Les firmes pharmaceutiques n’auront pas d’immunité juridique pour les effets secondaires. La Cour suprême américaine rejette la préemption!

(Longue mise à jour à la fin)

Supreme court rules against Wyeth in liability case“ (La Cour suprême déboute Wyeth ; la responsabilité de la firme est engagée), nous Champagne 7sur7.be.jpgapprend la dépêche du 4 mars 2009 de Reuters : “Par une décision historique prise à 6 votes contre trois, cette haute cour inflige une défaite majeure à l’industrie pharmaceutique“, stipulant que le RCP (résumé des caractéristiques de produits) et l’autorisation d’un médicament par cette instance fédérale qu’est l’agence du médicament (FDA) ne constituent pas une préemption fédérale de nature à mettre les laboratoires à l’abri des poursuites civiles et/ou pénales engagées par des consommateurs ou des Etats au nom des lois de défense des consommateurs de chaque Etat.

Ouf! Une victoire, ça se fête!! C’est tellement rare!

Illustration tirée du site www.7sur7.be

Une autorisation fédérale d’un médicament ou produit ne veut pas dire un satisfecit éternel y compris en cas de médicaments défectueux ou risqués – et ne peut pas servir de bouclier juridique contre les actions en justice entreprises par des victimes de ces médicaments / produits. Les demandes de dommages et intérêts seront admissibles lorsque la responsabilité des laboratoires sera engagée.

“La préemption fédérale a été un objectif majeur que l’industrie pharmaceutique s’était propose d’atteindre, soutenue par l’administration républicaine de Bush et par des groupes économiques d’intérêts qui voulaient voir disparaître la possibilité de payer des dommages et intérêts importants“. L’argumentaire complet de la décision rendue le 4 mars par la Cour suprême états-unienne dans le cas concret de Diana Levine contre la firme Wyeth et son médicament Phenergan (prométhazine) – cas qui a pris une dimension nationale -, peut être lu sur le site de la Cour.

Les juges rappellent la “position traditionnelle de la FDA elle-même, selon laquelle les lois des divers Etats américains constituent une forme complémentaire de réglementation en matière de médicaments“, que “les lois étatiques locales ont une fonction de compensation distincte des réglementations fédérales“ [et que cette distinction et complémentarité doivent être maintenues et non pas cassées en annihilant les lois locales par une préemption fédérale].

Pour mieux comprendre ce qu’est la préemption fédérale, quelles auraient été ses conséquences désastreuses – « une immunité totale pour les firmes » – et à quel point cette décision était attendue et crainte (la Cour suprême est majoritairement conservatrice / républicaine), lisez les autres notes de Pharmacritique à ce sujet, réunies sous la catégorie “Boucliers juridiques pour les firmes“, qui expliquent les choses et rendent compte de la mobilisation des certains élus et de certains grands journaux médicaux (NEJM, JAMA) et généralistes (New York Times) contre ce danger pour l’ensemble du système de soins.

Une victoire des firmes aurait fait tâche d’huile partout dans le monde et les aurait mises de facto hors d’atteinte de toute action en justice, quels que soit les risques et effets secondaires de leurs médicaments et dispositifs médicaux. En France, les firmes sont déjà hors d’atteinte, puisque notre beau pays n’a aucune loi digne de ce nom pour la liberté de l’information, la protection des consommateurs et la possibilité pour l’Etat comme pour les victimes que justice leur soit rendue. Avec une préemption en plus, cela aurait consisté à dire : l’AFSSAPS (agence nationale du médicament) a autorisé le médicament, donc il est hors d’atteinte, quelles que soient ses conséquences… Victimes, Etat et Sécu floués, circulez, il n’y a rien à voir ! Et comme nous savons que le meilleur et le pire finissent par nous arriver des Etats-Unis…

Mise à jour pour expliquer la portée de la décision

La question d’une lectrice me pousse à ajouter des précisions: il s’agit certes au départ du cas concret de Diana Levine, guitariste qui s’est vue amputer une main à cause d’une injection de Phenergan. Mais ce cas est devenu depuis longtemps un enjeu plus général: droits des consommateurs versus droits des producteurs; sécurité des uns, responsabilité des autres. Le cas est passé par plusieurs juridictions avant d’arriver à la Cour suprême.

La décision fait déjà jurisprudence et sera très très difficile à renverser. Et c’est sachant que cela allait être la fin d’un fantasme des industriels ou le début de sa réalisation – nous vouons être compétitifs, faire du fric, donc pas d’entraves, pas de responsabilité, pas d’amendes, tout est permis, on se fiche du reste – que le tout a pris tellement de temps, sans parler d’une armée d’avocats.

La Cour suprême a elle-même retardé sa décision, il y a eu des dissensions, les argumentations différentes des trois juges favorables à la préemption (sur les neuf au total) ont été jointes au dossier, etc. C’est aussi pourquoi l’argumentaire de la décision est tellement travaillé, avec des exemples historiques, législatifs, politiques de ce que voulait le Congrès : quel rôle pour la FDA (agence du médicament), pour les lois et réglementations fédérales versus celles des Etats?

Quel rôle pour les lois de « réparation »? Elles sont très importantes dans l’imaginaire politico-juridique américain, parce qu’elles permettent de contre-balancer les excès du « tout entreprise ». Tout cela – donc des niveaux très profonds – a été comme en suspens dans l’attente de cette décision, et ce n’est pas pour rien que les démocrates – qui craignaient que la Cour suprême à majorité républicaine allait vouloir « désentraver » toutes les entreprises leur donnant une immunité de fait – avaient annoncé qu’ils allaient tout faire pour contrecarrer la préemption.

Il fallait garder ce « tort litigation system » permettant les poursuites individuelles et collectives en responsabilité civile, mais pas seulement. Car il s’agit aussi indirectement de la possibilité pour les Etats de faire eux-mêmes des procès à des firmes, par exemple à l’aide des éléments révélés par les lanceurs d’alerte. Et les procès sont les meilleures occasions pour apprendre la vérité sur les médicaments et sur les méthodes des laboratoires pharmaceutiques. Apprendre la vérité – et la rendre publique surtout!

Bref, je crois que le meilleur résumé de cette histoire est celui fait par un très bon connaisseur des arcanes des pharmas, Philip Dawdy, qui titre sur Furious Seasons : « Preemption Shot Down By Supreme Court » (La Cour suprême a dégommé la préemption), avec le commentaire suivant: « Preemption has been Big Pharma’s wet dream for ages. Looks like Big Pharma needs a new dream ». En traduction libre: La préemption, c’était le rêve mouillé des Big Pharma pendant des lustres. Mais là, m’est d’avis qu’ils devront s’en trouver un autre. (Fantasmer sur autre chose…)

PhRMA – l’organisation patronale américaine de l’industrie pharmaceutique – essaie de sauver la face dans ce communiqué, disant qu’elle envisage toutes les options, que la FDA, c’est la meilleure, que la sécurité des patients risque de pâtir (!!) à la suite de cette décision de la Cour (!!), mais c’est du blabla…

Elena Pasca

Copyright Pharmacritique

3 réflexions au sujet de “Les firmes pharmaceutiques n’auront pas d’immunité juridique pour les effets secondaires. La Cour suprême américaine rejette la préemption!”

  1. Bonjour Angela,
    Merci pour votre remarque! Je viens de faire une longue « mise à jour » à la fin, essayant de circonscrire les enjeux. Ce sera plus clair maintenant, je pense.
    C’est une histoire touffue… Puisque le cas concret de Diana Levine est devenu une bataille juridique autour d’un élément décisif dans le système juridique de protection et de défense des consommateurs : le « tort litigation system », qui n’a malheureusement aucun équivalent en France.
    Moi qui espère justement le voir arriver un jour dans nos contrées – avec la possibilité de recours collectifs en justice et d’une action véritable des watchdogs (chiens de garde associatifs), etc. – vous imaginez à quel point j’ai croisé les doigts pour qu’il ne disparaisse pas là où il existe sous sa forme la plus, comment dire, cohérente avec l’ensemble du cadre législatif et juridique…
    Il y a parfois des excès – les dommages punitifs par des jurys populaires, par exemple -, mais il vaut mieux avoir un système de protection des consommateurs qui connaît des bévues plutôt que pas de système du tout… Pas de protection du tout, et les laboratoires pharmaceutiques qui font ce qu’ils veulent, avec personne pour leur demander des comptes quand ils dérapent. On n’a jamais vu l’Etat français faire un procès à une firme, quelles que soient les catastrophes qu’elle ait pu créer…
    Ca ne peut pas continuer comme ça, quand même… La jungle des conflits d’intérêts, aucune obligation de transparence, d’information des consommateurs / usagers – puis aucune répression. Et s’il n’y a pas de répression possible, il n’y a aucun moyen de dissuasion non plus.
    Nous autres, usagers français, avons un système de protection – par l’Etat et les lois – tout aussi réel que le bouclier fait de mensonges étatiques du temps de Tchernobyl…
    On en est toujours là. Les autorités françaises d'(in)sécurité sanitaire ne disent rien, comme ça, c’est comme si les problèmes n’existaient pas. On fait dans le wishful thinking et l’illusion, comme les gosses.
    Parce que nous réagissons tous comme des gosses en acceptant que cette situation perdure: cette absence de défense et de recours des consommateurs, l’absence de cadre législatif-juridique qui seul permettrait de réguler l’activité des laboratoires pharmaceutiques – et des industriels et lobbies en général.
    après, on s’étonne des pantouflages, de la corruption, des conflits d’intérêts partout, de la désinformation médicale, de la toute-puissance des lobbies…
    Cordialement

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  2. bonjour,j’ai absorbé du phenergan dans les premieres années de ma vie.pour nous faire dormir! il y a t-il un rapport entre cette dependance du cerveau et mon alcoolisme chronique.merci de me répondre. sophie

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