Par Paul JANIAUD
Ancien directeur de recherches à l’INSERM, ancien représentant des organismes de recherche auprès de la Commission européenne (Direction générale Recherche).
Paul Janiaud a coordonné l’expertise collective INSERM : « Comment limiter fréquence et gravité des accidents iatrogènes d’origine médicamenteuse », remise en 2002 aux ministères de la Santé et de la Recherche qui l’avaient commandée, ainsi qu’à l’agence du médicament de l’époque et au collège du conseil médical de la CNAMTS. Cette expertise collective non publiée (la clause figurait dans la convention finale) préconisait déjà de nombreuses dispositions inscrites dans le projet de loi (DCI, moyens pour la pharmacovigilance, signalement facilité, assouplissement de la notion de « proprietary properties » qui interdit de rendre publics les effets toxiques…
Le projet de loi concernant la sécurité sanitaire comporte plusieurs aspects constituant des pas en avant intéressants. Bien entendu, il s’agit d’un projet de loi qui peut être émasculé lors de son examen par les assemblées parlementaires. Cependant, en le prenant comme tel, plusieurs points méritent des précisions.
Il est indiqué que l’Agence de la sécurité des médicaments et produits de santé est un établissement public. Ceci signifie donc que cette agence reçoit une subvention de fonctionnement et des recettes. Lesquelles seront certainement des redevances des sociétés présentant des produits de santé (y inclus les dispositifs médicaux). Etant entendu que désormais la plupart des agréments doivent être obtenus auprès de la European Medicines Agency (EMA) non mentionnée dans le texte – oubli nationaliste fâcheux -, les agences nationales sont tentées d’être permissives pour « collecter » plus de demandes d’agréments, donc plus de droits d’examen. N’est-ce pas le conflit d’intérêt inscrit d’emblée dans le fonctionnement, quelques soient les mesures d’amendes, de peines privatives de liberté énoncées tout au long du projet de loi ?
Un long développement et plusieurs articles sont consacrés aux conflits d’intérêt, à l’obligation de déclarer tout conflit d’intérêt. Néanmoins, une lacune fâcheuse existe : rien ne précise des indications de chronologie : que se passe-t-il pour un collaborateur d’une firme pharmaceutique, qui la quitte pour rejoindre l’agence ? Quels conflits d’intérêt existant à quels moments doit-il déclarer ? Cette question est réelle. Pendant tout un temps, des collaborateurs de firmes pharmaceutiques ont pratiqué une mobilité subtile : quelques années dans l’industrie, puis embauche à l’agence. Cette lacune de précision est camouflée derrière plusieurs dispositions demandant la mise à jour pendant la durée de l’exercice d’évaluation, mais aucune précision sur le stade initial.
Certes, il existe des collaborateurs de l’industrie frappés par des suppressions d’emploi. Par exemple, MERCK USA licencie en ce moment des milliers de collaborateurs, et ces personnes peuvent être fortement pénalisées si elles déclarent honnêtement leurs travaux antérieurs, y compris si elles ont été au chômage. Mais il existe aussi une pratique consistant à être un certain temps dans l’industrie, puis dans une agence. Le vide du projet de loi est donc très préoccupant.
Une lacune inquiétante apparaît aussi concernant les moyens alloués à la pharmacovigilance. Rien n’est explicitement prévu pour en assumer le coût, car il peut y en avoir à suivre un dossier, les banques de données ne sont pas gratuites, le questionnement nécessite du temps /homme. En outre, le médecin qui signale un pépin est souvent ensuite harassé par des visiteurs médicaux, les inspecteurs des firmes. Même s’il est indiqué que même les patients peuvent déclarer des événements indésirables, rassembler suffisamment de données suppose de pouvoir disposer des ressources nécessaires. Ceci n’apparaît pas dans le projet de loi et doit être explicité en indiquant que l’agence doit mettre à disposition des sites accessibles, disposant de moyens d’appui. Toute personne compétente dans le domaine sait que c’est plusieurs mois après l’introduction d’un nouveau médicament qu’apparaissent les problèmes, les associations détonantes non prévues.
Il reste toujours très hasardeux d’avancer un chiffre des décès provoqués par des médicaments en France. La fourchette reste entre 12 000 et 20 000 décès, chiffre calculé à partir des admissions en urgence en réanimation pour accidents médicamenteux. Or cela ne recouvre pas les conséquences chroniques aboutissant à une issue fatale non reliée à la prise de médicament (imputabilité établie seulement si effet aigu). S’ajoute le fait que les prélèvements effectués en cas d’incident sont rarement gardés longtemps pour analyse ultérieure. Il n’est donc pas surprenant que l’on soit toujours dans l’incertitude, mais elle est inadmissible.
A noter un autre problème concernant les autorisations de mise sur le marché, la méthodologie dans l’effectuation des essais cliniques et leur publication sélective.
Une des difficultés essentielles dans l’évaluation de la qualité d’un nouveau médicament proposé réside dans la possibilité d’effectuer des comparaisons. L’essai clinique contre un placebo montre en général, mais pas toujours, une certaine supériorité pour le médicament; l’essai contre une molécule ayant à peu près les mêmes propriétés est souvent délicat à conduire et n’est pratiqué qu’avec réticence. Mais le plus grave réside dans le fait qu’une proportion très importante des résultats des essais cliniques n’est pas publiée. Ceci est en fait extrêmement dangereux, car amène des essais de molécules presque identiques – similaires, sinon identiques – parfois associées un peu différemment (« médicaments me-too« …) et donc prolonge l’idée initiale qui s’est avérée fausse, inutile, voire dangereuse. Difficile d’avoir une estimation fiable, et certains parlent de 60 à 80 % des essais cliniques négatifs non publiés. Une réelle avancée serait donc de rendre obligatoire la publication des résultats de tous les essais cliniques (positifs et négatifs) et une justification sérieuse des comparateurs utilisés.
Au positif dans le projet de loi, l’amélioration en ce qui concerne les dispositifs médicaux, dont il est hautement probable qu’ils se développent énormément, par exemple du coté des kits de diagnostic génétiques, des dispositifs de télé monitoring. L’agence aura-t-elle les moyens techniques de faire des contre expertises ? Là aussi, le projet omet la référence à l’EMA.
Au positif, l’obligation de prescription en dénomination chimique internationale. A noter une maladresse dans le texte, portant sur l’appellation de « dénomination de fantaisie », qui n’en est pas une, puisque les firmes pharmaceutiques s’efforcent de trouver des noms évocateurs qui sont en eux-mêmes de la publicité. Ces travaux de marketing sont d’ailleurs compris dans l’estimation du coût revendiqué par la firme pharmaceutique pour fixer le prix du médicament.
Enfin, il eut été de bon aloi de reprendre les propositions du rapport de l’IGAS [Inspection générale des affaires sociales] dans les documents sous tendant le projet de loi sur la sécurité sanitaire. Si l’on additionne cet oubli et l’omission de référence à l’agence européenne du médicament, ces oublis sont inquiétants et jettent un doute sur la volonté réelle de régler sur le fond un problème difficile.
Et ce n’est pas le LEEM [Les Entreprises du médicament, syndicat patronal de l’industrie pharmaceutique] qui comblera ces lacunes. Le LEEM vient de rendre publique son opposition au projet de loi, avec un argument étrange : ce projet de loi serait en réalité un moyen de peser sur les dépenses de santé, donc de maîtriser les coûts.
En conclusion, la vigilance s’impose par rapport à ces lacunes et par rapport au résultat après la moulinette parlementaire. Il va certainement y avoir un exercice intéressant si l’on peut vérifier qui parmi les parlementaires, dont certains sont actionnaires ou conseillers des firmes pharmaceutiques, va se « déporter » au nom de conflits d’intérêts.
PJ
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PS d’Elena Pasca:
La Fondation Sciences Citoyennes a elle aussi exprimé ses inquiétudes quant aux nombreuses insuffisances du projet de loi proposé par Xavier Bertrand. Le texte reste très loin derrière les promesses faites par le ministre de la Santé et ne permettra pas – même à supposer qu’il ne soit pas encore amoindri par le parlement – de résoudre les problèmes structurels du système. Il faut commencer par intégrer et appliquer la totalité des propositions de l’IGAS, ainsi que d’autres propositions de réforme.
Voir le communiqué en date du 1er août:
« Sciences Citoyennes appelle Xavier Bertrand à revoir le projet de loi sur la chaîne du médicament ».