« Aussi bien dans une étude clinique que dans le cadre des observations post-commercialisation, des cancers distants du site d’application ont été trouvés chez des personnes ayant utilisé de la bécaplermine, et un taux accru de décès dus à des cancers systémiques a été constaté chez les patients ayant utilisé 3 ou davantage de tubes de Regranex gel ».
Selon la firme Janssen-Cilag et Swissmedic (agence suisse du médicament), un « risque quintuplé de mortalité associée aux cancers a été constaté dans le groupe de patients exposés à au moins 3 tubes de Regranex gel ».
Qu’est-ce que le Regranex ?
Le Regranex (Bécaplermine gel), commercialisé en Europe par Janssen-Cilag, « est utilisé en association avec d’autres soins de la plaie, pour la stimulation de la granulation (cicatrisation des tissus cutanés) des ulcères diabétiques chroniques de surface inférieure ou égale à 5 cm² », selon la description fournie par l’agence européenne du médicament (EMEA).
Le Regranex a pour principe actif un « acteur de croissance humain recombinant – BB dérivé des plaquettes (rhPDGF-BB). Les facteurs de croissance sont des protéines qui stimulent la multiplication des cellules. Les facteurs de croissance dérivés des plaquettes agissent sur les cellules qui interviennent dans la cicatrisation des plaies », nous dit l’EMEA.
La pharmacovigilance américaine a fait son travail, elle
C’est la présence de ce facteur de croissance stimulant la division cellulaire – donc la pousse plus rapide d’un cancer – qui fait que la FDA (agence états-unienne du médicament) et la firme Ortho McNeil (qui détient le brevet et commercialise le Regranex aux Etats-Unis) se sont entendues dès l’autorisation du médicament (en 1997) sur la nécessité d’une surveillance accrue des effets secondaires tels une augmentation du nombre des cancers. Et effectivement, dans une étude de longue durée achevée en 2001, le nombre de cancers était plus élevé parmi les utilisateurs de la bécaplermine.
Une étude supplémentaire a été faite à partir de la base de données des assurances maladie, sur une période allant de 1998 à 2003 : le taux de décès par cancers a été plus important dans le groupe ayant utilisé au moins trois fois le Regranex en comparaison avec le groupe qui ne l’avait jamais utilisé. Les études n’ont pas mis en évidence un type particulier de cancer qui serait lié au Regranex, puisque des types variés de cancers ont été enregistrés.
Dans ces conditions et compte tenu des signalements post-commercialisation, la FDA annonçait en mars 2008 l’ouverture d’une révision des données. Celle-ci a abouti en juin 2008 au constat d’un risque cinq fois plus important de décès par cancer chez les utilisateurs de Regranex, annoncé dans ce communiqué de la FDA. Par contre, l’investigation a été de trop courte durée pour mettre en évidence l’augmentation du risque d’apparition de nouveaux cancers.
En conséquence, la FDA recommande de ne prescrire le Regranex qu’après une évaluation soigneuse de la balance bénéfices – risques, au cas par cas. Le RCP du Regranex est modifié par l’ajout d’un label noir (black box warning : le niveau le plus élevé de mise en garde), figurant au tout début de la description.
Les médecins et les patients suisses sont avertis un mois après
En juillet 2008, Janssen-Cilag attirait l’attention des autorités sanitaires suisses sur la mortalité accrue par cancers chez les utilisateurs du Regranex, dans une lettre rendue publique et qui détaille les études et les chiffres. La firme précise que « les estimations des taux d’incidence [des décès par cancers] présentées ci-dessous pourraient être inférieures à la réalité en raison du suivi limité de tous les patients« . Bien entendu, la section « mises en garde et précautions » du RCP suisse a été modifiée pour intégrer ces nouvelles données et inciter à la prudence.
Question rituelle : et en France ?
C’est une question rhétorique… En France, c’est comme d’habitude : rien. De la part de l’EMEA non plus. Et pourtant, on n’a pas entendu dire que l’Union européenne aurait éradiqué le diabète, donc les ulcères cutanés des diabétiques…
Mais personne ne vient troubler la quiétude des usagers et des médecins européens en donnant ce type d’informations désagréables. Remarquez, ils ne se posent pas non plus la question, ni ne vont regarder ailleurs…
Aucune législation ne demande à la firme Janssen-Cilag de donner l’information, alors pourquoi le ferait-elle? Pour endiguer ses profits? Parce que le code d’éthique de cette industrie-là, on sait ce qu’il vaut. (Si un rappel est nécessaire, en voici la quintessence. Nous avons réduit les informations, pour être en phase avec les habitudes françaises).
Ceci n’est pas une critique vide, mais la stricte vérité. En Europe, en France, on n’embête pas les laboratoires avec des questions aussi négligeables que les effets indésirables… Et, comme nous l’avons dit plusieurs fois, les firmes précisent d’ailleurs sur leurs sites anglophones que les RCP du même médicament ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre, parce que les exigences légales divergent… Il en va de même pour Ortho McNeill, qui n’oublie pas de le dire sur cette page, avant que le lecteur puisse accéder au RCP complet : “Cette information est destinée à nos clients, patients et professionnels de santé résidant aux Etats-Unis. (…) Même si l’Internet est un médium de communication globalisé, des différences subsistent, compte tenu du fait que les lois, les réglementations juridiques et les pratiques médicales diffèrent d’un pays à l’autre. Ce RCP peut ne pas correspondre aux usages dans les pays autres que les Etats-Unis ».
Bref, les Français auront des informations quand ils auront une loi qui exigera qu’ils (médecins et patients) soient informés des dangers des médicaments, mais aussi une pharmacovigilance qui sortira de la pharmaservilité et se mettra au service de la santé des usagers.
Il faut attendre que les poules – c’est à peu près la situation de nos autorités d'(in)sécurité sanitaire devant les laboratoires pharmaceutiques – aient des dents pour qu’elles puissent les montrer, voire même mordre le renard…
Prescrivons, consommons, mourrons tranquilles ! La pharmacovigilance veille – à la tranquillité, je veux dire. D’aucuns dorment, d’autres – les médecins, tout particulièrement, qui sont majoritairement allergiques à la notification des effets secondaires – se bouchent les oreilles… Quel beau couple!! Et efficace, il n’y a pas à dire ! Avec les firmes qui tiennent la chandelle et veillent au grain… Qu’il pousse tranquillement, la tranquillité étant un facteur de croissance en bourse. C’est le cas de le dire avec le Regranex et ce de quoi il est fait…
(Photo: Nosecaps.fr – et Epocrates pour Regranex)