Par Thérèse CLESMENT
Un secteur privé qui se développe à l’hôpital public, des suppressions de postes itératives sans réflexion stratégique, un gouvernement incapable de fixer un budget… Ou les misères d’une grande dame… qui fait le grand écart : l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris.
Va-t-on, en douce, vers une forme d’euthanasie active, comptable et financière, de l’APHP ?
L’illustration, ajoutée par Pharmacritique, tout comme les phrases en italiques, accompagne un appel à défendre l’AP-HP et protester contre la supression de postes, repris sur le site du PCF. [EP]
Une « forte augmentation » augmentation des recettes liées à la redevance de l’activité libérale des médecins !
Sous certaines conditions, les médecins salariés de l’hôpital public sont autorisés à avoir une activité une activité privée.
Ce secteur privé à l’hôpital public est encadré, en principe, du moins. Les médecins ne doivent pas consacrer plus de 20% de leur temps à cette activité privée, et ils versent en contrepartie une redevance à l’hôpital. Pour l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, cette redevance était de 2,5 millions en 2008 ; elle est de 5,5 millions d’euros en 2009.
Cette augmentation est liée en partie à l’augmentation de la redevance que ces médecins doivent ristourner à leur hôpital. Elle est aussi liée à une activité plus importante et à un nombre plus important de médecins ayant déclaré une activité privée.
En 2009, il y a près de 350 médecins qui déclarent une activité libérale. Dans trois quarts des cas, il s’agit de professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH). Dans deux tiers des cas, cela concerne les spécialités chirurgicales. Les disparités sont importantes au sein des différentes disciplines : quatre fois plus de radiologues que de psychiatres ont une activité privée.
L’AP-HP vient d’indiquer que son Conseil de Surveillance a demandé que le dispositif de suivi et de contrôle de l’activité libérale soit « amplifié en particulier dans les groupes hospitaliers » (selon l’Agence de presse médicale APM International).
En d’autres termes, la langue de bois reste de mise : les dérives et les abus qui existent depuis de nombreuses années risquent de perdurer. A l’occasion de l’examen du dispositif pour l’année 2007, la commission de contrôle de l’activité privée se posait timidement la question de savoir si les délais d’attente pour un rendez-vous pouvaient être différents selon que l’on demandait une consultation normale ou une consultation privée. En 2011, la commission n’a pas toujours pas publié ses conclusions … Elle a dû être épuisée par son courageux effort de questionnement sur ce qui est une évidence pour les usagers, tout en n’étant que la partie émergée de l’iceberg.
Des suppressions de postes à défaut de réflexion stratégique
Que ces choses-là sont dites avec élégance…
L’état des prévisions de recettes et de dépenses (EPRD) pour 2011 prévoit de réaliser un effort d' »efficience » de 38 millions d’euros pour « neutraliser la hausse tendancielle de la masse salariale ». En d’autres termes, 38 millions d’euros de personnels en moins.
Il est prévu 984 postes en moins. En 2010, c’était près de 900 suppressions. Une simple règle de trois permet de calculer que chaque poste supprimé correspond à environ 40 000 euros, toutes charges confondues (salaire net, charges salariales, charges patronales). C’est le coût moyen pour une aide-soignante.
Il manque déjà 600 infirmières par rapport aux effectifs prévus évalués à 18 0000 ; c’est plus de 3% des postes qui ne sont pas pourvus !
Les communiqués du syndicat Sud Santé décrivent à leur manière la situation à l’hôpital Sainte Périne ou à l’hôpital Paul Brousse (voir celui-ci et celui-là, par exemple).
Une fois de plus, on est sur une maîtrise comptable, sans réflexion stratégique sur les missions qui doivent être prioritaires. L’Assistance publique – Hôpitaux de Paris gère un patrimoine foncier et immobilier dans 29 départements et 127 communes. Plus de 1200 ha au total. L’AP-HP possède des commerces, des terres agricoles, des forêts … Est-ce le cœur de son métier ? Et que dire des opérations de communication (voir ici) ?
Mais, plus grave, l’exemple de l’Hôpital Européen Georges Pompidou a montré l’inadéquation entre les besoins de la population et les projets médicaux.
L’AP-HP peut faire mieux avec moins, mais elle n’en prend pas le chemin. L’AP-HP, c’est 37 hôpitaux regroupés en 12 groupes hospitaliers, eux-mêmes formant quatre groupements hospitaliers universitaires ; le tout est chapeauté par le siège, avenue Victoria.
Les malades ont-ils besoin d’une telle structure pyramidale et bureaucratique ? Pourquoi une telle structure continue à se développer malgré la création des Agences Régionales d’Hospitalisation (ARH) en 1997, devenues il y a peu Agences Régionales de Santé (ARS) ?
Combien de directeurs, de chefs de cabinet, de chargés de mission, de délégation à ceci ou cela, de comités « machin » ou de conseils « truc », etc., à chacun des étages de cette pyramide ? Et de quoi accouche tout ce beau monde ? On peut le voir avec, pour la troisième année consécutive, la suppression de 1000 postes.
La gestion du budget des hôpitaux français est-elle différente de celle de la Grèce?
En mai 2011, l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris prévoyait un déficit de 100 millions d’euros pour le compte de résultat principal ; maintenant, il est évalué à 139 millions d’euros, selon les sources (citées par APM International). C’est plus de 2% des recettes. A la décharge des dirigeants de l’AP-HP, il faut souligner que l’Agence régionale de santé (ARS, le préfet sanitaire) d’Ile-de-France a « confirmé le gel des crédits » pour les missions d’intérêt général (Migac), toujours selon APM International… Il a donc fallu revoir les prévisions. En d’autres termes, on ne sait toujours pas si les sous pour des activités telles que les urgences ou les prélèvements d’organes, à titre d’exemple parmi tant d’autres, seront versés pour l’année 2011 comme les années précédentes. Une quarantaine de millions d’euros en moins dans le budget de l’AP-HP.
C’est l’automne, mais le gouvernement n’a toujours pas clarifié la situation pour 2011. Le gel n’est-il qu’une suppression pure et simple que l’on n’ose pas annoncer ? Doit-on espérer un dégel … en plein hiver ?
Au niveau de la France entière, cela représente pour les seules missions d’intérêt général un total de 300 millions d’euros, plus une centaine d’autres millions sur des crédits de nature proche.
En plus, l’Assurance Maladie a encore revue à la baisse les tarifs. Les hôpitaux qui ont augmenté leur activité pour réduire leur déficit sont tombés sur un os. Travailler plus pour gagner moins.
Ce type de gestion est assez emblématique des difficultés rencontrées par les centres hospitaliers ; il en est de même hélas pour la construction hospitalière, comme c’est le cas pour l’un des plus grand projets en France : le centre hospitalier Sud-Francilien (Evry-Corbeil, Essonne). (Voir cette page).
Un conseil, si vous êtes malade, évitez d’être pauvre et surtout évitez d’être malade en fin d’année quand il n’y a plus de sous dans les caisses.
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Pas de conflit d’intérêt.
Le logo, ajouté par Pharmacritique, montre ce qu’il en est des partenariats public-privé (PPP, voir ces notes), comme celui entre l’Etat et Eiffage, pour la construction du sud-Francilien: des profits privés (Eiffage et ses sous-traitants), malgré les malfaçons, les retards et la facture bien plus salée que prévu. Et du sang, des larmes et toujours plus d’argent à payer pour les personnels hospitaliers, les usagers et les contribuables en général…