Le rapport de l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) sur les dépassements d’honoraires médicaux, sorti en avril 2007, a été curieusement moins médiatisé que celui sur l’information des médecins, dominée par l’industrie pharmaceutique… Et ce y compris par les groupes de médecins se disant progressistes et soucieux de l’éthique. Le texte parle de lui-même, pas besoin de longs commentaires. Egalité, équité, solidarité, fraternité, éthique – il n’en reste plus grand-chose dès que l’on analyse attentivement diverses dimensions constitutives du « meilleur système de santé au monde ». Comme je le disais ailleurs, je crains que ce superlatif ne soit désormais là que pour nous faire avaler de plus en plus de pilules amères, comme les franchises dites médicales (signez la pétition), les déremboursements ou d’autres…
Les tarifs déraisonnables qui empêchent l’accès aux soins, le refus de la corporation médicale de donner une information transparente, l’arbitraire des dépassements qui ne sont nullement synonymes d’une meilleure qualité de soins – sont des preuves de la puissance des organisations médicales et de leur lobby face à des pouvoirs publics qui cèdent aux revendications corporatistes et entérinent ainsi le désert médical dans de larges territoires de la République, l’exclusion des plus pauvres du système de soins, le scandale des dépassements d’honoraires dans l’activité libérale à l’hôpital public (qui n’est malheureusement pas abordé en détail dans ce rapport), le refus d’une grande partie des praticiens d’accepter la CMU…
Puisque le rapport fait 164 pages avec les annexes, nous avons choisi quelques extraits, surtout de l’introduction et de la conclusion.
Dépassements à définir « avec tact et mesure »…
« L’article 53 du code de déontologie, auquel renvoie la convention signée en 2005 (…) énonce que « les honoraires du médecin doivent être déterminés avec tact et mesure en tenant compte de la réglementation en vigueur, des actes dispensés ou de circonstances particulières ». La jurisprudence tirée des décisions des différentes instances appelées à statuer sur ce sujet, n’a jamais donné un montant maximum, appréciant cette notion au cas par cas. » Mais « la notion de “tact et mesure” ne représente pas une base suffisante pour caractériser l’abus dans la fixation des honoraires et contenir les excès ». C’est une « notion subjective, laissée à l’appréciation du seul médecin, sous réserve des rares contentieux engagés, et qui s’impose au patient sans que ce dernier puisse juger du niveau adéquat du dépassement.» (p. 54)
« Les différentes constatations qui ont été réalisées par la mission montrent que les pouvoirs publics n’ont pas adopté une stratégie claire, au regard des enjeux de la politique de l’assurance maladie, et notamment l’accès aux soins, dans l’égalité, pour l’assuré, et l’équité de rémunération pour les praticiens. » (Conclusion p. 68)
Extraits :
« La mission s’est concentrée sur l’étude des dépassements d’honoraires qui représentent près de 2 milliards d’euros (sur 18 milliards d’euros d’honoraires totaux), dont les deux tiers pèsent directement sur les ménages, après intervention des organismes d’assurance complémentaire. Elle a choisi d’éclairer ce sujet à travers l’exemple de quatre épisodes thérapeutiques comportant un acte principal à l’hôpital, précédé ou suivi de consultations ou d’examens en établissement ou en ville. Elle a tenté à cette occasion de faire la synthèse des possibilités d’évolution de cette partie de la rémunération de certains praticiens.
1. Une augmentation importante des dépassements au cours de la dernière décennie
1.1. Les dépassements constituent l’essentiel de ce qui reste à la charge du patient après l’intervention des organismes complémentaires
Les dépassements sont, le plus souvent, une charge plus lourde pour les patients que le ticket modérateur ou le forfait journalier hospitalier. (…) En ce qui concerne les dépassements d’honoraires, les niveaux de couverture contractuelle sont extrêmement variables et peuvent être très limités voire nuls. Pour les consultations de médecins de ville, une enquête de la DREES [2] conclut que pour la moitié des personnes, la couverture médiane est à hauteur de 100% du tarif opposable, soit une absence de prise en charge des dépassements. Elle est de 150% pour un tiers des personnes couvertes.
Les contrats couvrant l’intégralité des dépassements sont principalement des contrats collectifs. Ils sont très minoritaires et plutôt renégociés à la baisse par les partenaires sociaux, gestionnaires des institutions de prévoyance. Lorsque les dépassements excèdent de 50% les tarifs opposables, il est probable que la majorité de la population n’est pas couverte. En outre, appréciée globalement, cette prise en charge n’atteint environ qu’un tiers des dépassements facturés.
1.2. Le montant des dépassements dans le secteur à honoraires libres a doublé en moins de quinze ans en valeur réelle
Pour les médecins actifs sur toute l’année, le montant des dépassements est passé de 763 millions d’euros en 1990 à 1,578 milliard d’euros en 2005, en euros constants : contenue pour les omnipraticiens, cette pratique est devenue majoritaire chez les spécialistes. La part des dépassements dans les honoraires des médecins a augmenté deux fois plus chez les spécialistes que pour l’ensemble des médecins. Cette croissance résulte à la fois d’une hausse du taux de dépassement [3] des spécialistes à honoraires libres, qui passe de 29% en 1995 à 47% en 2004 mais aussi de l’augmentation de la part des praticiens en secteur à honoraires libres dans certaines spécialités. Enfin, les dépassements pratiqués par les spécialistes ont, depuis dix ans, augmenté trois fois plus vite en valeur réelle que leurs revenus moyens. Entre 1993 et 2004, le pouvoir d’achat de leur revenu moyen a progressé de 23% alors que celui des dépassements progressait de 71%. Au cours de la même période, le taux de charges est globalement resté stable. Les honoraires sans dépassements ont permis un gain de pouvoir d’achat de 17% soit par augmentation de l’activité soit par hausse des tarifs conventionnels, concentré sur la période 1998-2004.
Les dépassements, quant à eux, expliquent donc un gain supplémentaire du pouvoir d’achat du revenu des spécialistes estimé à près d’un tiers. Ce gain n’est toutefois pas réparti de manière égale entre toutes les spécialités et ne bénéficient pas aux spécialistes du secteur 1. Ainsi, le taux de dépassement des ophtalmologistes en secteur 2 est de 53% ; pour les chirurgiens, ce taux est de 54% ; il est de 62% pour les gynécologues obstétriciens. C’est grâce à cette liberté tarifaire qu’ils ont creusé l’écart de revenu non seulement avec les généralistes mais également avec les spécialistes du secteur 1.
1.3. Ces évolutions et ces taux présentent des disparités importantes entre les spécialités et les régions, comme au sein d’une même spécialité
C’est ainsi qu’en 2004, en Ile-de-France, le taux moyen de dépassement des praticiens en secteur 2 est de 181% des tarifs conventionnels pour les neurochirurgiens, 99% pour les chirurgiens, 87% pour les ophtalmologues, 86% pour les gynécologues, 79% pour les dermatologues et 73% pour les psychiatres.
Au sein d’une même spécialité, les disparités sont également très élevées : 90% des ophtalmologues pratiquent des taux de dépassement de plus de 27% alors que 10% ont un taux de dépassement supérieur à 119% ; pour la moitié des chirurgiens de secteur 2, le taux de dépassement est au plus de 49%, mais 10% d’entre eux o
nt un taux supérieur à 229%.
1.4. Tous ces constats se retrouvent dans la pratique des dépassements d’honoraires des praticiens exerçant à titre libéral dans les établissements de santé publics et privés
Le montant total des dépassements d’honoraires facturés en établissements de santé privés et publics en 2005 est estimé à 530 millions d’euros sur une masse totale de 3 milliards d’euros d’honoraires. Toutes disciplines médicales confondues, le taux de dépassement des praticiens libéraux intervenant dans les établissements privés est de 19%. En secteur 2, il est de 42%. L’Ile-de-France et la région Rhône-Alpes concentrent plus de la moitié des dépassements d’honoraires dont les montants les plus élevés sont le fait des anesthésistes et des chirurgiens.
En ce qui concerne les praticiens hospitaliers publics, 12% d’entre eux ont une activité libérale et un peu plus d’un tiers de ceux-ci l’exerce en secteur 2. Les taux de dépassement les plus élevés sont concentrés dans les mêmes régions et disciplines que pour les établissements privés mais ils sont en moyenne deux fois plus élevés que dans les établissements privés.
1.5. La dernière observation importante effectuée par la mission est relative à la distinction entre consultations et actes techniques
La part des consultations effectuées aux tarifs opposables par les praticiens à honoraires libres est faible, voire très faible, allant de 3% pour les gynécologues obstétriciens et les ophtalmologistes à 19% pour la chirurgie orthopédique et traumatologique. Exception notable, 50% pour les cardiologues qui bénéficient d’un tarif spécifique de consultation plus élevé que la consultation de spécialiste de droit commun. Il convient de noter que dans la plupart des spécialités, entre un quart et la moitié des praticiens n’ont qu’un ou deux tarifs de consultation et que des dépassements d’honoraires sont également demandés aux bénéficiaires de la CMU complémentaire. Pour les actes techniques, les praticiens de secteur 2 recourent davantage aux tarifs opposables, en particulier dans les spécialités où les actes techniques sont les plus nombreux.
1.6. Au total, à partir de l’étude menée sur quatre épisodes de soins, la mission a pu établir qu’une majorité de patients est aujourd’hui confrontée à des dépassements d’honoraires dont les montants peuvent être élevés
La mission a mené avec la CNAMTS [Caisse Nationale d’Assurance-Maladie des Travailleurs Salariés] une étude spécifique sur quatre épisodes de soins : l’accouchement, la chirurgie du cristallin, la prothèse totale de hanche et la coloscopie afin de mesurer les dépassements demandés pour l’acte principal et l’ensemble des actes qui peuvent lui être rattachés. (…) Cette étude montre que la pratique des dépassements d’honoraires est prédominante pour l’ensemble des patients concernés par l’un des quatre épisodes. (…) De tout ceci il résulte que :
- la probabilité pour un patient de se voir demander un dépassement d’honoraires au cours de l’épisode de soins est supérieure à 50% ;
- c’est tout particulièrement vrai pour certains actes réalisés majoritairement dans le privé et dans certaines régions où le nombre de praticiens en secteur 2 est particulièrement élevé ;
- le cumul de dépassements demandés à un patient conduit à des montants finals qui peuvent être très lourds ;
- la prise en charge à 100% de certains soins tels que l’accouchement ou des actes chirurgicaux lourds n’est plus garantie, alors que la collectivité nationale avait fait le choix de couvrir intégralement ces soins.
Les dépassements, du fait de leur ampleur, remettent en cause certains des principes sur lesquels repose le système de soins (…) Pourtant nombreux sont les arguments qui pourraient conduire à les réformer. (…) Pour les assurés, les dépassements constituent un recul de la solidarité et non une garantie de qualité. (…)
L’obstacle financier que représentent les dépassements n’est compensé ni par les couvertures maladies complémentaires ni par l’action sociale des caisses. » (…) « Les dépassements d’honoraires constituent un recul de la solidarité nationale mise en oeuvre par l’assurance maladie obligatoire : du fait de leur montant croissant, ceux-ci génèrent des inégalités d’accès aux soins, voire des renoncements, y compris chez les bénéficiaires de la CMU complémentaire, qui, malgré les dispositions législatives, peuvent avoir à y faire face. » (…) « Ainsi, en Alsace, les plus pauvres n’auraient plus le choix et ne pourraient avoir accès qu’à l’offre hospitalière publique : certains praticiens rencontrés par la mission ont déclaré que si l’offre privée à tarif opposable n’était plus suffisante, il était toujours possible de s’adresser à l’hôpital public. Au pire, lorsque l’offre de substitution est réduite, c’est un report dans le temps des soins, avec les risques que cela comporte, voire un renoncement [82] définitif aux soins. C’est vraisemblablement le cas en région parisienne pour certaines spécialités. »
La prise en charge des dépassements par les couvertures complémentaires augmente les inégalités. Le statut des assurés par rapport à l’emploi est discriminant : chômeurs, retraités et salariés précaires n’ont accès qu’à des couvertures individuelles en général plus coûteuses et moins protectrices que les contrats collectifs, qui bénéficient majoritairement aux catégories de salariés ayant les plus hauts niveaux de revenus.
Ce dispositif est également inéquitable pour les médecins et contribue à un sentiment d’injustice des praticiens : il introduit en effet des différences de rémunération qui ne sont pas toujours justifiées par des différences de diplômes et de formation initiale, ou par une participation active des médecins à des objectifs d’amélioration de leur pratique ou de santé publique mais peuvent être seulement liées à des dates différentes d’installation. C’est d’autant moins supportable pour les spécialités pour lesquelles les écarts de revenus entre les secteurs conventionnels se sont le plus creusés.
En outre, les dépassements d’honoraires ont contribué à freiner une répartition plus équilibrée des médecins sur le territoire français métropolitain. Le paiement à l’acte, entre autres caractéristiques, est une incitation à l’installation des médecins là où les besoins de soins sont les plus importants. Or, l’existence d’un droit à dépassement a permis, notamment à des spécialistes, une installation dans des zones déjà très médicalisées et riches. Même s’ils réalisent moins d’actes, la possibilité de pratiquer des dépassements leur permet d’adapter leur revenu dans la zone géographique de leur choix. Ce phénomène peut paradoxalement renforcer les difficultés financières d’accès aux soins pour les assurés résidant dans ces régions pourtant à forte densité médicale.
Les dépassements privent d’effet les mesures incitatives : plus la part des dépassements dans les honoraires des médecins est élevée, moins l’UNCAM et les pouvoirs publics de façon générale ont de possibilités de faire passer des orientations de politique de santé. La qualité très insuffisante des informations dispensées aux assurés ne permet pas de corriger l’asymétrie des relations entre les praticiens et eux : non seulement les textes sur l’affichage sont très mal appliqués dans les cabinets, mais les informations délivrées par l’assurance maladie sont extrêmement pauvres contrairement aux possibilités techniques actuelles. Au reste, les représentants des praticiens comme les autorités ordinales n’ont jamais été très soucieux de s’impliquer dans la diffusion de telles informations. (…) Il est d’autant plus difficile aux assurés d’éviter des dépassements que l’information, partielle et tardive, qui leur est délivrée ne permet pas de corriger l’asymétrie des relations entre les praticiens et eux (…) Le conseil national de l’ordre des médecins justifie la mauvaise qualité de l’information par la complexité de la réglementation et prolonge l’hostilité des syndicats de praticiens à l’égard de la transparence sur leurs honoraires. La mission relève que le conseil national de l’ordre des médecins s’abrite derrière cette complexité pour expliquer non pas les difficultés des assurés, mais celles des médecins dans la fixation de leurs honoraires. (…) C’est la même attitude qui a prévalu au cours des années passées chez les représentants des médecins qui refusaient que paraissent des annuaires faisant état des différents secteurs. (…)
Enfin, face à des patients qui n’osent pas porter plainte et du fait que la notion de « tact et mesure » ne constitue pas une base suffisante pour caractériser l’abus dans la fixation des honoraires et en contenir les excès, les contrôles et les sanctions sont rares. » (…)
« Du point de vue des pouvoirs publics et des régimes obligatoires d’assurance maladie, le système, à bout de souffle, nuit à l’efficacité de leur action. Le système est inflationniste » et « encourage la pression des revendications sur les tarifs conventionnels pourqu’ils soient portés au niveau le plus élevé possible afin de réduire les inégalités avec les honoraires du secteur 2 »
Quand j’ai commencé mon activité, j’ai remplacé une consoeur de secteur 2 : « c’est 300 F la consultation, et si elles n’ont pas les moyens, elles iront ailleurs »… j’ai fait les 2 jours pour lesquels je m’étais engagée, je ne l’ai plus remplacée.
Le tact et la mesure m’ont toujours fait sourire.
Les tarifs du secteur 2 sont le plus souvent injustifiés (qualité de soins identique, temps passé identique -voire moindre- cabinets certainement plus spacieux et mieux décorés, piscine à la maison)…
Il me semble qu’un médecin en secteur 2 a l’obligation de faire un certain pourcentage de consultation au tarif conventionnel… (comme le tact et la mesure, c’est théorique)
« zêtes pas cher Dr »… (ben non, en secteur 1…)
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