Le Pr André GRIMALDI (Hôpital Pitié-Salpétrière, Paris), signe en février 2007 un texte d’une rare lucidité sur la marchandisation de notre système de santé, sur la logique commerciale, de rentabilité, de profitabilité et de sélection (sur critères de solvabilité et de « pathologie rentable ») qui se mettent en place peu à peu, tant du côté des soins que du côté de l’assurance-maladie. Depuis la « réforme » entreprise par Douste-Blazy et son euro par consultation, d’autres pas sont franchis progressivement pour démanteler tout le réseau de protection sociale et de service public, détruire la solidarité nationale, pénaliser financièrement les malades, exclure les pauvres et privatiser à tout va. Appelons un chat un chat: c’est du darwinisme social actualisé et vendu à la sauce financière franchouillarde, variante de celle qui sélectionne le (compte en banque le) plus fort, divise et tue à l’échelle planétaire. On appelle cela globalisation: tout converge vers un modèle économico-financier unique. Services publics et prestations privées convergent aussi. Quitte à piétiner quelques bouts de papiers obsolètes du genre Constitution, Déclaration des droits de l’homme, pacte républicain, code de déontologie…
Cet excellent texte à lire en entier sur le site Démocratie et socialisme s’intitule Hôpital entreprise contre hôpital public. Face au plan Xavier Bertrand « Hôpital 2012 ».
Nous donnerons quelques extraits suivis d’autres liens. Mais rappelons d’abord que plus de 1.000 médecins et cadres hospitaliers ont demandé dans une lettre-pétition adressée à Roselyne Bachelot l’arrêt de certaines dispositions entrées en vigueur dans le cadre de cette réforme, et qui grèvent la qualité des soins, ainsi la tarification à l’activité (T2A) et la tendance à la convergence tarifaire entre les secteurs public et privé. La lettre-pétition publiée sur le site de la Confédération des Praticiens des Hôpitaux s’intitule « T2A, Convergence tarifaire : pétition pour une réforme de la réforme ».
Voici quelques extraits de « Hôpital entreprise contre hôpital public »:
La réforme dite « Hôpital 2007 » se met en place en douceur, sans réelle opposition ni même débat national, alors même qu’elle est entrain de préparer la privatisation du service public hospitalier.
« De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’une réforme du financement de l’hôpital. Auparavant, les hôpitaux étaient dotés de budgets globaux déclinés ensuite en budgets de service. Chaque année, ce budget pouvait être révisé en fonction des résultats obtenus l’année précédente et des prévisions de l’année en cours. En l’absence d’évaluation et de volonté politique, ces budgets avaient tendance à figer les situations acquises et ne permettaient pas une adaptation aux variations d’activité. C’est du moins cet argument qui a prévalu pour remplacer le financement global par un financement dit à l’activité dit T2A, en affectant chaque patient et chaque activité d’un code de financement. Désormais tel malade est plus rentable que tel autre, telle activité devient plus rentable que telle autre. Ainsi, le malade bénéficiant d’un geste technique ou d’une chirurgie impliquant une courte hospitalisation est hautement rentable. Le malade complexe ayant une maladie chronique avec des problèmes sociaux et psychologiques, et nécessitant une hospitalisation prolongée, n’est pas rentable. En diabétologie, de manière provocante et factuellement exacte, on peut dire que dialyser ou amputer un diabétique est plus rentable que de prévenir la dialyse ou l’amputation. (…)
Ainsi, les médecins sont placés au centre d’un conflit éthique : d’un côté ils doivent assurer à chaque patient le soin optimal, de l’autre ils reçoivent pour mission la rentabilité, condition du maintien de leur activité. Chaque spécialité, chaque hôpital, chaque service s’est mis à réfléchir fébrilement aux changements et aux astuces nécessaires pour devenir « rentables ». (…) Ici ou là, on surfacture ou on réalise des activités peu voire pas utiles mais rentables. En effet tout se passe comme si, pour assurer la survie de son hôpital ou de son service, il fallait accroître la facturation de la Sécurité Sociale. Du coup, celle-ci s’est mise à développer des contrôles. La marchandisation de la santé est en route avec son triptyque : productivisme, concurrence, contrôle.
De plus, le législateur, et plus généralement la majorité parlementaire contre l’avis même du Ministre de la Santé mis en minorité, a décidé que désormais le financement de l’hôpital serait semblable à celui des cliniques privées avec une convergence totale à 100 % en 2012. Il s’agit à l’évidence de favoriser les cliniques privées à but lucratif (…). On voudrait envoyer l’hôpital public dans le mur, qu’on ne s’y serait pas pris autrement.
Le deuxième aspect de cette réforme est d’affaiblir, voire de supprimer, la structure des services hospitaliers en enlevant aux cadres infirmiers (surveillants(es)) et aux chefs de service la responsabilité de l’organisation et du recrutement et de l’affectation des personnels para-médicaux. Le chef de service n’est plus qu’un vague responsable médical. Le but est de « mutualiser » les moyens paramédicaux et médicaux entre les services, c’est-à-dire de gérer la pénurie de personnel en enlevant aux uns pour donner aux autres. (…)
Le but est en réalité de soumettre le pouvoir médical au pouvoir de gestion administrative. En effet, si on pense que la médecine est une marchandise, les médecins de simples techniciens ou offreurs de soins, il est logique que le pouvoir revienne aux « managers » véritables chefs d’entreprise. (…)
Quel sera le résultat à court terme de cette réforme marchande ? Certaines activités seront abandonnées. Certains pôles devront être restructurés et même certains hôpitaux devront fermer. (…) Le mélange des genres entre le soin et la rentabilité, ne peut aboutir qu’à des catastrophes comparables à celles du sang contaminé.
Comment en est-on arrivé là ? Cette véritable défaite sans combat est le résultat d’un retournement des esprits. Faute de pouvoir soumettre le corps médical à des principes de régulation publique, des gestionnaires et économistes de santé de gauche ont opté pour la régulation par le marché (…), arguant que l’hôpital doit apprendre à « vendre » (sic) et que la régulation des coûts doit se faire par la possibilité de réduction du personnel. Ils ont donc rejoint le camp des économistes libéraux, incapables de penser la médecine autrement que comme une marchandise. (…) C’est que les grands progrès de la technique médicale ont bouleversé l’activité professionnelle mais aussi le modèle culturel de nombreux médecins. Certains désormais se vivent plus comme des ingénieurs ou des « super techniciens ». Leur modèle est devenu le businessman ; ils rêvent de « stock options ». (…) Néanmoins la majorité des médecins hospitaliers subissent cette réforme avec résignation et souvent un sentiment d’humiliation. (…)
Les progrès de la technique d’une part, la marchandisation d’autre part, menacent le fondement éthique de la société en général et de la médecine en particulier. Il appartient à chaque génération de défendre, refonder et actualiser les principes d’humanité qui doivent régir l’organisation sociale et tout particulièrement l’organisation de la santé. Des alternatives à la réforme « Hôpital 2007 » sont possibles. Il est possible de penser des organisations adaptées aux besoins des populations, à l’évolution des pathologies, aux progrès des techniques. (…)
Assisterons-nous en spectateurs impuissants à l’effondrement du service public hospitalier ? On ne saurait exclure cette éventualité, tant la stratégie de la « contre-réforme » est perfide : morcellements, divisions, avances par petits pas, reculs temporaires, dénégations voire mensonges… Ou bien verrons-nous dans un sursaut éthique les médecins hospitaliers se joindre aux surveillantes et aux infirmières pour défendre non pas des intérêts corporatistes, mais l’hôpital public au service du public selon des valeurs très anciennes mais en réalité d’une très grande modernité. »
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Commentaires de la lettre-pétition dans cet article du site « Pour la République Sociale ».
Dépêche APM du 18 décembre 2007 : La tarification à l’activité pénalise la démarche qualité, estime Jean-Jacques Romatet, directeur général du CHU de Toulouse, lors d’une table ronde plénière ouvrant les deux journées de débats sur la qualité en santé organisés à Paris par la Haute autorité de santé (HAS).
Dossier de presse officiel de la « Conférence nationale sur l’investissement hospitalier du Plan Hôpital 2007 au Plan Hôpital 2012 », Institut Pasteur, 13 février 2007. Avec un lien vers le discours du ministre d’alors, Xavier Bertrand.
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Elena Pasca
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Au delà de la T2A qui est une saucisse de plus, et je n’en compterai pas le nombre qu’on nous a passées sous le nez depuis 30 ans, il manque un élément fondamental pour intensifier nos arguments de désastre annoncé : il n’y a plus de médecin ni de personnel soignant pour faire fonctionner les structures de soins, publiques ou privées (« même combat », pour ceux qui n’ont pas encore compris!). L’âge moyen des spécialistes avoisine 60 ans, la pyrramide est inversée et titube sur sa pointe… l’inertie de formation est de 15 ans à condition que l’on restaure la motivation qui manque à nos enfants. Les pneus du camion! On s’en tape quand on est en panne de gasoil!
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