indispensables et a banalisé l’intervention médicale (à travers eux) pour corriger les êtres humains, les mettre au pas, les uniformiser. Les limites morales et éthiques sont devenues très floues quant à ce qui est acceptable ou non, quant aux frontières entre humain et machine. Exosquelette et homme bionique ne sont plus du domaine de la science-fiction…

J’ai déploré maintes fois le dévoiement de la fonction sociale de la médecine, lorsqu’elle s’identifie de plus en plus à son rôle d’agent de contrôle social, de normalisation des individus, pour le compte du néolibéralisme consumériste dont elle empêche la critique, puisque tout critique est un déviant malade, à soigner par l’un des moyens de correction pharmacologique disponibles. Toutes les petites interventions de la médecine, acceptées pas à pas et même réclamées, entérinent l’idée d’un être humain que la technique viendrait légitimement augmenter, assimilant progrès technique et progrès moral (donc progrès pour l’homme), comme si un être humain aux capacités physiques renforcées par la science, plus précisément par les technosciences, auraient aussi des capacités morales plus élevées… Tout cela prépare le terrain au transhumanisme.

Ce qui pourrait être utile à quelques-uns (quelques riches pouvant payer pour une médecine prédictive et préventive personnalisée) est d’ores et déjà un cauchemar pour le grand nombre… Les individus sont maltraités par la traduction en pratique d’une médecine préventive arrogante, agressive, présomptueuse, selon les constats fort justes de Sackett. Pour l’immense majorité des assujettis à la médecine néolibérale, la prévention se réduit à la prise de médicaments, comme si elle pouvait empêcher toutes les maladies d’advenir.

A l’ère du préfixe « pré » (pré-diabète, pré-hypertension, pré-ostéoporose, etc.), la pharmacologie s’accompagne de flicage au moyen d’objets connectés, pour calculer les capacités, prévoir des programmes punitifs à suivre et surveiller l’observance… Les assurances ont flairé le bon filon et commencent à intégrer de tels programmes dans leur offre, normalisant le flicage en vue de l’uniformisation des humains. C’est une mise en pratique du biopouvoir, de la biopolitique, avec la médecine dévoyée fournissant les moyens pour les « techniques pastorales » de « discipline des corps et des âmes »… (J’en ai parlé en détail dans mon intervention lors du colloque de 2012 sur la surmédicalisation, notamment dans l’exposé détaillé sur le dévoiement de la fonction sociale de la médecine, mais aussi dans les dizaines d’articles réunis sous les catégories « normalisation, contrôle social », « culture psy », etc., accessibles à partir de la colonne gauche du blog).

La psychodiversité est victime de l’uniformisation, comme, à l’échelle plus large, la biodiversité est victime de l’intervention sélective de l’homme; le vivant est breveté pour s’assurer les sources de profit, et les ressources publiques sont majoritairement mises au service de thérapies géniques et de fabrication de variantes renouvelées d’organismes génétiquement modifiés censés illustrer comment la technique résout les grands problèmes de l’humanité.

Malgré les échecs patents récurrents et l’aggravation desdits problèmes, parce que la production des solutions techniques pille les ressources naturelles et engendre une énorme pollution, qui n’a d’égal que l’effet toxique sur la santé des êtres humains et des animaux…

Sans oublier le gaspillage des ressources issues de l’appel à la générosité des citoyens dans des mises en scène telles que le Téléthon. Ils pensent financer la recherche médicale dans l’intérêt général, car c’est ce que l’AFM (Association française contre les myopathies) laisse entendre lorsqu’elle fait défiler des représentants de dizaines de maladies rares. Or les malades souffrant de maladies que la publicité lors du Téléthon dit « couvertes » par l’AFM disent que leurs démarches auprès de cette association sont systématiquement rejetés (et l’on sait qu’aucun médicament et aucune technique issus de cette recherche ne leur a été bénéfique cliniquement).

Le Téléthon dépense de l’argent public. Et les citoyens qui donnent pensant que cela peut profiter à la recherche en général devraient savoir que l’argent est investi massivement dans des projets qui privilégient la génétique (« le génie génétique »), malgré l’absence de résultats. On nous présente toujours les mêmes « espoirs », en disant que les dons du Téléthon en cours seront déterminants pour la mise en ouvre. Mais, concrètement, les énormes investissements dans la recherche en matière de thérapie génique se sont traduits par une seule autorisation de mise sur le marché, aux Etats-Unis. Il s’agit de l’Exondys 51 (eteplirsen): saut de l’axone 51 du gène DMD impliqué dans la myopathie de Duchenne. L’efficacité est plus que douteuse, mais les associations ont fait pression, de concert avec le fabricant, pour que l’Exondys 51 soit homologué rapidement, dans certaines formes de mutation génétique de cette dystrophie musculaire, sous prétexte qu’il n’y a rien d’autre et que des enfants qui pourraient en bénéficier meurent sans espoir d’une amélioration. Je reviendrai là-dessus.

Le rêve de technosciences intervenant dans ce qui relève de l’humain, dans toute l’imperfection qui laisse la place à l’éducation, à l’imagination, à la création, ainsi que dans les relations interhumaines commence à prendre la forme d’un cauchemar justement dans le pays le plus avancé en matière d’homme bionique, de robotique.

On voit au Japon ce que donne l’illusion d’une technique palliant à l’absence d’humanité, parée de toutes les vertus, qui sauverait l’homme, y compris de la solitude. Pensons aux robots « de garde » au chevet des personnes âgées, dont plus personne ne veut, parce que seul le jeunisme et ses connotations de performance sont valorisés… C’est l’une des conséquences du néolibéralisme, qui réduit la vie des êtres humains au travail et les relations interhumaines à la compétition et au calcul, avec un sourire commercial en permanence.

Les Japonais ne savent plus comment se comporter spontanément, lorsqu’ils peuvent le faire de façon désintéressée, ne savent plus comment interagir, comment faire connaissance, se faire des amis, et encore moins comment se comporter avec le sexe opposé. Ils se désintéressent de l’amour, parce qu’il demande trop d’efforts, et de la famille, parce qu’elle demande trop d’investissements et transforme les parents en esclaves d’enfants tyranniques. A moins que l’amour soit tarifé, avec des femmes habillées en écolières (fantasme absolu) ou avec des adolescents éphèbes, à la mèche au gel fixant… Les Japonais ne sont désormais plus à l’aise que lorsqu’ils paient pour laisser transparaître des affects, se laisser aller à toucher quelqu’un d’autre, etc., dans un cadre bien circonscrit.

Les bars à chats en sont une autre preuve. Pauvres animaux instrumentalisés, eux qu’il n’y a pas besoin de draguer, envers lesquels on peut se laisser aller à des manifestations de « faiblesse » affective… Plus l’humanité disparaît partout, conséquence de la globalisation néolibérale et de l’uniformisation des êtres humains selon des standards qui voient dans l’affect une faiblesse, plus il y a besoin de suppléments d’âme, mais d’une façon calculée, encadrée, bien circonscrite, qui ne puisse comporter aucune connotation critique du système déshumanisant. Et ces suppléments d’âme introduisent du commerce là où la gratuité était fondamentale, uniformisent, là où la diversité des réactions était signe d’une imagination créatrice pouvant échapper à l’industrialisation, à la standardisation… L’affect banni des relations (elles-mêmes façonnées selon le modèle des échanges au travail) se manifestera de façon prévisible, déterminée, uniforme, contrôlable. Un autre pas vers la normalisation des individus, leur mise au pas et leur homogénéisation, au travail, pendant les « loisirs » sérialisés et dans les lieux prévus pour la spontanéité marchandisée…

J’ai commenté en détail la fonction sociale des technosciences et montré comment elles ont infiltré tous les invariants de notre existence, notamment l’administration à laquelle elles fournissent des techniques de gestion. La Théorie critique parlait à juste titre de « monde administré »… L’une de ces analyses part d’une critique du livre Labo-Planète ou Comment 2030 se prépare sans les citoyens, de Jacques Testart et coll., intégrant mes principales références philosophiques en la matière (Theodor W. Adorno, Jürgen Habermas, Michel Freitag, Michel Foucault…). [Elena Pasca]

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Voici le texte intégral du communiqué de l’association Sciences Citoyennes.

« En cette période de carnaval, l’Académie des Sciences française organise le 21 février un colloque intitulé « Les problèmes éthiques associés à la modification des organismes par la technologie CRISPR-Cas9 ». Pour mémoire, CRISPR-Cas9  permet de modifier plus facilement, rapidement et à moindre coup, toutes les formes du vivant, des microorganismes à l’espèce humaine en passant par les champignons, plantes et animaux.

Le contenu du programme de ce colloque[1] est à l’image de la campagne de communication intense qui accompagne la diffusion de cette technologie depuis plusieurs mois : vanter des applications miraculeuses dans de nombreux domaines et minorer, quand elles ne sont carrément éludées, les questions éthiques, économiques et sociales qui se posent.

Reconnaissons en tout cas l’efficacité du plan média des chercheurs et chercheuses (dont une française, cocorico) impliqués dans la mise au point de cette technologie, et (surtout ?) des investisseurs qui ont massivement misé sur celle-ci.

L’association Sciences Citoyennes considère pour sa part que les citoyens n’ont rien à gagner à un débat escamoté, où toutes les dimensions éthiques, sociales et économiques ne seraient pas ouvertement discutées.

Le séminaire conçu par l’Académie des Sciences est un exemple caricatural de débat éthique. Une brève analyse de son programme suffit à en révéler les insuffisances criantes (voir pages suivantes). On y entendra probablement que freiner la recherche sur CRISPR-Cas9 est une posture non éthique (et donc non discutable) car elle ralentirait l’apparition d’innovations forcément bienfaitrices, qu’il est éthique d’utiliser CRISPR-Cas9 chez des animaux domestiques si c’est pour leur rendre les conditions d’élevage intensif plus agréables, que l’utilisation de CRISPR-Cas9 chez l’humain ne laisse entrevoir de problème éthique que si on touche à la descendance humaine (et encore) ou que la compétitivité de la France impose de s’engouffrer dans cette course au nom du progrès…

A qui vont véritablement bénéficier les résultats de CRISPR-Cas9 ? A la population, aux détenteurs de brevets aux investisseurs pressés ? Comment penser sereinement un débat qui touche à des questions fondamentales face au martèlement de promesses fantasmagoriques visant à promouvoir une technique dont la performance reste à prouver ? Comment réguler efficacement le génie génétique, domaine qui avance en permanence à coup de marketing scientifique douteux ? Ce ne sont là que quelques interrogations qui ne semblent pas être jugées « suffisamment éthiques » par l’Académie des Sciences pour figurer au programme de ce colloque.

Jacques Testart, biologiste et président d’honneur de Sciences Citoyennes, Catherine Bourgain et Christian Vélot, généticiens, membres du bureau de l’association, et l’ensemble de son conseil d’administration exigent l’organisation d’une « délibération » élargie à toutes les questions éthiques, sociales et économiques qui entourent CRISPR-Cas9. Les citoyens devront être au centre de cette « délibération », dont les conditions et règles d’organisation devront être clairement fixées dès le départ. Le périmètre des questions posées devra être ouvert et non défini à l’avance par les scientifiques seuls[1].

Contact : Christophe Morvan 06 32 67 06 71 ou 01 43 14 73 65

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CRISPR-Cas9 à l’Académie des Sciences : l’éthique au temps du carnaval

(développement)

Février est traditionnellement le mois du carnaval. Une période où les normes sont renversées, où il est permis de traiter de façon légère de choses graves, et où l’on est invité à se vêtir des atours de ce qui nous effraie pour mieux l’exorciser. Mardi 21 février, c’est donc carnaval à l’Académie des Sciences. Sans doute apeurée à l’idée d’affronter le fond des questionnements soulevés par la dernière-née des méthodes de génie génétique, l’Académie des Sciences a préféré organiser une mascarade de débat éthique. Elle mettra en scène une discussion sur les questions éthiques soulevées par cette technologie – préalable, nous dit-on, à une prise de position – tout en laissant volontairement sous le tapis les aspects primordiaux.

Cette dernière trouvaille de la biotechnologie se nomme CRISPR-Cas9, et il a été difficile de passer à côté tant elle a été présente dans les médias ces derniers mois. Ce qu’on surnomme le « couteau-suisse moléculaire » n’a eu de cesse d’être décrit comme la dernière révolution du génie génétique, permettant de modifier plus facilement, plus précisément, plus rapidement et pour un moindre coût le patrimoine génétique de l’ensemble du vivant, des micro-organismes à l’espèce humaine en passant par les champignons, les plantes et les animaux.

D’emblée ses promoteurs ont présenté CRISPR-Cas9 comme un « miracle » technologique. Les incertitudes et les effets indésirables potentiellement graves ont été éludés tandis que les promesses ont été gonflées. Cette technologie allait ainsi résoudre tous nos problèmes : faim dans le monde, changement climatique et adaptation des semences, guérison des maladies génétiques et des cancers… Des miracles déjà promis depuis plus de vingt ans avec les organismes génétiquement modifiés (OGM) et thérapies géniques traditionnels.

Certes, les implications éthiques d’un accès élargi et facilité à la modification génétique sont fréquemment évoquées lors des présentations de CRISPR-Cas9 dans les médias grand public. Mais elles le sont presque toujours a minima, se limitant bien souvent à mentionner les possibilités de dérapages ainsi offertes à quelque docteur Folamour, ou à la question de la modification génétique de l’humain. Les questions plus vastes et plus fondamentales sont généralement évacuées. On peut citer : le modèle économique du développement de ces technologies qui repose largement sur le brevetage du vivant, l’usage massif de promesses miraculeuses pour en faire la promotion, et ainsi attirer des financements et gagner l’approbation du public, ou encore l’identité des bénéficiaires réels de ses retombées.

Pour l’Académie des Sciences, les questions éthiques sur CRISPR-Cas9 ne se discutent que dans un entre-soi composé d’experts ayant une vision obsolète de la génétique et apparemment acquis à cette technologie. Il ne faudra pas s’attendre à ce que cette institution aille au-delà de réflexions partielles et convenues déjà lues ici ou là. Un regard aux résumés des présentations suffit à se faire une idée.

Georges Pelletier, agronome à l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), parlera de la modification du génome des plantes cultivées. Selon lui, CRISPR-Cas9 permettra de diversifier les plantes cultivables, et il estime qu’

« il serait éthiquement contestable d’en exclure de fait l’usage [de l’édition génétique] par une réglementation inadaptée, voire par la diabolisation de ces produits, si l’on veut un partage équitable des productions agricoles alors que, face aux évolutions démographique et climatique, les conditions futures de l’agriculture sont hautement incertaines ».

Voilà un débat éthique entendu ! Ainsi donc, les problèmes alimentaires seront résolus par la technologie et elle seule. Réguler ses usages ne fera que retarder l’innovation grâce à laquelle, demain, chacun mangera à sa faim. C’est faire bien peu de cas des facteurs politiques et socio-économiques à l’origine des problèmes de malnutrition à l’ère du gaspillage alimentaire… Quant à la notion de partage équitable des productions agricoles, on a vu ce qu’il en était avec l’exemple des OGM traditionnels qui alimentent en priorité l’élevage industriel et les réservoirs des automobiles, et aggravent l’abandon des cultures vivrières.

La manipulation génétique des animaux d’élevage sera ensuite traitée par Jean-Paul Renard, lui aussi agronome à l’INRA. Son exposé présentera « plusieurs exemples où le recours prudent à CRISPR-Cas9 peut permettre de mieux respecter l’animal, son bien-être et son environnement ». Si la question du bien-être animal semble une réflexion authentique de la part de Jean-Paul Renard, la formulation ci-dessus interroge, c’est le moins qu’on puisse dire. Faut-il comprendre que pour assurer le bien-être des animaux dans les systèmes d’élevage intensif, il faudrait non pas repenser les conditions d’élevage, mais plutôt modifier génétiquement les animaux afin de mieux les adapter à celles-ci ? En effet, CRISPR-Cas9 a déjà été utilisée aux États-Unis pour concevoir des vaches sans cornes, moins susceptibles de se blesser en évoluant dans l’espace ignoblement restreint des élevages intensifs. La modification génétique des animaux domestiqués par un coup de « couteau suisse moléculaire » serait donc le moyen de rendre les méthodes d’élevage intensif compatibles avec le respect de la condition animale…

Enfin, Pierre Corvol, médecin et biologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), discutera des enjeux de la modification du génome humain. Son intervention se concentrera semble-t-il sur la manipulation du génome humain dans le but de modifier sa descendance, car, nous explique-t-il, « la thérapie génique somatique par cette technologie […] ne soulève pas a priori d’objection éthique ». Cette affirmation est surprenante pour au moins deux raisons. Voilà plus de trente ans que de gros investissements ont conduit à la multiplication de travaux dans le domaine de la thérapie génique, sans que les « miracles » promis ne se réalisent concrètement. Ces difficultés sont à relier aux limites du modèle réductionniste de fonctionnement du vivant, entièrement expliqué par la séquence d’ADN (acide désoxyribonucléique), sur lequel repose la thérapie génique. Ce modèle ne sera pas modifié par l’utilisation de CRISPR-Cas9.

Or les moyens financiers disponibles pour améliorer la santé ne sont pas infinis. Se demander, au vu des échecs de la thérapie génique, s’il est pertinent de poursuive dans cette voie ou réorienter les financements vers d’autres façons d’améliorer la prévention et la prise en charge des malades (le développement d’un environnement sain, la lutte contre les inégalités sociales de santé, la recherche de nouveaux antibiotiques…) est une question éminemment éthique. Par ailleurs, si elle devait finir par fonctionner, la thérapie génique somatique posera des questions éthiques importantes quant à ses usages. A quelles pathologies pourra-t-elle être appliquée ? A qui profitera un éventuel progrès thérapeutique basé sur des technologies de pointe ? Financièrement parlant, aux détenteurs de brevets. Mais d’un point de vue sanitaire ? Aux seules personnes capables de s’en offrir le recours ?

Au vu du programme de ce colloque, il faut néanmoins reconnaître à l’Académie des Sciences un grand mérite : celui de démontrer une nouvelle fois qu’un débat éthique sur une technologie d’une telle importance n’a aucune pertinence et aucune légitimité s’il n’associe pas les citoyens.

Le génome humain, et plus largement le vivant, ne sont pas la propriété des scientifiques (et encore moins celle des industriels). La société dans son ensemble est concernée par leurs éventuelles modifications. Leur « bricolage », car ce que permet CRISPR-Cas9 relève de cet ordre là, doit donc absolument être débattu en société, et non entre seuls experts, et être abordé dans tous ses aspects, en particulier ceux que l’Académie des Sciences oublie : éthiques, environnementaux, sociétaux et liés à l’évolution des espèces et à la biodiversité. Le précédent du débat sur les OGM traditionnels a d’ailleurs bien montré que, lorsqu’il s’agit d’anticiper les risques associés à une technologie, les scientifiques en ont une vision restrictive, qui laisse bien souvent de côté des pans entiers d’enjeux sociétaux, écologiques ou économiques[2]

En confinant ainsi le débat sur CRISPR-Cas9, l’Académie des Sciences et ses membres montrent un bien piètre sens de la responsabilité, indubitablement en deçà de celui que la société est en droit d’exiger d’eux[3]. Après carnaval viennent mardi gras, puis carême qui dure plusieurs semaines. Pour ce qui concerne un débat éthique et citoyen sur CRISPR-Cas9 sous la coupole, nous risquons de rester bien plus longtemps sur notre faim. »

[1] Une proposition de Sciences Citoyennes : http://sciencescitoyennes.org/comprendre-les-conventions-de-citoyens-cdc/

[2] http://sciencescitoyennes.org/les-nouvelles-technologies-de-modification-du-genome-a-lepreuve-de-la-democratie/

[3] http://sciencescitoyennes.org/manifeste-pour-une-recherche-scientifique-responsable/

**

CRISPR Cas9 : la dernière folie de la génétique
(…) CRISPR Cas9, c’est l’association d’un brin d’ARN (de l’ADN à une seule hélice) qui sert de guide à une enzyme (CAS9) permettant de couper, remplacer, inactiver, modifier le gène que l’on cherche à atteindre.
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(…)

Jean-Claude Ameisen, l’ancien président du Comité consultatif national d’éthique, souligne un autre problème :

« Contrairement aux OGM actuels, on ne peut pas déceler la trace de la modification génétique avec ces nouvelles méthodes. Et donc comment rend-on identifiable ce qui n’est pas traçable ? » (…)

Pour l’instant, la plupart des expériences menées sont des thérapies géniques classiques, telles qu’on les pratique depuis de nombreuses années. Mais ce qui inquiète, c’est l’éventuelle modification abusive du génome humain. Alain Fischer, de l’institut des maladies génétiques Imagine, explique :

« Ce qui serait problématique, ce serait de modifier le patrimoine génétique germinal, qui est transmis à la descendance. Ce serait d’une certaine façon toucher au patrimoine génétique de l’humanité ».

Pour pouvoir rendre une modification transmissible, il faut intervenir aux premiers stades du développement de la vie. En avril 2015, une équipe chinoise a créé la polémique en modifiant sur des embryons un gène responsable d’une maladie du sang. Aucun n’a survécu, les embryons étant non-viables. Catherine Bourgain, généticienne et présidente de l’association Sciences citoyennes s’interroge :

« Peut-on autoriser la recherche sur l’embryon ? C’est entrer dans une mécanique qu’on a beaucoup de mal à contrôler une fois qu’elle est lancée.« 

En décembre dernier, plus de 150 ONG internationales ont demandé un moratoire sur le forçage génétique.

Jennifer Doudna exprime également ses craintes. Dans le magazine scientifique Nature, elle explique qu’un jeune doctorant a créé un virus qui, une fois respiré par des souris, provoque des mutations dans leurs poumons. Jennifer Doudna souligne qu’une minuscule erreur de conception aurait pu permettre que ce virus fonctionne aussi chez l’homme (…)

Mais cette technologie est en réalité déjà sortie des laboratoires. Pour 150 dollars, on peut acheter sur internet des « kits CRISPR » et modifier chez soi une bactérie grâce un mode d’emploi fourni. Les clients sont des bricoleurs de génome qui se nomment « biohackers ». Ce mouvement, né aux Etats-Unis où il compte des milliers d’adeptes, défend l’idée que l’on peut tous faire de la biologie dans son garage ou dans des « laboratoires participatifs ». Quitterie Largeteau, spécialiste française du biohacking explique :

« Ces kits sont conçus pour être utilisés sans formation, comme une recette de cuisine. Mais ils ne permettent de faire que ce qui est prévu. Il y a un code d’éthique chez les biohackers. Personne ne travaille sur l’homme ou des organismes pathogènes ».

Et si cette technologie tombait dans des mains moins bien intentionnées ? Quelques mois après le rapport de James Clapper, les conseillers scientifiques de Barack Obama envisagent ouvertement l’utilisation de CRISPR Cas9 pour créer un virus d’un genre nouveau, mortel pour l’homme:

« Surtout, insistent-ils, la menace biologique diffère des menaces nucléaires ou chimiques […] parce qu’elle requiert des ressources moins importantes et des équipements plus petits, comparables aux laboratoires ordinaires ».

Olivier Lepick, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique, confirme :

« On voit mal comment on pourrait dénier à une organisation terroriste suffisamment puissante l’accès à ces techniques ».

Dans son rapport, James Clapper fait aussi état des menaces qui pèsent sur l’économie. Sous couvert d’anonymat, un directeur de recherche français évoque un scénario envisagé :

« Imaginez que quelqu’un modifie une pomme de terre pour la rendre toxique. Vous en introduisez quelques exemplaires sur le marché. Vous avez quelques victimes. En un mois, ce secteur économique s’effondre. »

En décembre 2015, la France met en place un Conseil national consultatif pour la biosécurité constitué d’experts. Un de ses membres confirme que CRISPR Cas9 fait partie de leurs préoccupations. Les services de renseignements surveillent ceux qui s’initieraient de manière trop poussées aux techniques de manipulation de génome. Le même directeur de recherche explique :

« La DGSI est très attentive aux doctorants que nous prenons dans nos labos. Une fois, on m’en a refusé un. En général, on ne vous dit pas pourquoi ».

Olivier Lepick estime qu’on « va aller vers un renforcement de ce type de surveillance. Le problème de ces technologies, c’est que leur détournement peut être envisagé de manière beaucoup plus évidente qu’il y a seulement une dizaine d’années ».

Au rythme où vont les nouvelles technologies, il y a donc de quoi s’inquiéter sur l’évolution des utilisations de CRISPR Cas9. »

Une réflexion sur “CRISPR-Cas9 à l’Académie des Sciences: l’éthique au temps du carnaval. Communiqué de Sciences Citoyennes et commentaires sur l’impact des technosciences sur l’humain”

  1. [Note de Pharmacritique: Lorsque vous postez un lien, merci de donner quelques lignes d’explication.
    En l’occurrence, il s’agit d’une vidéo postée par le Forum européen de bioéthique: un débat à la gloire de CRISPR-Cas 9, commençant par quelques aspects historiques du génie génétique, pour mieux le légitimer et en banaliser les conséquences. On le présente comme inévitable dans une sorte de progrès, conçu comme linéaire et continu, de la science et de ses applications technoscientiques, donc des avatars industriels dont on nous laisse entendre qu’ils seraient indissociables de la science elle-même. Les intervenants en viennent progressivement aux applications de la technologie consistant à copier/coller le génome, notamment le CRISPR-Cas 9. Les scientifiques qui interviennent, à la tribune comme en tant que « grands témoins », vantent les mérites de ce qui leur paraît être une technique très simple, applicables dans de très nombreux domaines (agriculture, médecine, etc.), et dont il serait inconscient de s’en priver. Dans ce que j’ai vu – mais j’avoue n’avoir pas la patience d’aller jusqu’au bout – il n’y a aucune trace d’interrogation critique. Tout cela confirme mes critiques de la biotechnologie en tant que l’un des réceptacles d’une véritable religiosité, travestissement nécessaire selon les méthodes consacrées utilisées par le système néolibéral pour mettre en avant des soi-disant « acquis » pour l’humain et occulter les intérêts industriels dans ce cas comme dans tous les autres… En plus de cette religion séculière qu’est le « progrès » scientifique – comme s’il constituait toujours un progrès pour l’être humain et la planète -, il y a aussi la dimension « bio » qui renvoie à la nature, elle-même sacralisée et idéologisée par la marchandisation totale qu’entraîne le néolibéralisme. « Bio », « nature », cela permet de vendre de tout. Tous les marchands utilisent les mêmes ficelles, la différence n’est que d’échelle. Mes critiques visent donc tout autant ce que j’appelle le complexe naturo-industriel. Des échanges sur facebook avec des antivaccin et des vendeurs de « nature » – ne supportant aucune critique et qui n’ont pas été en mesure de me donner des explications simples sur ce qu’ils défendent – m’ont apporté de nouvelles confirmations du fait que les stratégies idéologiques et de communications d’influence sont identiques pour couvrir les intérêts marchands. Evidemment, je me suis fait attaquer, comme d’habitude. Parce que les vérités révélées ne supportent aucune critique et aucune question. On doit accepter que des gens cachés derrière des pseudonymes et s’appelant naturopathes nous délivrent la vérité et soient garants de l’intérêt des moyens thérapeutiques qu’ils vendent et de leur efficacité. Outre les questions que j’avais, j’étais allée sur internet pour avoir des détails sur les motivations et les réactions de ceux qui ont organisé les débats autour de Andrew Wakefield et de son documentaire Vaxxed. Ils ont partagé une pétition demandant l’attribution du prix Nobel à Andrew Wakefield… Voilà, je voulais souligner l’autre versant de la même marchandisation, renvoyer à nouveau dos à dos tout ce beau monde. Elena Pasca]

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