L’ »attirance sexuelle » et affective entre visiteurs médicaux et médecins: outil de manipulation efficace, dit Shahram Ahari

Je rends compte ici d’un témoignage et d’un débat dans les media et dans certains milieux politiques des Etats-Unis. Il ne s’agit pas de prendre parti, ni de stigmatiser toute une profession. La situation est différente en France, la formation des visiteurs médicaux et leurs pratiques sont différentes. A lire donc avec les précautions et les réserves de rigueur.

 

Shahram Ahari, ancien visiteur medical pour le compte d’Eli Lilly, a témoigné au mois de mars dans une audition du Sénat des Etats-Unis 1777635602.jpgpréparant des dispositions législatives sur la limitation de l’influence de l’industrie sur les médecins par la mise en place d’un réseau d’information médicale indépendante (« visite académique« ). Son témoignage est édifiant quant aux tactiques de vente des firmes pharmaceutiques et les instructions qu’elles donnent à leurs VRP pour influencer les médecins et leurs prescriptions, y compris en créant puis en exploitant une « attirance sexuelle », un climat ambigu de quid pro quo lors des visites « médicales ». L’image, tirée de Radio Canada, renvoie à un récepteur aux phéromones dans l’organe voméro-nasal des humains (détectant les odeurs sexuellement attirantes).

Shahram Ahari a été repéré par nos amis de Prescription Project (pour une prescription et un usage rationnels des médicaments) ainsi que par le projet pharmacritique et de désenvoûtement PharmedOut, que nous citons souvent dans ces pages (et qui ont plein de supports éducatifs intéressants, y compris des affiches éducatives pour les murs des cabinets médicaux…).

 

Ils ont enregistré son témoignage sur les techniques de vente d’Eli Lilly, pour des psychotropes tels Prozac et Zyprexa. La vidéo et le résumé en français sont dans cette note : « Eli Lilly : cynisme et désinformation délibérés sur les effets indésirables du Zyprexa. Un visiteur médical parle ».

 

Et Shahram Ahari a coécrit avec la directrice du programme Pharmed Out, Adriane Fugh-Berman, un article sur les diverses combines des firmes pour influencer les médecins: « Following the Script: How Drug Reps Make Friends and Influence Doctors » (Appliquer la bonne recette: comment les visiteurs médicaux nouent des amitiés et influencent les médecins). Il mérite une note à part.

 

Intervention sur ABC

 

La chaîne de télévision états-unienne ABC rend compte du témoignage devant le Sénat (préparant le projet de loi sur le financement public d’une information indépendante) dans un article paru sur son site : Ex-Drug Sales Rep Tells All (Un ancien visiteur médical lève le voile).

 

On voit que l’enquête de PeopleMetrics Rx parlant de l’efficacité de l’implication affective du médecin suite aux efforts déployés en ce sens par les visiteurs médicaux peut être interprété même dans un sens plus poussé, où l’affectif est plus directement d’ordre libidinal et sexuel. (Nous avons amplement analysé les résultats de cette enquête, à l’aide de nombreux liens, dans la note « Oubliez l’EBM et la science ! Les visiteurs médicaux tiennent bien les médecins par les tripes ».

 

Selon Ahari, les firmes aiment bien embaucher des “meneurs”, des anciens mannequins, athlètes et militaires, attirants, gais, bienveillants et apparemment fascinés par le dur labeur des médecins… La plupart de ces personnes qui iront donner des « informations » sur les médicaments et « éduquer » les médecins n’ont aucune formation scientifique, et encore moins médicale. « Parmi les 21 recrues et les 2 formateurs que j’ai rencontré le premier jour de ma formation, j’étais le seul à avoir un niveau scientifique universitaire », témoigne l’ancien VRP. Qui détaille certaines des instructions reçues pendant les 5 semaines ( !) de formation sur les tactiques de manipulation, incluant « l’emploi de l’amitié et des cadeaux personnalisés afin de construire une relation ambiguë » et les modalités « d’exploiter une attirance d’ordre sexuel ».

 

 

Du commerce pharmaceutique au témoignage sur l’immoralité des firmes et à la formation des jeunes au scepticisme

 

Shahram Ahari témoigne dans divers procès locaux et fédéraux sur les stratégies promotionnelles mensongères des firmes pharmaceutiques. Il est invité aussi à former des étudiants en médecine lors de séminaires consacrés au déchiffrage des combines de l’industrie et à la lecture critique de ce qu’elle propose, afin que les futurs médecins résistent aux tentations de toute sorte.

 

Intervention sur NECN

 

Il a été invité aussi aussi sur la chaîne régionale américaine NECN (New England Cable News) : Shahram Ahari on the ethics of selling 1348914384.jpgdrugs (Il y est question de l’éthique (sic) de la vente de médicaments… De quoi en inspirer plus d’un philosophe pour les traités de morale…).

 

La chaîne donne quelques détails d’ordre général : il y a 90.000 visiteurs médicaux aux Etats-Unis ; les firmes dépensent 30 milliards de dollars par an (toujours aux USA) pour faire de la publicité à leurs médicaments ; sur ces 30 milliards, 7.2 milliards vont directement aux médecins, ce qui fait une moyenne de 8.800 dollars par médecin pour qu’ils prescrivent les médicaments voulus.

 

Là encore, Ahari revient sur les attributs essentiels d’un visiteur médical : « être attirant et charismatique » et savoir créer de l’amitié au moyen des attentions matérielles offertes aux médecins, d’une part. Mais aussi par leur façon d’ « entrer dans le cabinet du médecin tel un rayon de soleil (…), comme un membre de la famille qui vient demander si ça va ». Quant à l' »attirance sexuelle », Ahari explique que le visiteur médical choisi pour s’occuper de tel médecin est celui (ou celle) qui arrive le mieux à créer cette sorte de contact personnel et à en tirer profit. Il n’y a pas de limites formelles et d’interdits canalisant cette ambiguïté et les visiteurs médicaux peuvent même sortir avec les médecins ou les accompagner dans certains bars ou clubs de strip tease, dit Ahari.

Il ne manque pas d’ajouter à quel point cette amitié est hypocrite, puisqu’elle sert à obtenir du médecin qu’il fasse ce que veut la firme qui paie.

 

 

Donner des cadeaux crée une obligation de réciprocité : petit cadeau, grande obligation

 

Daniel Carlat a longtemps été un leader d’opinion de l’industrie, pour laquelle il a fait vendre surtout l’antidépresseur Effexor (venlafaxine). Nous avons raconté son histoire exemplaire dans la note « Les leçons du cas Carlat, psychiatre VRP des firmes récemment sorti de l’hypnose industrielle ».

 

 

Carlat a rendu compte sur son blog de l’exposé de Shahram Ahari à la Tufts University, où il a été invité au mois de mars 2008 par une association étudiante pharma-sceptique. L’ancien visiteur médical a éclairé les futurs médecins sur le fait que les VRP ne maîtrisent rien en médecine, mais tout dans l’art de la conversation et du small talk, orienté de façon à glaner un maximum d’informations sur les médecins, afin d’en établir le profil et faciliter les liens d’ « amitié ».

 

Parce que l’amitié s’achète, dans ces sphères-là…

 

« Rien n’est gratuit » et « un cadeau n’est jamais qu’un cadeau » (Ashley Wazana)

 

« Ce business, c’est du donnant-donnant par excellence », soulignait Ahari sur ABC. Ce qui implique les dîners bien arrosés ou alors le paiement d’une « hôtesse » pour tenir compagnie à tel médecin en manque d’humanité et frustré par les malheurs que les patients déversent à longueur de journée. En contrepartie de quoi les prescriptions seront elles aussi généreuses, et porteront notamment sur les médicaments des firmes qui paient ces « récréations » et petites sauteries. « Rien n’est gratuit », c’est le sens général de « No Free Lunch! », mais cela s’applique tellement bien aux menus services, repas et autres « soutiens »psychologiques offerts par l’industrie pharmaceutique aux professionnels de santé que cette devise a même donné son nom à la toute première association anti-cadeaux, anti-corruption, qui s’est étendue jusqu’à l’Europe. La petite dernière de la fratrie étant l’espagnole No gracias!

  • « Donner des cadeaux, c’est essentiel », dit Ahari dans l’exposé cité par Carlat. « Les êtres humains sont programmés à la réciprocité. Ils se sentent obligés de répondre par des faveurs [en prescrivant les médicaments promus par les VRP, pour leur faire plaisir et ne pas avoir le sentiment de la dette]. C’est un fait incontestable que plus le cadeau est petit, plus le sens de l’obligation est grand ». Ce qui a été prouvé plus d’une fois par des études et des enquêtes, telles celles de Dana et de Wazana.
  • Quant aux échantillons gratuits, ils sont « un outil de marketing créant des liens. Habituellement, nous donnions des échantillons couvrant deux semaines de traitement. Ce qui était la quantité la plus adéquate, calculée de la même façon que le fait un dealer de drogues : la première semaine est gratuite, et après, on vous tient ».
  • Un autre outil marketing efficace, ce sont les repas offerts, qui rendent les médecins plus réceptifs et plus influençables… D’où les efforts des VRP pour apprendre les goûts alimentaires des médecins et se rendre indispensables dans la satisfaction des plus luxueux. Mais aussi pour que les cliniques et les hôpitaux aient le réflexe de faire appel à eux lorsqu’ils veulent faire plaisir à leur personnel médical.
  • Mais « l’arme la plus sinistre de tout l’arsenal » des VRP, c’est leur ordinateur, utilisé notamment pour le data mining : fouiller partout et rassembler toutes les données sur les prescriptions des médecins et leur traits de personnalité, afin de mieux cibler les efforts promotionnels et de se découvrir des affinités « spontanées » avec les médecins – base d’une amitié solidement ancré dans le business…

Et en France ?

 

On se plaint des Etats-Unis, mais en France, c’est de l’ordre de 23.000 euros de cadeaux par médecin généraliste, pour influencer ses prescriptions, comme l’indique le rapport de l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) sur l’information des médecins généralistes… Les chiffres sont détaillés dans les notes réunies sous la catégorie Rapport de l’IGAS/ Cour des comptes / Que choisir. Dommage que cet organisme ne se soit pas penché sur les aspects un peu plus ambigus qui poussent les médecins à recevoir les VRP des firmes.

 

 

Un conseil désintéressé (un peu d’humour)982931604.jpg

 

Apparemment, il arriverait qu’on joue au docteur lors des visites « médicales »… Alors pourquoi ne pas imaginer une campagne éthique tout autant que personnelle menée par les compagnes ou compagnons, épouses ou époux des médecins qui diraient comme la revue Prescrire : « Visite médicale, non merci! » et feraient pression pour que les professionnels de santé ne reçoivent plus les visiteurs médicaux. Il vaut mieux éviter les tentations…

 

Un autre conseil concerne la possibilité d’obtenir facilement des preuves de divorce… C’est ironique, bien entendu. Il n’est pas question de mettre tous les visiteurs médicaux dans le même sac en généralisant. Ni de sous-entendre que les liens émotionnels se transforment en pratiques charnelles. Simplement de dire que les moyens d’influence sont de tous ordres, et peuvent jouer même sur les affects.

Dessin: blog Pharmalot, pour illustrer le compte-rendu de l’enquête de PeopleMetrics Rx.

 

Elena Pasca

Copyright Pharmacritique

 

53 réflexions au sujet de “L’ »attirance sexuelle » et affective entre visiteurs médicaux et médecins: outil de manipulation efficace, dit Shahram Ahari”

  1. Bonjour Blegue,
    Je tiens à dire tout de suite que, outre les dérapages langagiers que je ne tolère pas, cette façon de voir les choses, en noir et blanc, n’est pas la mienne.
    Les responsabilités sont pour le moins partagées, et je n’ai jamais entendu un médecin se plaindre qu’un ou une VM l’aurait obligé à accepter un repas, un cadeau, une invitation à tel congrès dans un palace ou quoi que ce soit d’autre.
    De façon générale, il me semble que, vu la différence de train de vie et de revenus et sachant très bien que les visiteurs médicaux sont des commerciaux, les médecins ne sont en rien obligés de les recevoir. Ils ne crèvent pas la dalle en fin de mois s’ils ne reçoivent pas les visiteurs médicaux. Ceux-ci, par contre, ne peuvent pas faire autrement que d’essayer de « vendre » des médicaments. (Ou changer de métier, s’ils le peuvent, et c’est ce que j’ai suggéré dans d’autres commentaires).
    La solution est simple, du côté des médecins: au lieu de les stigmatiser et se dédouaner en tapant sur les visiteurs médicaux, il vaut mieux ne plus les recevoir.
    Il existe une charte [Visite médicale] « Non merci! », l’avez-vous signée?
    Bien à vous,
    Elena Pasca

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  2. Les laboratoires pharmaceutiques arabes recrutent de belles filles pour la promotion de leurs produits pharmaceutiques a effet placebo en Algerie imaginez vous le ‘ classement d’un laboratoire générique en 08 eme position Afrique dépassant les firmes pharmaceutique international dans le classement Afrique c’est absurde et cela sans justifie la bio équivalence

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  3. Et bien je vis avec un médecin qui est trop content de voir ses visiteuses,ses rayons de soleil, de déjeuner et de dîner avec certaines. À noter tout de même que 3 d’ entre elles ont été ses maîtresses qu’il voit toujours. C est facile. Elle viennent sur place. Elles connaissent tous ses hobbies et les restaurants et petits cadeaux sont ciblés. Est ce suffisant pour prescrire leurs produits?

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