Un audit réalisé par Action Autonomie (Collectif pour la défense des droits en santé mentale du Québec) sur la Loi canadienne c-75 (ou « Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui ») met en évidence l’existence et la persistance d’abus, de traitements humiliants et dégradants, de non respect des droits de l’homme en général dans les établissements psychiatriques. Le texte – comme la loi – porte sur les situations où la personne concernée refuse l’internement en institution psychiatrique et est internée (quel mot !) contre son gré. En France, cela s’appelle « hospitalisation à la demande d’un tiers » (HDT). Les auteurs questionnent entre autres le flou qui entoure la notion de « dangerosité », qui seule pourrait justifier une telle hospitalisation psychiatrique. Dans les faits, la dangerosité peut être comprise de façon totalement arbitraire, dans le sens d’une « inadaptation » sociale, de marginalité, de non conformité avec ce que les préjugés de la société considèrent comme « normal ». Lors de ses recherches et entretiens avec des anciens patients hospitalisés de force, le collectif Action Autonomie a pu ainsi constater que des personnes « ont été privées de leur liberté pour des raisons autres que la dangerosité telles que : refus de suivre les traitements du psychiatre (médicaments), difficultés ponctuelles dans leur vie, difficultés familiales, besoin d’écoute, affirmation de leurs droits, etc. »
Le texte entier est édifiant et livre aussi des éléments historiques sur la réglementation juridique de la question au Québec : Pour la santé mentale : Une loi de contrôle social.
Et voici un communiqué d’Action Autonomie appelé « Une médecine à deux dignités ? », dénonçant l’existence d’un enclos soi-disant « médical » digne du Moyen âge: « la salle de débordement ».
Le communiqué date de novembre 2006. Puisqu’il n’y a pas de lien direct, voici le texte intégral :
« Les salles de débordement : la médecine à deux dignités ?
Mercredi dernier, nous apprenions par le journal La Presse que depuis trois semaines des patients psychiatriques étaient confinés dans ce qui est appelé une salle de débordement à l’Hôpital Jean-Talon [1]. Cette salle, de laquelle personne ne peut sortir sans être accompagnée d’un membre du personnel, est située dans un demi sous-sol. Elle ne comporte aucune fenêtre, mais encore, aucune toilette! Pour Action Autonomie, le Collectif pour la défense des droits en santé mentale de Montréal ainsi que le Projet PAL, une ressource alternative en santé mentale, cette situation est inacceptable. Aussi, nous nous interrogeons sur les motivations de la direction de l’hôpital ayant conduit au choix d’envoyer la clientèle psychiatrique dans la salle de débordement. Cette situation n’est pas sans rappeler une histoire semblable qui s’était produite à l’hôpital Charles Lemoyne (Longueuil) à l’automne 2003 où les patients psychiatriques se sont retrouvés hébergés dans le gymnase de l’établissement, faute de place. Ce n’est donc pas la première fois que nous assistons à de telles aberrations.
Des citoyens de secondes zones ?
Dans un autre article publié dans La Presse du vendredi 17 novembre, il est écrit que les unités de débordement existent depuis longtemps. Le porte-parole de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont disait que « cette pratique permet d’avoir des statistiques plus favorables sur la situation des urgences. » Ainsi, doit-on penser que certains hôpitaux ont choisi d’enfermer « le dérangeant, le laissé-pour-compte » au profit de l’efficience et du résultat ?
Comment peut-on faire fi des droits fondamentaux tel que la sauvegarde de la dignité et le respect de la vie privée? Et sur quel motif? Est-ce que les patients psychiatriques sont à ce point négligeables qu’on peut se permettre de faire des choix aussi contestables? Comment se fait-il que les visites des médecins soient effectuées à même cette salle, à côté de la civière sans aucune préoccupation pour la confidentialité? Est-ce que le fait d’avoir une consultation avec son psychiatre dans une salle pouvant contenir jusqu’à 14 patients comporte une visée thérapeutique qui nous échappe?
La médication comme seule réponse : une pilule difficile à prendre
En plus des conditions très questionnantes dans lesquelles s’effectuent les rencontres avec le psychiatre, nous apprenons que tout ce qui est offert aux patients comme traitement thérapeutique consiste en l’administration de la médication. Est-ce tout ce que nous avons à offrir à une personne venant chercher de l’aide à l’hôpital en raison de son état mental ? La médication n’est bien sûr pas l’unique solution à la souffrance. Elle l’est encore moins lorsque tout ce qu’on vous offre consiste en une civière, une visite quotidienne d’un psychiatre et un environnement fermé sans aucune lumière du jour. Taire la souffrance, la gérer, la rendre silencieuse, c’est ce qui nous vient rapidement en tête. On contrôle la gestion des émotions via une médication sans offrir d’intervention thérapeutique à une clientèle qui dérange
La responsabilité du Ministre
Pourtant à peine était-il arrivé en poste, le ministre de la santé Philippe Couillard, nous annonçait que la santé mentale était dorénavant une priorité nationale. Ainsi, en juin 2005, il lançait son plan d’action en santé mentale 2005-2010 : La force des liens. Ce plan d’action d’envergure fait la promotion de l’importance d’offrir des soins de qualité et surtout adaptés aux besoins des personnes et il mise sur le rétablissement. Difficile de voir ici la traduction de cette volonté. Par contre, il est aisé de voir la priorité du ministre quant au désengorgement des urgences. On peut croire que peu importe comment cela s’opère, on va même jusqu’à cacher les gens dans un demi sous-sol ; la priorité d’atteinte de résultats efficients étant la préoccupation première des gestionnaires du réseau de la santé. Les pratiques sont frileusement dénoncées, mais semblent toujours en vigueur, au nom d’une enveloppe budgétaire qu’on nous dit insuffisante ou encore d’un manque de personnel. En attendant, ce sont les personnes qui consultent qui en font les frais.
Il est d’autant plus difficile de croire qu’une expérience d’hospitalisation de plusieurs jours, voir semaines, dans de telles circonstances vient en aide aux gens.Où est la personne qui vient consulter ? L’article de La Presse nous apprend que la directrice de la santé physique de l’hôpital, Gisèle Dubuc, « reconnaît que la situation n’est pas idéale. » Non seulement elle n’est pas idéale, mais cette situation est inacceptable. Elle ne répond en rien aux critères de qualités et porte gravement atteinte à l’intégrité des personnes. Selon nous, dans une région comme Montréal où onze (11) hôpitaux de soins généraux ont des départements de psychiatrie et où l’on compte aussi deux (2) hôpitaux psychiatriques, il est inadmissible de voir des patients hospitalisés dans des conditions rappelant celles des camps de secours organisés par la Croix Rouge.
Comme groupe, suite à des rencontres avec certains cadres des hôpitaux, nous avons bien senti la pression que M. Couillard met sur les établissements en regard de la gestion des urgences et des listes d’attente, mais les salles de débordement ne sont certainement pas la solution si ce n’est qu’elles contribuent à vider les urgences et à cacher les personnes pour qui on a très peu de respect. Ces tristes réalités mettent en évidence les conséquences néfastes de priorités gouvernementales sur le développement d’un système public de santé accessible, universel et gratuit. Assistons-nous à une transformation de ce système, où l’atteinte d’objectifs marchands l’emporte sur la mission première des établissements soit : d’offrir des soins de santé de qualité et respectueux des besoins des personnes ? »
Par Claudelle Cyr, conseillère en défense de droits. Pour Action Autonomie, le collectif de défense de droits en santé mentale, de Montréal, et le Projet PAL,
ressource alternative en santé mentale
- Journal La Presse, mercredi 22 novembre 2006, « Dépressif et confiné dans une salle de débordement ».
- Journal La Presse, vendredi 17 novembre 2006, « Un phénomène qui prend de l’ampleur (unité de débordement dans les hôpitaux) ».
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Est-ce que de tels enclos existent dans les hôpitaux français ??