En raison des dramatiques événements de Toulouse (et Montauban), la conférence de presse est reportée. Je vous informerai le moment venu.
J’ai été sollicitée par trois femmes, Eva JOLY, Michèle RIVASI et Aline ARCHIMBAUD, dont j’admire l’intégrité et l’engagement, pour apporter une dimension d’ « expertise citoyenne » et de voix de la société civile lors d’une conférence de presse le mercredi 21 mars (détails à la fin) sur les moyens de « moraliser la politique du médicament », c’est-à-dire dans un domaine où la société civile et le débat citoyen sont marginalisés, voire exclus.
Habituellement, les professionnels de santé considèrent la santé – et surtout le médicament – comme une chasse gardée, réservée aux « techniciens » et aux « industries » de la santé. (Le terme même, appliqué à la santé, devrait choquer et interpeller…) Et les hommes politiques basent leurs décisions sur des expertises exclusivement techniciennes… Il faut ajouter à cela les agences de communication et les media. Ceux-ci n’ont pas fait leur travail d’investigation sur les médicaments et les abus des industriels et des leaders d’opinion (professionnels ou associatifs), mais ont toujours excellé dans la présentation des « découvertes » scientifiques et médicales, divinisées comme si toute nouveauté technoscientifique était un progrès thérapeutique et un progrès humain. Maintenant, ces mêmes media chassent le scoop, faisant la une dès qu’on parle d’un effet secondaire, comme si c’était une découverte qu’un médicament – le tramadol ou un autre – était à prescrire avec prudence, par exemple… Ces mêmes media n’ont pas changé dans leur rôle de courroie de transmission au service des intérêts productivistes des lobbies qui les possèdent en majorité…
Prenez les hommes politiques avec leurs conflits d’intérêts (sur tous ces sujets, voir les articles à partir de la liste alphabétique à gauche), les chercheurs et médecins avec les leurs, les media oscillant entre ignorance et vulgarisation toujours irréfléchies, et placez-les dans un système structurellement construit de façon à profiter aux industriels, où l’industrie pharmaceutique exerce un ghost management sans faille (voir cet article et celui-ci), c’est-à-dire une gestion invisible, mais omniprésente de tous les aspects et à tous les niveaux du système de recherche, de formation et d’information médicales – et vous aurez les principaux acteurs du microcosme de marionnettes de l’industrie qui est responsable du marasme actuel des choses. C’est un état dont on commence à peine à deviner l’étendue (des dégâts), que j’essaie d’esquisser et de dénoncer depuis que Pharmacritique existe.
Cette sollicitation d’une expertise citoyenne de l’extérieur d’Europe Ecologie Les Verts (EELV), sans instrumentalisation politique ou autre, car totalement désintéressée, rompt avec les « traditions » du petit cercle exclusif des décideurs politico-sanitaires, avec leurs communicants et leurs conseillers plus ou moins intéressés, qui se fréquentent, fomentent des plans de carrière et forment des chapelles. C’est pour cela que j’ai accepté, alors que je ne fais pas partie d’Europe Ecologie les Verts (et d’aucun parti politique, d’ailleurs).
Au fil des ans et de mes participations régulières à des débats et colloques – cinq ces mois-ci, que je n’ai pas eu le temps d’annoncer -, et sans parler des discussions sous une autre forme et des sollicitations auxquelles je n’ai pas pu donner suite, j’ai remarqué toutefois que les écologistes sont plus ouverts au débat. Je pense surtout à la dimension de démocratie participative, avec le débat citoyen, avec cette ouverture à l’« expertise citoyenne » et à une « science citoyenne » qui irritent les professionnels, prompts à les déclarer illégitimes…
Pourtant, je ne cesse de rappeler, dans une terminologie qui paraît surannée, qu’en République, c’est le débat citoyen dans l’espace public politique qui permet, par abstraction successives des particularismes (de type appartenance à un parti politique, etc.) de dégager des intérêts universalisables, donc des intérêts qui dépassent tout corporatisme. Aucun corps intermédiaire – de type « ordre » (des médecins, etc.) ou corporation… – ne doit confisquer ce débat et la décision, ni ne peut prétendre représenter les citoyens. Je l’ai dit et redit dans ces pages.
Certes, on ne fera pas les prescriptions à la place des médecins, ni les recherches à la place des chercheurs. L’expertise citoyenne, ce n’est pas cela, n’en déplaise à ceux qui sèment la confusion pour la discréditer et tenter de s’en débarrasser pour garder l’exclusivité des cercles « sachants » traditionnels, sans droit de regard des citoyens, réduits au rôle de cobayes pour les produits des éprouvettes des divers industriels, fabriqués selon les cahier de charges de ces derniers: brevets et profits immédiats, avec l’impératif de soigner la santé financière des multinationales.
Ce type de discours rejetant l’expertise citoyenne revient régulièrement, et je l’ai entendu, avec des arguments qui paraissent solides à première vue, aussi dans l’exposé de Denis ZMIROU-NAVIER, professeur de santé publique à la Haute Ecole de Santé publique de Nancy. Nous étions les deux seuls Français participant au colloque sur les moyens de renforcer l’indépendance de l’expertise en santé publique, organisé par les députés écologistes belges Thérèse SNOY et Jacques MOREL le 20 janvier au Parlement fédéral belge (voir le programme détaillé). J’y reviendrai en détail, car il est révélateur de voir comment son raisonnement arrive, de proche en proche, à banaliser les conflits d’intérêts, définis de façon très large, ce qui lui permet de dire que nous aurions tous des liens, des dépendances, des intérêts, des conflits d’intérêts, y compris par la simple adhésion à une association.
On voit que le rejet de l’expertise citoyenne a des raisons autres que celles qui paraissent évidentes, ainsi que des conséquences. Lorsqu’on assimile et qu’on met sur le même niveau l’engagement bénévole et désintéressé, sans conflit d’intérêts, d’un citoyen au sein d’une association indépendante et le « lien » d’un expert payé par des industriels pour faire passer leurs intérêts avant ceux de la santé publique, cela revient à neutraliser le danger et les conséquences des conflits d’intérêts, à les banaliser et les légitimer, à assimiler lobbying et plaidoyer citoyen…
J’ai répondu à cela, non pas par des discours théoriques, mais par des faits et des arguments chiffrés. Je pense avoir montré qu’un citoyen de base peut parler médicament. Une fois dans mon exposé de la matinée, portant sur des lois étrangères – surtout aux Etats-Unis, mais aussi en Grande-Bretagne et en Allemagne – permettant de réprimer et de dissuader les abus des industriels en matière de corruption, de conflits d’intérêts et de leurs conséquences, en matière de produits défectueux, mais aussi à d’autres niveaux tels que l’accès à l’information, le recours des victimes, etc. L’exposé portait aussi sur certains dispositifs juridiques et institutionnels pouvant servir d’exemple pour améliorer plusieurs niveaux dans la chaîne du médicament. Puis en répondant à des questions, mais surtout dans mon intervention de l’après-midi, lorsque j’ai interpellé de façon argumentée Leo NEELS, dirigeant du syndicat patronal de l’industrie pharmaceutique belge (Pharma.be), l’homologue de Christian LAJOUX, patron du LEEM français (Les Entreprises du médicament) et PDG de Sanofi France. Je raconterai les détails, ils sont édifiants.
L’expertise citoyenne sur les médicaments ne consiste pas à vouloir en prescrire, ni mélanger les éprouvettes et se substituer aux experts, comme dans les cauchemars des scientifiques et des médecins grevés de conflits d’intérêts et craignant qu’on vienne leur demander des comptes, ou même dans les cauchemars de ceux qui n’ont pas de conflits d’intérêts, mais ont besoin d’invariants, d’un ordre bien défini, d’une hiérarchie et de cases que le « forum hybride citoyen » viendrait bouleverser comme l’entropie en thermodynamique…
Le citoyen de base peut – et doit – débattre et décider s’agissant du rôle du médicament et des industries de santé, s’agissant de tout ce qui biaise la chaîne du médicament (discours marketing sur le médicament, entre autres, qui pousse à la surmédicalisation et à la surconsommation), s’agissant de tout ce qui induit des conflits d’intérêts, des biais et des influences sur le comportement des prescripteurs et des patients…
Les sujets ne manquent pas, et nous ne devons pas rester dans le rôle de cobayes, subissant ce que d’autres ont décidé de nous faire consommer. Nous pouvons agir déjà par un bulletin de vote, par le soutien aux sources d’information indépendantes, par une autoréflexion et en développant notre esprit critique – ce qui nous sera utile au-delà de la préservation de notre santé face à toute cette « prévention » médicamenteuse et à une médecine dévoyée de son rôle et devenue de plus en plus, avec notre complicité tacite :
– prescriptive : au sens prétendument éthique, comme lorsqu’elle normalise les être humains, uniformise et standardise, extirpe la différence dans les comportements (la psychodiversité…), devient un moyen de contrôle social et un gardien de l’ordre, en utilisant divers moyens qui vont des camisoles chimiques aux préceptes comportementaux déplacés ;
– préventive : en particulier par la prévention réduite au médicament (donc dans l’intérêt des industriels), ainsi qu’à des dépistages réguliers dont bon nombre n’ont pas lieu d’être (cancer du sein, cancer de la prostate…) et font plus de mal que de bien. La médecine devrait soigner lorsqu’il y a maladie, pas imposer la consommation de médicaments au cas où, sait-on jamais, il y aurait maladie à l’avenir… Et la prévention devrait être limité au seul domaine où elle est efficace : éducation, information sur les comportements à risque, sur les modes de vie et les modifications à apporter en cas de problème, sur les expositions professionnelles ou autres à des produits dangereux, etc. Mais ici, on touche aussi aux inégalités socio-économiques en santé, car la vraie prévention devrait passer par là : l’amélioration des conditions de vie, d’habitat, d’alimentation, de travail… Et même l’accès égalitaire aux soins ne réglera pas ces problèmes-là. Et il est plus facile – et en plus rentable pour les industriels et moins coûteux pour l’Etat, mais seulement à première vue – de prescrire des médicaments que de résoudre les problèmes induits par la pauvreté…
– prédictive (au moyen du « tout génétique », par exemple, comme au moyen de divers marqueurs pour dépister des maladies de plus en plus tôt, même s’il n’y a pas de thérapeutique. Comme dans la maladie d’Alzheimer, où savoir à 20 ans que l’on souffrira (peut-être) plus tard de cette maladie ne peut qu’induire une énorme souffrance psychologique, voire détruire une vie… Bonne élève du marketing pharmaceutique et intéressée à l’être, la médecine a développé beaucoup de moyens de médicaliser des bien-portants et pousser à la consommation de médicaments aussi en jouant à Madame Soleil (puisque les moyens utilisés sont tout aussi scientifiquement fondés que le tarot de cette dernière, qui avait de plus l’avantage d’être plus poétique…).
Et lorsque ni la génétique ni les marqueurs ne permettent de transformer une personne en bonne santé en malade consommateur de médicaments, il y a toujours le disease mongering (façonnage de maladies, invention et redéfinition de maladies, voir les articles) : les médecins en inventent pour tous les goûts, pour tous les modes de vie (lifestyle drugs…, médicaments et actes médicaux de confort…), pour toutes les étapes de la vie (ménopause, baisse de la fonction érectile, vieillissement en général…), pour toutes les demandes sociales (dresser les enfants en les déclarant hyperactifs ou les adolescents en « trouble de désobéissance », camoufler le mal-être socio-économique en le psychologisant en dépression ou d’autres « troubles » mentaux. Le nombre de ces derniers est passé de 106 en 1952, lors de la première édition du DSM, à plus de 350 dans la quatrième édition du DSM (Manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux)…
La description de David SACKETT de la médecine préventive s’applique parfaitement aussi à son dévoiement en médecine prédictive et prescriptive. Son article paru en 2002 dans le CMAJ (Canadian Medical Association Journal) sous le titre The Arrogance or Preventive Medicine est une lecture fort instructive pour comprendre comment le système pousse structurellement la médecine vers des rôles qui ne sont pas les siens – et que nous ne devons pas accepter. Nous ne devons pas accepter son arrogance, son agir présomptueux et impérieux, les préceptes qu’elle n’a aucune légitimité à formuler, son incapacité à reconnaître ses limites et à accepter la critique, son rôle de rouage dans la machinerie du profit industriel, avec les médecins comme exécutants et victimes consentantes.
Or notre passivité rend possible la reproduction de ce système, avec des adaptations minimes et des mesurettes cosmétiques lorsque cela déborde : ainsi, la loi de Xavier BERTRAND sur le sécurité de la chaîne du médicament apporte quelques mesures dues de longue date, mais sans rien changer à la nature structurellement pharma-amicale de notre système de santé et de soins. Une excellente communication autour de cette loi l’a fait paraître révolutionnaire, alors que seules les apparences changent, comme je l’ai dit dans un communiqué détaillé de la Fondation Sciences Citoyennes, et dans un autre article détaillant les mesures et les sanctions prévues, ainsi que la position ambiguë l’Ordre des médecins. Paul JANIAUD a lui aussi souligné d’autres « oublis inquiétants » dans la loi.
Nul besoin d’être professionnel de santé pour parler de cela. Et le citoyen lambda a même l’avantage de ne pas vivre de ce système, de ne pas y contribuer, de n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Elena Pasca
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Voici l’annonce de la conférence de presse, qui aura lieu le mercredi 21 mars de 15 h à 16 h à cette adresse : IREMMO, 5, rue Basse des Carmes, 75005 Paris
SANTE : IL FAUT MORALISER LA POLITIQUE DU MEDICAMENT
En présence de :
- Eva JOLY, candidate Europe Ecologie Les Verts à l’élection présidentielle
- Michèle RIVASI, députée européenne EELV
- Aline ARCHIMBAUD, sénatrice EELV de la Seine-Saint-Denis
- Elena PASCA, philosophe, créatrice du blog Pharmacritique, membre du CA de Sciences Citoyennes
« Les coûts en santé ont explosé ces dernières années. Aujourd’hui, entre 25 et 35% de la population renonce à se soigner, faute de moyens. En cause : dépassement d’honoraires, franchises, tarifications à l’acte… Mais également médicaments de plus en plus chers. Les français dépensent en effet entre 4 et 8 fois plus qu’il y a 25 ans pour leurs médicaments, alors que ces derniers ne sont pas plus efficaces. En effet, le progrès thérapeutique stagne depuis une quinzaine d’années. En l’absence d’une analyse coût/efficacité et d’une autorisation de mise sur le marché exigeant la supériorité des nouveaux médicaments, l’on peut compter sur les doigts d’une main les médicaments vraiment novateurs, parmi les centaines autorisés chaque année en France. Et pourtant, les profits pharmaceutiques augmentent, et les restes à charge des patients, aussi…
Comment en sommes-nous arrivés là? Quel rôle jouent aujourd’hui les industries pharmaceutiques, leur marketing, leur lobbying et leurs stratégies? Pourquoi les citoyens sont-ils les premières victimes de cette politique opaque? Comment réaliser des économies dans ce secteur? En quoi le programme de la candidate écologiste pourra répondre à ces questions?
Réponses le 21 mars prochain. »
Eléna, êtes-vous là……nous sommes le 27 mars et il n’y a pas de réponses ??
J’espère que nous aurons un compte-rendu de cette conférence, et pourquoi pas une ou plusieurs vidéos.
Merci Eléna, et merci aussi à ces 3 femmes de vous avoir choisie.
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Le 30 03 2012 l’ émission Science Publique ( France Culture ) posait la question : « Les « marchands de doute » nous trompent-ils délibérément ? » http://www.franceculture.fr/emission-science-publique-les-marchands-de-doute-nous-trompent-ils-deliberement-2012-03-30
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D’après cette lettre d’infos , il semble que le corps médical cité en référence soit la nouvelle « mafia » ! pourquoi ne pas chercher a les abattres ? Cela ferait le plus grand bien au pauvres malades que nous sommes ……dans tous les sens du terme …
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