Le 14 avril a été publié le rapport préliminaire du National Toxicology Program (l’autorité chargée de l’étude des produits toxiques), en collaboration avec le Centre d’études des risques pour la reproduction humaine (CERHR: Center for Evaluation of Risks on Human Reproduction) et le ministère de la santé des Etats-Unis. Il s’agit des effets délétères du bisphénol A (BPA) sur l’ensemble de l’organisme. Les résultats sont pour le moins alarmants, même si les auteurs ne veulent pas créer de panique. J’en traduis ou résume les fragments essentiels.
“Ces découvertes sur les dangers du BPA sont basées sur les résultats de toute la recherche sur cette substance chimique », a déclaré John Dingell [député démocrate, président de la Commision Energie et Commerce]. J’espère que la FDA [agence de sécurité alimentaire et sanitaire des Etats-Unis] est disposée à réconsidérer sa position sur le BPA, au nom de la sécurité de nos nourrissons et de nos enfants. »
Le gouvernement canadien envisage de mettre le BPA sur la liste des produits toxiques.
Wal-Mart [l’énorme chaîne américaine d’hypermarchés] a déclaré que toute la gamme de biberons qu’il vend sera sans BPA au début de l’année prochaine. Et Playtex Infant Care et Thermo Fischer Scientific, deux des producteurs les plus importants, ont affirmé que leurs produits seront sans BPA dès la fin de l’année”, note le Center for Science in Public Interest.
Le contexte : une pression politique salutaire
Ce rapport est le résultat de la pression exercée par des hommes politiques américains (eh oui, comme dans la santé, tout changement ou information publique vient d’une initiative politique, voire d’un véritable bras de fer avec les industriels) pour clarifier les risques du bisphénol A sur la santé. Au mois de janvier, la commission dirigée par John Dingell a fait part de son inquiétude quant à la présence du BPA dans les biberons. Le député et son équipe ont appelé des producteurs pour s’en plaindre et ont critiqué l’attitude de la FDA (Food and Drug Administration), qui se tait pour ne pas froisser les intérêts industriels. L’agence a déclaré vouloir maintenir sa position – en tout cas jusqu’à la publication de ce rapport.
Le bisphénol A était déjà considéré comme un désorganisateur ou perturbateur endocrinien (« endocrine disrupter ») par son activité faiblement estrogénique. Mais le rapport va bien au-delà de ce qu’on pensait et pointe des risques très importants pour la santé, majorés par la présence de cette substance chimique dans une large variété de produits présents dans l’environnement immédiat de l’homme (et pas seulement dans les biberons !).
Définition et matériaux contenant du bisphénol A
Le bisphénol A (BPA) est un ingrédient chimique largement utilisé dans la production des matériaux plastics en polycarbone et des résines époxy. Les polycarbones entrent dans la composition de certains emballages d’aliments et de boissons, tels que les bouteilles d’eau et les biberons, les CDs, les équipements de sécurité résistant à l’impact et les dispositifs médicaux. Ils peuvent être aussi mélangés à d’autres matériaux entrant dans la composition des carcasses des téléphones portables, des produits de ménage et des automobiles. Les résines époxy sont utilisées pour couvrir des produits métalliques tels que les barquettes alimentaires, les bouchons en plastic et les tuyaux d’approvisionnement en eau. Certains polymères entrant dans la composition des matériaux dentaires (composites, etc.) contiennent des dérivés de bisphénol A.
L’activité du bisphénol A est considérée « faiblement estrogénique », mais des études moléculaires et histologiques montrent un potentiel d’interaction avec d’autres activités de l’organisme humain, allant de substances à fonction inconnue à celles qui modulent l’action d’hormones telles les androgènes et les hormones thyroïdiennes. L’exposition se fait principalement à travers la nourriture et l’eau, puisque le bisphénol A migre à partir des récipients vers leur contenu. Mais il se trouve aussi dans l’air et la poussière. L’exposition peut être plus forte lors de l’utilisation des composites dans les travaux dentaires ou chez les travailleurs qui manipulent cette substance chimique.
Effets délétères sur la reproduction, le dimorphisme sexuel, la croissance et le développement
Des expérimentations animales ont montré un impact clairement établi de fortes concentrations de bisphénol A sur la reproduction des animaux, leur croissance et leur développement. En outre, les études ont aussi mis en évidence des effets neurologiques et neuropsychologiques délétères, des lésions précancéreuses dans la prostate et les glandes mammaires, des perturbations du développement de l’appareil urinaire et de la prostate et l’induction d’une puberté précoce chez les femelles. Et ce y compris à des doses plus faibles similaires à celles auxquelles sont exposés les être humains. Il est question aussi d’une réduction des dimorphismes sexuels non liés à la reproduction, par impact sur certaines régions du cerveau intervenant dans les réponses au stress et le comportement affectif, ainsi que sur le système dopaminergique. Ce qui veut dire féminisation des mâles et virilisation des femelles. L’impact est quantifiable aussi sur la région des neurones GnRH (qui produisent les gonadolibérines : des hormones hypothalamiques responsables de la régulation du cycle – donc de l’ovulation et de la fertilité – chez les femelles. Soit dit en passant : d’autres études ont mis en évidence que les gonadolibérines ou GnRH sont aussi des neurotransmetteurs du système nerveux végétatif, et ce dans toutes les espèces, NdT).
Troubles cu comportement
Quant aux altérations comportementales observées chez les animaux, il est question de modifications dans les réactions suivantes : comportement maternel, agressivité, fonctions cognitives, activités motrices et ludiques, impulsivité, exploration, comportement dépendant de la récompense et cherchant la nouveauté, réponses à la douleur, anxiété et peur, motivation, interactions sociales.
Impact sur plusieurs neurotransmetteurs essentiels
Plusieurs de ces comportements et manifestations neuropsychologiques sont liés à l’activité d’un des neurotransmetteurs les plus importants du système nerveux : la dopamine (et donc la famille des catécholamines qui sont produites à partir d’elle : la noradrénaline et l’adrénaline. NdT). Des interactions sont observés avec les récepteurs d’autres neurotransmetteurs, y compris avec le principal neuromédiateur inhibiteur du système nerveux central : le GABA. Les recherches ont mis en évidence des effets sur la migration et l’organisation neuronales, la synaptogenèse, les transmissions neuronales relevant du GABA et de l’activité électrique qu’il induit, la mort de cellules neuronales, la plasticité synaptique, la différenciation des oligodendrocytes médiée par l’activité des récepteurs thyroïdiens, etc.
Lésions précancéreuses (sein et prostate)
Les études sur la glande mammaire et prostatique montrent que l’exposition peut entraîner le développement ultérieur de lésions précancéreuses, sans que le centre déclare pour autant que le bisphénol A soit à ranger définitivement parmi les agents cancérigènes pour ces glandes… Le mécanisme d’action semble être de type épigénétique.
Autres perturbations endocriniennes et métaboliques
Les auteurs précisent : « une série d’autres effets sur les animaux de laboratoire ont été liés à l’exposition à des doses « faibles » de bisphénol A au cours du développement ; ces effets incluent une diminution de la quantité ou de la qualité du sperme, l’obésité, perturbations de la méiose, modifications des taux des hormones sexuelles ou changements cellulaires dans les tissus des organes reproducteurs. Ces effets ont eu un poids moins important dans les conclusions du NTP [National Toxicology Program] portant sur les risques potentiels de l’exposition humaine au bisphénol A, par rapport aux effets sur le développement qui ont pu être constatés à des doses « fortes », notamment sur la survie et la croissance, et à des doses « faibles » sur le cerveau et le comportement, la glande mammaire, la glande prostatique et l’âge de la puberté ».
Présence démontrée chez les humains
Les analyses montrent la présence du bisphénol a dans le lait maternel, le sang et l’urine des êtres humains. Le BPA est présent dans l’urine de 93% des Américains.
Conclusions provisoires
Cela dit, le centre d’études tire la sonnette d’alarme et demande des études plus poussées sans considérer ces conclusions comme définitives. Mais on connaît la frilosité des grandes institutions de recherche dès lors qu’il s’agit de mettre en cause un produit tellement répandu et de heurter les intérêts économiques énormes de l’industrie chimique.
« Les conclusions du NTP [National Toxicology Program] rejoignent celles du panel d’experts ayant étudié le bisphénol A dans le cadre du CERHR [Center for Evaluation of Risks on Human Reproduction]. Il y a certaines raisons d’inquiétude face aux effets neurologiques et comportementaux chez les fœtus, les nourrissons et les enfants aux doses d’exposition humaine courante. Le NTP exprime aussi un certain degré d’inquiétude quant aux effets de l’exposition de ces populations au bisphénol A sur la glande prostatique, la glande mammaire et sur l’abaissement de l’âge de la puberté chez les filles ».
L’inquiétude est « négligeable » sur les autres aspects évoqués. Le rapport préliminaire souligne que les conclusions sur la toxicité du bisphénol A (BPA) sont provisoires et basées sur les informations actuellement disponibles. Par conséquent, le « degré » d’inquiétude peut diminuer ou augmenter…
Références complètes:
Nationl Toxicology Program – CERHR Monograph on the Potential Human Reproductive and Developmental Effects of Bisphenol A. September 2008. NIH Publication No. 08 – 5994 http://cerhr.niehs.nih.gov/chemicals/bisphenol/bisphenol.pdf
MISE A JOUR
Les images
Celle des récipients en plastic est tirée d’un article de Medgadget rendant compte d’une étude qui met en cause le bisphénol A dans les maladies cardiovasculaires et le diabète. Voir à ce sujet le communiqué de l’American Medical Association (AMA), faisant suite à la publication d’une étude dans sa revue médicale (JAMA).
Celle détaillant certaines glandes est tirée du site Eco-Thinker, où elle illustre un article sur les matériaux plastiques comme perturbateurs endocriniens (endocrine disrupters) et définit ceux-ci.
Pour d’autres informations
Voir surtout le site du Réseau Environnement Santé (RES).
Elena Pasca
j’ai un toit de veranda en plastique (POLYCARBONATE)est ce dangereux pour la santé ?
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Il est certain que notre environnement pollué a des conséquences graves sur notre population. Le Canada a réagi depuis une dizaine d’année en supprimant un certain nombre de produits. A l’aide des études scientifiques, sommes-nous si stupides pour laisser une situation se dégrader ? Aussi, à ce jour quels sont les produits de substitution, au moins sur le plan alimentaire, pour conserver ou stocker les aliments et les liquides ?
Merci
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bonsoir
je viens d’acheter une valise en polycarbonate
est-ce dangereux ?
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