L’Institut de Veille sanitaire (InVS) a publié le 21 février 2012 un numéro thématique de son Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire (BEH) intitulé « Enjeux environnementaux pour la fertilité humaine » (BEH N° 7-8-9/2012). Le texte vaut le détour et ses perspectives ne se limitent pas aux divers aspects impliqués dans la baisse de la fertilité.
Comme le dit Alfred Spira dans son éditorial, les catastrophes de ces dernières années accentuent l’interrogation sur l’impact néfaste des « progrès scientifiques, technologiques et industriels » sur la santé humaine et le devenir de la planète. J’ai abordé ces questions dans l’article détaillé qui part du livre de Jacques Testart, Catherine Bourgain et Agnès Sinaï « Labo-Planète. Comment 2030 se prépare sans les citoyens » (Mille et une nuits 2011), dans lequel j’évoque les aspects théoriques et donne des références. Dans ce billet, je me limiterai aux questions traitées dans cette analyse de l’InVS, qui illustrent par ailleurs parfaitement la validité du raisonnement théorique…
Outre les études mettant en évidence « une augmentation des allergies chez les enfants, une augmentation de l’incidence du diabète de type 2 et une augmentation en 25 ans du nombre de nouveaux cas de certains cancers tant chez l’homme que chez la femme, une augmentation de l’obésité et des maladies chroniques », se pose la question de l’impact sur la capacité de l’humanité à se reproduire. Cette interrogation, prégnante en particulier depuis la parution en 1962 du livre de Rachel Carson, « Silent spring » (« Printemps silencieux »), suppose un « débat sur des choix importants de développement, industriels, de modes de vie et de modèles économiques ». Et même si les législateurs et autres décideurs politico-sanitaires sont en retard sur le débat de société, qui commence peu à peu, l’on a quand même vu un certain nombre de mesures concernant les perturbateurs endocriniens, dont deux lois votées en 2011. Espérons que ce numéro du BEH contribue à une prise de conscience, en particulier de la part des professionnels de santé, qui en sont les destinataires et qui ignorent largement la « santé environnementale »…
Les perturbateurs endocriniens, principales substances exogènes mises en cause, sont largement abordés dans un chapitre à part, « Mécanismes et enjeux de la perturbation endocrinienne », dont je conseille vivement la lecture, parce qu’il permet de comprendre la spécificité du mode d’action des perturbateurs endocriniens et la multiplicité de leurs effets toxiques, qui en fait un problème de santé publique face auquel les approches habituelles en toxicologie perdent leur validité.
Cette analyse pose aussi la question, restée longtemps taboue à cause des intérêts industriels en jeu et de l’influence des lobbies industriels sur les décideurs politiques, de la relation entre l’exposition professionnelle à divers toxiques environnementaux et les anomalies de la fertilité et les affections de l’appareil reproducteur. Le numéro contient par ailleurs une revue de la littérature scientifique récente à ce sujet aussi, sans être toutefois une méta-analyse (qualificatif utilisé par le Journal de l’Environnement), faute de méthodologie adéquate et de la prise en compte de toutes les études disponibles.
La coordination scientifique a été assurée par Alfred Spira, Université Paris-Sud 11 ; Institut de recherche en santé publique (IReSP), et pour le comité de rédaction : Nathalie Jourdan Da Silva et Hélène Therre, Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice.
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L’une des difficultés majeures lorsqu’on aborde la santé environnementale et les divers toxiques, c’est d’essayer de faire la part des choses dans une causalité qui ne saurait être que multiple (causes génétiques, causes environnementales, vieillissement de la population…) et garder aussi une approche rationnelle et raisonnée, en évitant les explications monocausales et unilatérales.
Comme le dit Alfred Spira dans l’éditorial, inspiré du livre de B. Jégou, P. Jouannet et A. Spira, « La fertilité est-elle en danger ? » (La Découverte, 2009), il faut s’interroger pour savoir « quelle est la part qui revient aux évolutions démographiques (vieillissement de la population) et des techniques médicales de diagnostic et de traitement (dépistage précoce, prise en charge) et celle qui doit être attribuée aux modifications de l’environnement. »
Et face à cet enjeu majeur, qui interroge nos choix de modes de vie – ou plutôt notre passivité face aux choix technologiques qui sont faits en notre nom, nous mettant devant le fait accompli -, il est plus que jamais impératif de dépasser les limites de l’hyperspécialisation, de faire sortir les chercheurs de leur splendide isolation et organiser un véritable débat citoyen qui mènerait à une prise de conscience et à une décision citoyenne sur toutes ces questions, selon des modalités de démocratie participative qui ont été théorisées et pourraient être appliquées dès lors qu’une vraie volonté politique le permettrait.
Il faut d’abord sortir des frontières de spécialité, déjà entre sciences sociales et sciences dites « exactes ».
Il faut enfin que les professionnels de santé s’ouvrent à ces questions et ne les regardent plus comme étant l’émanation de quelques activistes écologistes souhaitant le retour à la bougie… Or les médecins n’ont aucune formation là-dessus, ne s’intéressent pas à la santé environnementale et, trop souvent, balaient d’un signe de main agacé les interrogations de leurs patients. La blogosphère médicale reflète cela très bien, d’ailleurs, certains médecins disant leur agacement lorsque des patients leur posent des questions sur des perturbateurs endocriniens, des parabènes contenus dans des médicaments, ou en général sur les toxiques environnementaux et sur la marche à suivre. Il est certain que cela prend du temps d’expliquer tout ce qu’il faudrait éviter, comment il faudrait changer telle habitude de consommation, etc. Mais les médecins devraient au moins mettre en garde les femmes enceintes, par exemple, puisque le foetus est particulièrement vulnérable aux toxiques environnementaux.
Il faut aussi faire travailler ensemble tous ceux qui restent séparés sur le terrain, d’abord à cause de l’organisation de l’enseignement universitaire et de la recherche, puis de son financement, qui se fait trop souvent selon des programmes finalisés financés par des industriels dont le cahier des charges est très précis : mettre au plus vite sur le marché des produits immédiatement brevetables et rentables, que les services marketing feront paraître comme utiles, voire indispensables et sans danger. Car c’est le marketing qui porte le seul discours « théorique » que l’on retrouve du côté des industriels, pour justifier tout ce que les exécutants – les scientifiques enchaînés dans des partenariats public/privé les privant de toute autonomie – auront sorti de leurs éprouvettes.
Parlant de la participation et de la décision citoyenne – sujets abordés largement dans d’autres billets -, je rappelle simplement que le jugement moral et l’encadrement éthique des applications technologiques, que l’on assimile toujours à des « progrès », portant ainsi un jugement de valeur positif d’emblée – ne peuvent pas être abandonnés à une oligarchie politico-industrielle. Ce n’est pas aux industriels avec leurs codes de déontologie volontaire (sic) et de bonne conduite autoimposée et autorégulée de décider de notre mode de vie, de notre modèle de société, de ce qui est ou non indispensable pour notre vie. Je rappelais récemment comment ils nous font confondre la valeur d’échange de tel produit avec sa valeur d’usage, pour mieux nous vendre des produits inutiles, des images créées par leurs départements de marketing… Et, soit dit en passant, cela vaut tout autant pour l’empire de produits homéopathiques Boiron et d’autres ou pour l’empire de produits naturels et autres compléments alimentaires du Dr Mathias Rath.
Le jugement moral n’est pas non plus l’apanage de tel ou tel comité d’éthique, souvent composé d’ailleurs exclusivement de chercheurs qui sont à la fois juges et parties.
En République, ce jugement sur l’intérêt général, sur la finalité éthique, sur l’acceptabilité éthique de tel choix technoscientifique est l’apanage de l’ensemble des citoyens par le débat dans l’espace public politique permettant d’aller au-delà des particularismes (intérêts privés, industriels ou autres) pour dégager, par abstractions successives, des intérêts universalisables. Ce discours de principe, il faudrait le porter ensemble, essayer de le traduire en pratique sans se disperser en mille et une associations et initiatives paralysées par des querelles de clocher comme par le manque d’argent et finissant souvent par accepter l’argent des industriels – ou alors de leur servir de faux-nez sous prétexte de « partenariats » et de « soutiens institutionnels ».
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Certes, de la part d’un organisme tel que l’Institut de Veille sanitaire, on ne peut guère s’attendre à des analyses critiques acerbes révolutionnant l’état de la question. Il n’empêche que la parution d’un tel numéro du Bulletin épidémiologique hebdomadaire consacré à l’analyse des substances plus ou moins toxiques pour la reproduction est un bon signe : signe peut-être que les autorités sanitaires décident enfin de prendre la question au sérieux de façon plus globale, et non pas limitée à un seul toxique à la fois, tel que le bisphénol A ou les phtalates, faisant l’objet de décisions isolées. Signe peut-être qu’elles se décident aussi à envisager une formation des professionnels de santé et à les impliquer dans une éducation des usagers à ce sujet.
Mais ne nous faisons pas d’illusions, côté politique. N’oublions pas que les signaux venant de la Commission européenne, par exemple, sont contradictoires: certes, depuis août 2011, il est question de la mise en place d’une stratégie globale et du cadre nécessaire pour une analyse d’ensemble des perturbateurs endocriniens (y compris de leur effet cumulatif, etc.), d’une part (voir ce billet). Mais on assiste, d’autre part, à un détricotage des dispositions de REACH et à des décisions ou réglementations qui la vident de sa substance et font passer les intérêts des industriels avant ceux de la santé publique. Ainsi, en jouant sur les notions de « seuil » d’exposition et de « dose », on a donné satisfaction aux industriels, qui ne voulaient pas d’un regard transdisciplinaire trop précis sur leurs produits…
Thèmes abordés dans l’analyse de l’InVS : « Enjeux environnementaux pour la fertilité humaine »
Ce numéro du Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire fait une analyse des études scientifiques sur :
- la fertilité des couples en France
- l’évolution temporelle et géographique du sperme en France et dans le monde ; les caractéristiques du sperme, et notamment sa concentration ces 25 dernières années, selon les données de la base de données Fivnat ; et les tendances qui se dégagent des études prises en compte
- un bilan depuis 1998 des cryptorchidies [absence d’un ou des deux testicules] et hypospadias [anomalie de localisation de l’urètre] chez les garçons de moins de 7 ans
- une revue de la littérature sur la relation entre cancer du testicule et infertilité et un bilan des variations régionales de cette affection en France, ainsi que de l’évolution nationale
- un chapitre « Mécanismes et enjeux de la perturbation endocrinienne »
- un chapitre « Relation entre exposition professionnelle, anomalies de la fertilité et troubles de l’appareil reproducteur : revue de la littérature récente »
Je ne peux pas résumer tout ce qui est dit dans ce numéro du BEH. Les intéressés pourront lire l’ensemble, ou alors choisir les chapitres, à partir de la table des matières sur cette page.
Principaux résultats et tendances, résumés par Le Journal de l’Environnement
Un article de Geneviève De Lacour, paru le 21 février 2012 dans le Journal de l’Environnement sous le titre « La fertilité française en berne », présente ce qui est qualifié de « méta-analyse » de l’InVS et en résume les principaux résultats. Voici des extraits (avant de revenir au texte original du BEH pour en donner des extraits):
Fertilité des couples en France
« Le pourcentage de couples sans grossesse après un an sans contraception est actuellement de l’ordre de 15 à 25%. «Ce qui constitue un problème de santé non négligeable», précise le rapport. «Le niveau élevé de la fécondité en France (2 enfants par femme) par rapport à nos voisins européens ne doit pas donner l’illusion d’une absence de troubles de la fertilité dans la population.» Le rapport de l’InVS préconise d’ailleurs un suivi, non planifié actuellement, mais qui serait pertinent.
Depuis les années 1950, les scientifiques constatent une diminution de la qualité du sperme en Europe du Nord. L’hypothèse d’un lien existant entre l’altération de la qualité du sperme, les cryptorchidies[1], les hypospadias[2] et le cancer du testicule a été proposé par certains sous le nom de «syndrome de dysgénésie testiculaire». Un syndrome qui serait en lien avec l’exposition des femmes pendant leur grossesse à des perturbateurs endocriniens.
En ce qui concerne la qualité du sperme des Français, l’analyse de 33 études, réalisées au sein des Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos), montre une différence en fonction des régions. Au fil des ans, la qualité du sperme a chuté chez les candidats au don du sperme à Paris, mais pas à Toulouse. La dernière étude du Cecos de Tours montre, par exemple, que le pourcentage de spermatozoïdes mobiles est passé de 64 à 44% entre 1976 et 2009 et celui des spermatozoïdes vivants de 88% à 80% sur la même période. Les auteurs de l’étude préconisent ainsi une surveillance de la production et de la qualité spermatique parallèlement aux recherches fondamentales sur le sujet, car ces variations géographiques seraient directement liées à l’exposition environnementale.
Autre étude française, celle-ci basée sur l’examen de plus de 440.000 fiches remplies par des hommes partenaires de couples faisant appel à la fécondation in vitro (FIV). Elle montre une baisse de la concentration spermatique sur la période 1989-1994 particulièrement marquée chez les hommes nés après 1950. La même baisse a été observée pour la période 2001-2005. Entre les deux périodes, cette concentration a augmenté. Les scientifiques mettent en cause l’alimentation, les emballages alimentaires, la qualité de l’eau de consommation ou celle de l’air ambiant. Au travail, les expositions au plomb, à la chaleur ou aux produits phytosanitaires seraient impliquées, et en tant que facteur individuel le tabagisme ou le stress chronique. Pourtant ces tendances à la baisse spermatique ne sont pas encore totalement expliquées. »
Cryptorchidies et hypospadias
« (…) leur nombre a augmenté. Alors que le taux d’interventions chirurgicales pour la cryptorchidie chez les garçons de moins de 7 ans est de 2,51 en métropole et 1,42 à la Réunion, Guadeloupe, Martinique, ce nombre a augmenté de 1,8% en métropole et 4% dans les DOM entre 1998 et 2008. L’augmentation est moins marquée pour l’hypospadias. Les scientifiques rapprochent cette augmentation récente à l’exposition des femmes pendant leur grossesse à des perturbateurs endocriniens. »
Cancer du testicule
Il s’agit d’un cancer rare qui « ne représente que 1% de l’ensemble des cancers ». « [L]e taux moyen de patients opérés en France est de 6,7 pour 100.000 sur la période 1998-2008. Mais le nombre de cas augmente depuis 20 ans dans la plupart des pays industrialisés. L’examen des données françaises montre une augmentation moyenne annuelle de 2,5% de patients opérés. Un nombre plus élevé en Alsace-Lorraine, en Bretagne et en Pays de Loire a été relevé. Les taux les plus faibles sont enregistrés en Languedoc-Roussillon et en Ile-de-France. Alors que ce cancer se guérit très bien, même métastasé, plus de 1.500 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année en France avec des conséquences non négligeable sur la fertilité des patients. »
Expositions professionnelles et conséquences (potentielles)
« Enfin une dernière étude a été menée par Ronan Garlantézec de l’EHESP de Rennes dirigé par Luc Multigner de l’Inserm, celui-là même qui a réussi à établir un lien entre cancer de la prostate et exposition au chlordécone, un insecticide utilisé dans les bananeraies aux Antilles. L’étude présentée ici se penche sur les relations entre expositions professionnelles et anomalies de la fertilité, ainsi que les troubles de l’appareil reproducteur. Ils passent en revue les différents types de polluants et les expositions éventuelles.
Il s’agit une nouvelle fois d’une méta-analyse de 91 études, toutes publiées depuis 2000. Ainsi, les expositions à de faibles doses de plomb (considérées jusqu’à présent comme inoffensives) et à certains pesticides de type pyréthrénoïdes, carbamates et organophosphorés, montrent une association avec l’allongement du délai nécessaire pour concevoir (DNC). Les femmes exposées aux solvants et celles qui travaillent en tant que coiffeuses montrent les mêmes difficultés, les mêmes retards pour être enceintes. L’étude rapporte aussi un excès de risque d’infertilité pour les femmes travaillant en milieu hospitalier. Et un allongement du DNC pour les infirmières exposées en chimiothérapie.
10 études sur 12 examinant l’exposition aux pesticides font un lien direct avec une anomalie du sperme. Même chose avec les solvants: 9 études sur 10 rapportent une altération de la qualité spermatique. Mais les scientifiques estiment que de nouvelles recherches plus précises et définissant les familles chimiques sont nécessaires.
Pour les malformations génitales, une étude associe le travail des parents comme agriculteur, et le risque d’hypospadias.
«Il est primordial d’améliorer les connaissance sur l’impact des expositions professionnelles sur la fertilité», conclut le document. Les co-expositions professionnelles ne sont pas prises en compte, par exemple. Et le nombre d’études sur l’exposition des femmes dans leur milieu professionnel reste très restreint. Certaines pathologies comme les anomalies des cycles menstruels, les modifications de l’âge de la puberté ou de la ménopause ont été très peu étudiées. Enfin la relation entre exposition in utero et apparition d’anomalies de la fertilité est un champ de recherche à développer. »
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Causalités multiples – expositions multiples
Je reviens au texte original de l’analyse que l’Institut de Veille sanitaire consacre à une partie de la littérature scientifique disponible actuellement, parue sous le titre « Enjeux environnementaux pour la fertilité humaine » (BEH 7-8-9/2012). J’ai choisi quelques extraits qui me semblent particulièrement révélateurs sur des dimensions essentielles de la question.
Dans le chapitre sur la qualité du sperme, les auteurs – Louis Bujan et Jacques Auger – soulignent l’importance d’une « lecture multiexposition », incluant un effet cumulatif, additif de toutes les substances toxiques, alors que la dose de chacune prise séparément pourrait ne pas avoir de conséquences délétères significatif. Les toxicologues parlent d’ « effet cocktail » et soulignent aussi l’interaction avec d’autres facteurs de risque, découlant des habitus et des modes de vie, mais aussi des expositions prénatales, qui peuvent renforcer l’action nocive des perturbateurs endocriniens.
Extrait du BEH :
« Les conditions d’exposition de l’homme à des facteurs de risque potentiellement délétères pour sa fonction de reproduction sont multiples :
- a) environnementales générales via l’alimentation, les emballages alimentaires, la qualité de l’eau de consommation ou celle de l’air ambiant par exemple ;
- b) environnementales au travail pour certaines professions, comme l’exposition au plomb, à la chaleur ou à des agents phytosanitaires ;
- c) sans compter le possible impact défavorable de facteurs de style de vie comme par exemple le tabagisme ou le stress chronique.
Si aucun modèle expérimental ne peut recréer les conditions d’exposition humaine, des études animales récentes axées sur la multi-exposition à des composés chimiques, à doses environnementales pertinentes pour l’homme, montrent le caractère additif, voire synergique, de cocktails de composés ayant des propriétés similaires (par exemple, anti-androgènes [50]) ou différentes [51], composés qui pris séparément à de telles doses ont peu ou pas d’effets. Au total, il est donc légitime de tenter de prendre en compte la multi-exposition dans les études épidémiologiques, ce qui s’avère particulièrement complexe. »
L’article sur le cancer du testicule revient sur cette complexité et sur la difficulté à établir des relations entre ce cancer et certaines expositions professionnelles, comme sur la nécessité de prendre en compte les facteurs de risque, notamment génétiques, et les antécédents :
« Ainsi, des associations significatives (mais obtenues le plus souvent à partir de petits échantillons de population) ont été observées entre le cancer du testicule et certaines professions : chez les agriculteurs [38;39], les métallurgistes [40;41], les contrôleurs de trafic des chemins de fer, les ingénieurs électriciens, ou encore chez des hommes exposés à certains insecticides (composés hydrocarbonés aliphatiques et alicycliques) [42], les pompiers [43], les hommes servant dans les forces armées [44;45], les policiers (exposition aux radars) [46] et chez des hommes exposés à des champs électromagnétiques [47]. D’autres études ont également mis en évidence des taux plus élevés de polychlorobiphényles (PCB) chez les hommes atteints d’un cancer du testicule [34]. (…)
Une étude a été effectuée sur une série de 229 cas et 800 témoins issus de cinq hôpitaux (Toulouse, Lyon, Paris, Strasbourg et Rennes), incluant à la fois des expositions environnementales et des antécédents médicaux et familiaux de l’homme.
Nous avons retrouvé, classiquement, d’une part les antécédents de cryptorchidie et, d’autre part, les antécédents familiaux de cancer du sein ou du testicule comme facteurs de risque majeurs du cancer du testicule, mais aucun facteur de risque professionnel et/ou environnemental spécifique (très certainement dû au poids trop important des facteurs médicaux et familiaux) [19] (tableau 1).
Il reste par ailleurs, dans ce domaine, à déterminer le poids relatif de facteurs génétiques comme facteurs de risque de survenue du cancer du testicule ; cette hypothèse quant au risque génétique est d’ailleurs évoquée dans l’étude de Aschim et coll. dont les résultats semblent indiquer que la génétique plutôt que l’environnement pourrait être impliquée dans les problèmes de fertilité et du cancer du testicule [28]. »
« Mécanismes et enjeux de la perturbation endocrinienne » (BEH 7-8-9, p. 115 sqq.)
Je conseille vivement la lecture de cet article écrit par Nadia Quignot, Robert Barouki, Laurianne Lesné, Emmanuel Lemazurier et Bernard Jégou, pour comprendre comment agissent les perturbateurs endocriniens, en mimant l’action des hormones naturelles, en interférant avec elles, en altérant « les mécanismes de signalisation normaux », et pourquoi les notions habituelles de la toxicologie (effet toxique dose-dépendant, seuil d’exposition…) ne s’appliquent pas de la même façon que pour d’autres toxiques. Il faut s’intéresser « aux effets à faible dose, sur le long cours et selon des fenêtres critiques d’exposition », ce qui veut dire qu’il y a des étapes du développement où la vulnérabilité de l’organisme est plus importante, et en particulier les périodes « pendant lesquelles les fonctions endocriniennes se mettent en place (développement pré et post-natal, puberté). »
Extrait quant à la question de la dose :
« Compte tenu de cette particularité des [perturbateurs endocriniens] de produire leurs effets via les mécanismes de signalisation physiologiques, leurs cibles sont difficiles à évaluer et la perturbation du système endocrinien peut, dans certains cas, apparaître à des concentrations bien plus faibles que celles qui alarment habituellement les toxicologues. De même, dans certains systèmes expérimentaux, plusieurs [perturbateurs endocriniens] ne montrent pas de relation dose-effet classique, sans doute en raison de la complexité des régulations endocriniennes. En outre, un même [perturbateur endocrinien] peut avoir plusieurs mécanismes d’action tels que des effets oestrogéniques dans certains systèmes et anti-androgéniques dans d’autres, ce qui complique fortement la compréhension de ses effets. De plus, la toxicité rapportée peut être due à des mélanges de composés.
Effets reprotoxiques, neurotoxiques, toxicité immunitaire, effets métaboliques, cancers…
Les effets toxiques s’exercent sur plusieurs fonctions de l’organisme, et nous commençons à peine à les entrevoir.
Extrait :
« (…) les inquiétudes croissent à mesure que les études épidémiologiques mettent en évidence des évolutions négatives de différents paramètres liés à la santé reproductive humaine telles que la baisse de la qualité du sperme, l’augmentation de l’incidence des cancers hormono-dépendants, de celle de certaines anomalies du développement du tractus uro-génital masculin. Récemment, la mise en évidence de l’avancement de l’âge à la puberté tant chez les fillettes que chez les garçons de plusieurs pays développés a encore accru les préoccupations dans ce domaine [7-10]. Au centre des réflexions sur la perturbation endocrinienne chez les humains figurent certains effets avérés, comme les cas de cancer chez les enfants nés de femmes traitées par le diéthylstilbestrol (DES) [11], ou les modifications de sex-ratio observées dans la descendance des femmes exposées à la dioxine à Seveso [12], de même que les effets des polychlorobiphényles (PCB) sur les fonctions neurologiques et immunitaires notamment [13].
À ces situations observées après différentes catastrophes s’ajoutent aujourd’hui un nombre croissant d’études mettant en évidence :
- l’existence d’associations entre les niveaux d’exposition des populations humaines à certains PE comme le bisphénol A et certains pesticides chez les femmes enceintes et divers paramètres du développement du foetus ou de l’enfant (e.g. poids de naissance, périmètre crânien, distance ano-génitale [14;15]) ;
- une augmentation du risque de certaines anomalies du développement, notamment de la cryptorchidie (non descente des testicules), comme par exemple chez les femmes ayant consommé des analgésiques entre le premier et le deuxième trimestre de la grossesse [16;17].
Les effets suspectés des [perturbateurs endocriniens] ne se limitent pas aux sphères de la reproduction et du développement. En réalité, plusieurs autres cibles toxiques sont à présent suspectées soit à partir d’études épidémiologiques soit à partir d’observations expérimentales. Les effets les plus marquants ces dernières années ont été ceux décrits sur les équilibres métaboliques et sur l’obésité. De fait, plusieurs PE comme le bisphénol A et la dioxine semblent associés à une augmentation des risques de maladies cardiovasculaires et métaboliques et, chez l’animal, à une augmentation du poids à l’âge adulte, notamment lorsque l’exposition a eu lieu en période périnatale [18]. Les polluants ayant ces propriétés sur le développement de la masse adipeuse sont à présent appelés “obésogènes”. De plus, les expositions périnatales sont aussi associées à des modifications neurocomportementales. »
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Les extraits parlent d’eux-mêmes et ne peuvent que nous inciter à nous intéresser de plus près à ce qu’on appelle « santé environnementale », aux conflits d’intérêts et aux lobbies qui y règnent aussi, selon les méthodes similaires à celles que l’on voit dans l’industrie pharmaceutique.
Sur Pharmacritique, j’ai essayé de rendre compte de temps à autre de certaines études et/ou initiatives dans ce domaine. C’est certes infime par rapport au poids de cette thématique… Les billets consacrés aux perturbateurs endocriniens sont accessibles en descendant sur cette page. D’autres billets sur des questions d’environnement, d’écologie, de pollution et des lobbies impliqués (chimique, pétrolier, agroalimentaire, pharmaceutique…), etc. sont accessibles à partir de la liste des catégories à gauche de la page.
Elena Pasca
J’espère que dans ce rapport ont présente les ondes des téléphones portables comme des émetteurs Wi-fi, un des principaux dangers en matière de santé de nos jours !
Simon
[Note de Pharmacritique: le lien publicitaire financier et d’ailleurs totalement hors sujet a été effacé]
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Sur ce thème je recommande la communication en vidéo faite au cours du congrès de la Sfsp (Société française de santé publique) à Lille les 2-4 novembre 2011 par André Cicolella président du réseau environnement santé sur les perturbateurs endocriniens.
Allez sur http://www.sfsp.fr » congrès de Lille » puis « interventions vidéos ». Celle de Cicolella est à la « séance plénière de clôture ». Environ 19 minutes avec diaporama.
Il y traite en particulier des bisphénols et des phtalates et les toxiques libérés dans l’environnement (phytosanitaires). « Ce n’est plus la dose qui fait le poison mais la période d’exposition » en particulier pendant la grossesse et qui peut manifester ses effets sur les générations futures.
Facile à écouter.
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