De l’enfer psy surmedicalisé à la gestion autonome des psychotropes. Un parcours initiatique exemplaire au Québec.

Ce livre de Luc Vigneault a été coécrit avec Suzanne Cailloux-Cohen et publié aux Éditions de L’Homme en 1997. Il 0bcae380238a74483bc57069566f27a3.jpgrelate un parcours initiatique exceptionnel qui débouche sur la création d’une méthode novatrice de « gestion autonome des médicaments de l’âme ». Après l’enfer de l’enfermement et de la surmédicalisation, Luc Vigneault a repris possession de sa dignité et de sa capacité de décision par un acte d’ »empowerment » exemplaire, favorisé par la rencontre avec une institution qui n’a rien à voir avec l’hôpital psychiatrique habituel. Pour juger des résultats, il suffit de dire que Luc Vigneault est aujourd’hui conférencier international, consultant sur des projets en santé mentale, directeur général de l’APUR Québec (Association des personnes utilisatrices des services de santé mentale) et président du conseil d’administration de l’AQRP (Association québécoise pour la réadaptation psychosociale).

L’article de  Liliane Leroy – psychologue clinicienne, attachée auprès du groupe d’études « Femmes Socialistes Prévoyantes » – s’intitule Gestion autonome des médicaments de l’âme. Une expérience québécoise. Il nous apprend ce qui a rendu cet « empowerment » possible, et comment cette méthode de gestion autonome de psychotropes, popularisée d’abord au Québec dans les groupes d’entraide, etc. s’étend actuellement à la Belgique.

Extraits entrecoupés de quelques commentaires :

Luc Vigneault a vécu une escalade mortifère qui part de la souffrance, majorée par « l’isolement, l’étiquette diagnostique, la contention, l’addition de médicaments : calmants, antidépresseurs, neuroleptiques, antiparkinsoniens ». Ces derniers doivent diminuer les effets secondaires des neuroleptiques, mais produisent eux-mêmes d’autres effets indésirables tels « l’absence d’érection, l’akinésie, les troubles de mémoire, la fatigue, l‘asthénie, la confusion, le besoin de dormir plus de 16 heures par jour ». 

C’est ce qu’on appelle un état de « légume » ou de zombie, une perte totale d’autonomie, de dignité, de capacité, au sens humain comme au sens juridique du terme. Qui ne peut profiter qu’aux firmes pharmaceutiques productrices des médicaments avec lesquels on gave les patients et à leurs réseaux de vassalité parmi les médecins et autres psys.

D’ailleurs, on voit bien comment l’institution psychiatrique surmédicalisée et soumise aux diktats de l’industrie qui invente des maladies même là où il n’y en a pas, arrive à transformer même un bien portant, « sain » et « normal » (terme parfaitement vide et arbitraire…) en légume qui prend un deuxième médicament pour atténuer les effets secondaires du premier, puis un troisième, etc. C’est ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis, dès l’enfance. Le premier médicament étant souvent la Ritaline ou un antidépresseur – ou les deux. Pour le reste, la liste est ouverte et potentiellement infinie, comme la liste des maladies inventées (par le « disease mongering ») pour qualifier des comportements spontanés de l’enfant et de l’adolescent et les psychiatriser.

Si on regarde de plus près, ce sont les comportements infantiles qui jettent les bases de la future pensée critique qui sont stigmatisés, psychiatrisés et quasiment criminalisés: le fait de dire « non », de se montrer curieux, spontané, actif, d’explorer l’environnement, d’ébaucher une pensée par soi-même, etc. Qu’on se rappelle le projet de Sarkozy – inspiré justement par l’aberration psycho-juridico-pharmaceutique qui sévit aux Etats-Unis – de ficher dès l’âge de trois ans les enfants qui sortent de la « normalité »: mot qui n’a aucun sens et varie en fonction des pressions conformistes de chaque époque historique et de chaque société. Norme parfaitement arbitraire pouvant dépendre du bon vouloir d’une maîtresse d’école maternelle qui sera à l’origine d’une vie passée à nourrir l’industrie pharmaceutique et les psychiatres qu’elle paie ainsi qu’à entretenir tout un système de profits croisés et d’aveuglement sociétal.

Compte tenu de ces pressions d’autoreproduction du système, il faut tirer son chapeau à Luc Vigneault d’avoir réussi à garder suffisamment de lucidité, de force psychique et physique et de volonté pour sortir de ce cercle vicieux, aidé par un centre de ressources alternatives pour la santé mentale de Montréal, où tout est fait « la réappropriation du pouvoir : l’empowerment ». La personne a le droit de décider ce qu’elle veut, quand elle le veut, même si c’est sans filet, s’il y a un risque. » C’est dans ce contexte que Luc Vigneault a pu reprendre les rênes de sa vie et construire une méthode personnelle de « gestion autonome des médicaments de l’âme », puis la développer dans différents groupes d’entraide à travers le Québec.

Selon Liliane Leroy, Luc Vigneault définit la gestion autonome comme « le droit et la possibilité pour toute personne recevant des médicaments d’être informée sur les raisons, la pertinence, les effets secondaires et le mode d’utilisation de la médication prescrite; d’être avertie des alternatives possibles à cette médication et encouragée à les utiliser; de pouvoir négocier avec le prescripteur le type de médicament, la dose, la fréquence, etc.; de décider de diminuer et/ou de se sevrer (c’est-à-dire d’arrêter toute médication totalement ou partiellement, définitivement ou provisoirement) et d’être accompagnée dans ce processus par le médecin prescripteur ou référée à un autre professionnel de la santé capable et désireux de faire cet accompagnement ».3 Cette gestion autonome est intégrée à tout un processus d’appropriation du pouvoir de la personne, elle s’inscrit dans la démarche de groupes d’entraide.

Quatre axes principaux constituent cette « méthode ».

Tout d’abord, elle s’inscrit dans une démarche « d’ empowerment » ou comme le disent si joliment les Québécois, « d’empuissancement ». La personne est invitée à faire le point sur ses conditions et la qualité de vie (comment elle se débrouille avec son budget, son implication sociale, son lieu de vie…) son entourage (sur qui peut-elle compter, quelles sont les relations sociales qu’elle entretient, quels groupes fréquente-elle, comment s’y sent-elle…) sa santé et ses besoins en santé (comment fait-elle pour y répondre, quelle est la relation avec le médecin, quels sont les effets et les effets secondaires de sa médication, quelles sont les répercussions de ces médicaments sur sa santé, sur sa vie sociale, sa sexualité, quelles sont les difficultés de s’informer sur les médicaments).

Comme pour tout sevrage de psychotropes, des effets de sevrage se feront sentir. Il est donc important que la personne soit bien informée des effets de diminution de son médicament, elle sera alors mieux outillée pour faire face à sa nouvelle façon d’être au monde. Les effets secondaires dus au sevrage sont souvent attribués, à tort à la maladie et leur présence conduit paradoxalement à justifier leur prescription. Luc Vigneault dénonce par ailleurs le manque de rigueur scientifique des informations dont sont victimes les patients mais aussi les médecins. A la suite de bien d’autres, il dénonce la désinformation, le surinvestissement de la publicité faite aux médecins 4. » (…) « Ce processus d’appropriation du pouvoir sur ma vie [ – dit Luc Vigneault – ] a eu pour effet d’augmenter ma qualité de vie et ainsi rompre l’élastique qui me retenait au centre hospitalier. Je me suis mis à faire du bénévolat. Et de fil en aiguille, je suis devenu intervenant en santé mentale. J’ai œuvré dans un groupe d’entraide, dans une ressource d’hébergement et par la suite, j’ai été coordinateur d’un service de crise régional en santé mentale. Car je crois profondément qu’il faut émanciper les pratiques d’interventions et s’assurer que la personne qui utilise les services soit partie prenante des décisions qui la concernent ».6 (…)

« Suite au colloque  « Les psys, contr
ôle ou contre rôle ? », organisé sur ce thème en 2002, l’Autre Lieu a programmé des séances d’information auprès du public belge. Ces rencontres nous ont convaincus de l’intérêt pour de telles pratiques. Les « usagers » sont demandeurs de lieux de parole où ils peuvent rencontrer des personnes vivant des expériences similaires à la leur, où ils peuvent se réapproprier leur vie. La gestion autonome des médicaments répond également à un besoin. Nous avons donc réinvité Luc Vigneault en décembre dernier. (…)
Ce furent des rencontres riches et conviviales et l’on s’est pris à rêver que des organisations citoyennes d’usagers, soient entendues par les politiques, on rêve d’une approche critique et une résistance organisée des professionnels par rapport aux lobby économiques, aux intérêts des firmes pharmaceutiques, au DSM qui réduit les personnes à un diagnostic et aux pratiques qui considèrent les « malades » comme des êtres sans projet, sans relation, sans pouvoir, sans spiritualité. Au-delà de l’aspect pratique de l’entraide et du bon ajustement des psychotropes à la qualité de vie, il y a un enjeu de respect, de dignité, de citoyenneté.

Suite à ces rencontres, une quinzaine de personnes « usagères » et « amies » se sont constituées en « groupe pilote » ayant pour objectif de jeter les bases et l’encadrement d’un groupe d’entraide visant, entre autres à s’approprier les « gestions des médicaments de l’âme ». Nous avons entamé avec eux une démarche d’éducation permanente, c’est-à-dire une démarche où il s’agit d’être « acteur, critique et responsable », comme le veut la formule consacrée. Nous y réfléchissons au fonctionnement, aux fondements éthiques, analysons la charte des groupes d’entraides québécois, le fonctionnement d’autres groupes de « self help », afin de créer les modalités de fonctionnement d’un groupe d’entraide en santé mentale. Les travaux avancent bien et le groupe d’entraide commence à se réunir.

Le parcours n’est pas facile, il faut faire l’expérience d’une démarche autonome. Le système de soins et les institutions n’ont en général pas favorisé cette démarche, jugeant souvent à la place des personnes de ce qui est bon pour elles. Le fait que des « patients » et qui plus est des « fous » puissent être juges et décider de leur traitement fait peur. Nous avons eu des remarques et des mises en garde de professionnels en ce sens. Pourtant, il ne s’agit de rien d’autre que de leur reconnaître le droit d’être partenaire de leur traitement, d’être reconnus comme des interlocuteurs capables de juger ce qui est bon pour eux dans un dialogue avec leur médecin et prendre les décisions qu’ils jugent utiles afin que la qualité de leur vie soit la meilleure possible et qu’ils puissent re-prendre leur place de citoyen. »

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